La nomination de Michel Barnier est l'énième rebondissement d’une séquence politique catastrophique qui montre - si on en doutait encore - que la Ve république est construite pour préserver l’ordre et les intérêts des plus puissants. Après des années de course derrière l'extrême-droite, on passe un nouveau cran : la capacité de vie ou de mort de Le Pen sur le gouvernement Barnier renforce sa centralité et son pouvoir.
Nous devons faire face au pire : d’une part une politique qui va être encore plus calquée sur le programme de l’extrême-droite, d’autre part une capacité du RN à engranger les points et à se positionner pour gagner l’appareil d’Etat aux prochaines élections nationales, qui peuvent arriver dès l’année prochaine en cas de nouvelle dissolution. Disons le clairement : ce serait un nouveau cap, du bien pire socialement et écologiquement, pour la recherche d’égalité quelque soit notre sexe, notre orientation sexuelle, la perception physique de nos corps ou nos handicaps, pour les libertés collectives et individuelles, pour la solidarité. L’extrême-droite est notre ennemie mortel. Pour le moment nous n’avons qu’un léger avant-goût de ce que serait une présidente et un premier ministre RN.
Nous pouvons faire face. La ligne de crête est étroite, mais elle existe.
Unitaires et démocratiques pour protéger notre écosystème commun
Il est temps de générer un nouveau front populaire qui ne soit pas un simple accord électoral entre appareils de partis politiques. Nous avons besoin d’une alliance antifasciste large capable de faire front (en) commun, et qui porte une alternative claire au projet de société rabougrie de peurs et de haines.
Nous pouvons redéfinir des relations de travail et de confiance entre le mouvement social, la société civile et les partis politiques. Oui les syndicats, outil des travailleuses et des travailleurs, sont légitimes pour parler et agir sur le terrain politique, au sens large du terme. Mais nous ne pouvons aujourd’hui nous enfermer sur nous-mêmes : nos forces ne sont pas suffisantes pour faire face à la submersion qui s’annonce. Elle a déjà commencé dans des entreprises et des administrations et malgré notre travail, souvent unitaire, nous ne pouvons seul.es faire face. Redéfinir ce qui a été construit pendant des décennies est compliqué, mais ce n’est rien face à ce que nous allons subir autrement.
La période a fait dérailler les anciennes certitudes. A nous d’être à la hauteur de la situation, de nous décentrer et de recréer un espoir commun.
Alors oui, cela veut dire travailler avec les communistes et les écologistes, avec les anticapitalistes et les sociaux démocrates du PS à la FI, du NPA aux verts en passant par le PCF. Les différentes lignes d’autonomies, parfois les positions révolutionnaires, ne nous seront pas très utiles si elles permettent à Bardella et Le Pen de progresser et de finalement gagner. Il faut adapter nos tactiques à la situation réelle, chercher à mettre notre énergie pour regagner du terrain, reconstruire une capacité de justice sociale et environnementale, de solidarité, d’unité et de démocratie, une alliance ponctuelle, un véritable front populaire contre l’extrême-droite.
Nous devons protéger et redévelopper l’écosystème de la gauche. Car oui, nous avons besoin les un.es des autres. Et au vu de la multitude d’organisations, nous pouvons nous dire que personne à ce jour n’a raison seul.es. Une fois le danger écarté, nous pourrons redébattre des stratégies et des perspectives de transformations révolutionnaire ou réformistes, des tactiques pour gagner et améliorer la vie.
Toutes et tous ensemble pour recréer l’espoir collectif
En attendant, cela ne pourra se faire qu’en créant des espaces communs avec du respect collectif de l’ensemble des structures et la capacité d’indépendance. C’est nos pratiques pendant l’intersyndicale de défense de nos retraites en 2023. Si SUD/Solidaires a pu travailler honnêtement dans la même direction et avec confiance avec la CFTC ou la CFDT et vice-versa, c’est parce que nous avons posé l’objectif commun au-dessus de nos différences. Et si nous avons perdu, Macron préférant prendre le risque de l’extrême-droite plutôt que de reconnaître une défaite devant les syndicats, nous avons été assez fort.es collectivement pour que cette régression sociale continue d’être discutée et remise en cause toujours actuellement. Le 1er octobre c’est une des revendications de la grève, avec les salaires et les services publics.
L’heure est grave, elle nécessite une réaction à la hauteur. Si le Nouveau Front populaire ne reste qu’une alliance électorale avec des “partenaires” qui règlent leurs différents sur X/twitter et qui ne cherche qu’à gagner sur les autres “partenaires”, nous avons déjà perdu. Il faut inventer un dépassement général, parce que toutes et tous ensemble nous avons le même double objectif de changer rapidement de cap de l’extrême-droite et de mettre en place rapidement des mesures profondément sociales et écologiques, de construire l’égalité pour tou.te.s, de reconstruire les droits et les libertés.
Les structures qui se replient sur elles-mêmes, qui “reprendront la vie comme avant” auront une lourde responsabilité pour notre camp social tout comme les structures qui continueront à chercher prioritairement à construire l'hégémonie dans leur champs (politique ou syndical) au détriment de l’unité vitale.
Une alliance large et constructive, sans faire disparaître les différences mais en sachant les mettre de côté, respectueuse de l’indépendance syndicale et des contre-pouvoirs nécessaires peut être notre porte de sortie de secours collective. On y va ?

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