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Billet de blog 7 mai 2024

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Raphaël Glucksmann n'est pas un homme de gauche

Son parcours, ses engagements et ses soutiens : tout indique que le chef de file des socialistes aux européennes appartient à cette frange de la gauche qui n'a pas cessé d'être de droite (tout en continuant à se dire de gauche).

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Raphaël Glucksmann est né en 1979 : il n'était donc plus un enfant quand Nicolas Sarkozy s'est installé place Beauvau au lendemain du 21 avril 2002, quand le même a visité la dalle d'Argenteuil un soir d'octobre 2005, puis créé au printemps 2007 le ministère de l'identité nationale, juste après avoir reçu quelques amis au restaurant et emprunté le bateau d'un ami. Cela n'a pas empêché M. Glucksmann de s'asseoir dans les gradins du POPB le 29 avril 2007 et de présenter peu après le nouveau président comme l'homme du « renouvellement ». Entre septembre 2006 et mars 2007, il avait également sérieusement envisagé de se présenter aux élections législatives sous les couleurs d'Alternative libérale, petit parti alors soutenu par Alain Madelin violemment hostile à la Sécurité sociale.

Le parcours de M. Glucksmann n'a donc pas commencé à gauche, mais bien à droite et aux côtés de son père André, ardent soutien de la guerre en Irak en 2003 (lire ici et voir ). Les articles qui décrivent son entourage de l'époque mentionnent tous le Cercle de l'oratoire, la revue Le Meilleur des mondes, Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy ou encore « Dany » [1]. En 2019, François Bonnet, co-fondateur de Mediapart et ancien correspondant du Monde à Moscou, rappelait ainsi au co-président du nouveau-né Place publique : « Depuis une quinzaine d’années, il y a une constante dans votre itinéraire : c’est un engagement atlantiste, certains diront néoconservateur » (à partir de la 23e minute de l'entretien) [2]. Interrogé ce soir-là sur ses séjours géorgien (entre 2009 et 2012, auprès de l'ancien président Saakachvili) et ukrainien (lors de la révolution orange de 2004-2005, puis de l'Euromaïdan de 2013-2014), l'ancien conseiller de Vitali Klitschko lança : « Je n'aurai pas de retour critique sur [mon engagement] en Géorgie ou en Ukraine. » [3]

RAPHAËL GLUCKSMANN : NON, IL N'EST PAS UN CAMARADE © Le Média

Rien n'a changé, visiblement, depuis cinq ans : M. Glucksmann veut aujourd'hui « humilier Poutine » et faire passer la France « en mode économie de guerre ». Et après avoir vigoureusement dénoncé pendant son mandat européen (2019-2024) la persécution des Ouïghours en Chine, il n'apporte pas son soutien aux étudiant·es de l'IEP de Paris révolté·es par les bombardements massifs opérés depuis sept mois par le gouvernement d'extrême droite israélien, et ne mentionne qu'une fois Gaza dans son discours-programme du 25 avril (contre neuf mentions de l'Ukraine). [4]

« Ça ne m'a jamais fait vibrer de manifester pour les retraites », déclarait-il au Monde il y a dix ans. Cela non plus n'a pas changé : M. Glucksmann fut invisible lors du mouvement social massif de l'an passé, et absent en général des luttes sociales de ces dernières années. Il était dès lors prévisible que sa présence dans un cortège du 1er mai serait « largement rejetée ». D'autant plus qu'il vante dans cette campagne l'Europe de Delors (sic) ; qu'il a rejeté dès le printemps 2023 toute perspective d'une liste commune de la Nupes aux européennes (après avoir soutenu l'alliance du bout des lèvres un an plus tôt) ; qu'il déclare désormais ouvertement souhaiter que « la gauche se rassemble [en 2027], mais pas sur la ligne de Jean-Luc Mélenchon » ; qu'il est pendant cette campagne chaleureusement accueilli par Carole Delga à Toulouse, Nicolas Mayer-Rossignol à Rouen (« Je le soutiens à fond depuis le départ », ne cache pas l'ancien fabiusien), Hélène Geoffroy dans l'agglomération lyonnaise ou Lamia El Aaraje à Paris, c'est-à-dire toutes les principales opposantes internes à la Nupes ; et que Hollande lui-même souhaite son succès et frétille à l'idée d'un retour.

Un cap clair, et pas celui de la Nupes, là. © franceinfo

Qu'il ait contribué à briser l'union nouée en 2022 sur une ligne de rupture avec les politiques néolibérales n'empêche pas M. Glucksmann de se présenter en « progressiste » : il veut bien sûr taxer les riches, réindustrialiser, faire la transition écologique... mais ne s'étend pas sur les moyens stratégiques d'y parvenir. Et s'il n'a pas voté la réforme du pacte de stabilité et de croissance, le pacte sur la migration et l'asile ou encore certains traités de libre-échange, contrairement à la majorité du groupe S&D qui continue de co-gérer l'institution avec le PPE (droite) et les libéraux, il n'envisage évidemment pas de le quitter : une contradiction pointée récemment par l'eurodéputée insoumise Manon Aubry ou le journaliste Patrick Cohen.

Il n'aura échappé à personne que M. Glucksmann a été désigné une seconde fois à la tête de la liste socialiste le 24 février 2024, soit quatre mois après que le conseil national du PS a décidé de suspendre sine die l'accord de la Nupes. En septembre 2023, le parti avait encore fait l'effort de se doter d'un texte au titre ambitieux : « Faire basculer l'Europe. Du néolibéralisme vers le socialisme écologique » (il a été adopté lors du Conseil national du 5 décembre). Ce printemps, M. Glucksmann avance vers l'élection sans programme véritable. [5]

GLUCKSMANN, CROQUE-MORT DU PS | STEFANO PALOMBARINI © Le Média

[1] Je renvoie notamment aux articles suivants : « Pourquoi Glucksmann ? », Stefano Palombarini, Contretemps, 30.03.2024 ; « A quoi sert Raphaël Glucksmann ? », Guillaume Etievant, Frustration, 5.02.2024 ; « Raphaël Glucksmann, nouvel enfant prodige de la bourgeoisie de gauche », David Fontano, Le Vent se lève, 30.01.2024 ; « Un autre Macron est possible », Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique, décembre 2018 ; « La révolution, c'est son rayon », Lisa Vignoli, Le Monde, 21.03.2014 ; « Dans la famille Glucksmann, le fils est conseiller de président », Piotr Smolar, Le Monde, 5.10.2011 ; ainsi qu'aux vidéos suivantes : « Un autre Macron est possible », Sébastien Fontenelle, Blast, 11.04.2024 ;  « Raphaël Glucksmann invité de Nadiya Lazzouni : les Ouïghours, la gauche, Nicolas Sarkozy, Palestine », Nadiya Lazzouni Show, 15.10.2020 ; « André et Raphaël Glucksmann [invités de Laurent Ruquier] », émission « On n'est pas couché », France 2, 1.03.2008. Ces références et quelques autres sont rassemblées dans un thread sur mon compte X (ex-Twitter).

[2] Notons que les deux autres participant·es à cet entretien du 14 novembre 2018 (l'économiste Thomas Porcher et la fondatrice de l'ONG Bloom Claire Nouvian) se sont vite éloigné·es de Raphaël Glucksmann et de Place publique (lire ici et ).

[3] En février 2022, M. Glucksmann est revenu sur son engagement passé en Géorgie dans un fil sur le réseau social Twitter. Extrait : « Puis il y eut l’invasion de la Géorgie en 2008. J’étais coincé une nuit à un barrage militaire russe au sud de Gori avec 2 autres journalistes et ma caméra. Les paramilitaires russes pillaient, tiraient. Soudain le Général Borissov, chef des forces d’invasion, vint vers nous : "Tas de pédés, rentrez chez vous baiser vos nègres, ici c’est pas l’Europe, c’est la Russie." [...] A cet instant, je me suis dit que faire un autre film ne suffisait pas. Que je voulais aider les Géorgiens. Le matin même, de retour à Tbilissi, j’ai été voir mes amis de la Révolution des Roses pour leur dire que je restais. »

[4] Une analyse de ses récents votes au Parlement européen sur Israël-Palestine a été proposée par Alma Dufour et Rima Hassan (lire ici, via Instagram), ainsi que par un ancien collaborateur de Manon Aubry, Matthieu Barberis (lire ici et , via Twitter). Le 19 octobre 2023, M. Glucksmann avait toutefois voté avec les eurodéputé·es insoumis·es et écologistes un amendement (non adopté) demandant une « pause humanitaire » à Gaza. Quelques jours plus tard, il avait fait paraître dans Le Monde une tribune, dans laquelle le terme « cessez-le feu » n'apparaissait que dans l'avant-dernier paragraphe, puis il s'était peu exprimé sur le sujet dans les semaines suivantes.

[5] Le site de campagne de M. Glucksmann ne propose pas un programme complet décliné par thèmes, contrairement aux sites de ses concurrents de gauche insoumis, écologiste et communiste. [Actualisation du 6 juin 2024 : un programme a finalement été présenté le 15 mai, soit un peu plus de trois semaines avant l'élection.]

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