sirine.alkonost (avatar)

sirine.alkonost

Perche Brandie

Abonné·e de Mediapart

138 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 novembre 2022

sirine.alkonost (avatar)

sirine.alkonost

Perche Brandie

Abonné·e de Mediapart

Voix d'Iran - Le prix que nous payons

Les Iraniens vont-ils arrêter de manifester ? Oublieront-ils que leurs fils et leurs filles ont été tués ? À chaque fois que nous allons dans un magasin pour acheter des œufs et du lait, on nous rappelle à la caisse que nous sommes des otages. Les otages ne peuvent pas oublier ce qu'ils sont.

sirine.alkonost (avatar)

sirine.alkonost

Perche Brandie

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le prix que nous payons

Les mercredis c'est ce qu'il y a de pire.

Il y a encore plus d'embouteillages que d'habitude (je suis à Téhéran, nos embouteillages sont légendaires) , et on doit finir toutes les choses qu'on n'a pas faites pendant le reste de la semaine (parce que chez nous, le week-end c'est le jeudi et le vendredi) et puis en même temps il y a les manifestations devenues habituelles, les rendez-vous du mercredi.

Le trafic est normalement si infernal qu'il n'y a pas vraiment besoin d'une autre excuse pour rentrer chez soi en disant "de toutes façons c'est une zone de guerre là-bas!".

Pour couronner le tout, hier ils ont coupé le peu d'Internet qui fonctionnait encore dans mon quartier.

Encéphalogramme plat, rien, sauf une ou deux applications à la noix que j'utilise rarement, et je ne sais même pas pourquoi je les ai.

Et puis je me suis réveillé ce matin, et c'était toujours pareil, mais environ une heure plus tard, Gmail a recommencé à fonctionner. Donc, nous avons Gmail maintenant, mais c'est tout. Ils bloqueront probablement tout jusqu'à minuit, quand ils seront bien certains que le mercredi est terminé.

Les événements ou "rendez-vous" sont nombreux. Chaque jour, tant de choses se produisent qui dépassent la capacité d'une seule personne, ou même d'un média puissant. Mais nous n'avons pas de médias puissants de toutes façons . Nous avons juste ces courtes vidéos, réalisées par des "journalistes citoyens", qui nous parviennent quand internet veut bien fonctionner.

La plupart de ces vidéos sont assez explicites pour que quiconque les voit ne veuille rien voir de plus pour la journée.

J'ai eu un moment de grâce étrange hier soir, niveau connexion internet. Pendant un moment, j'ai eu un accès internet presque normal et mon téléphone a réussi à télécharger deux ou trois de ces petites vidéos.

L'une d'elles montre qu'un homme a été abattu dans sa voiture, alors qu'il tentait d'échapper à un groupe armé. Dans une autre, le père d'une jeune femme décédée, brandissait sa photo et disait : « Ma fille manifestait sans arme. Elle protestait les mains vides. Quel a été son crime, pour que vous l'ayez abattue ? » ensuite il poursuit en disant qu'il n'aura de repos que quand….

Je ne me souviens plus comment il a formulé ce "quand". Et ça ne m'étonne pas, car ce "quand" , c'est un casse-tête pour moi depuis un mois. Quand quoi? Quand exactement saurons-nous que c'est fini ? Quel est le moment exact, en minutes et en secondes, où la République islamique sera officiellement terminée ? C'était quand pour la Libye ? Est-ce le moment où le colonel Kadhafi… eh bien, vous savez ce qui lui est arrivé. Est-ce vraiment vers cela que nous allons ? Serait-ce bientôt ?

La France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et tous ces autres pays décideront-ils un jour de fermer ces ambassades ? Ou continueront-ils simplement à regarder, et àattendre, jusqu'à ce que quelqu'un Kadhafise le chef suprême ? et quoi encore?

Franchement j'essaie, mais je ne parviens pas à comprendre ce qu'ils attendent.

Les Européens sont comme mon FAI, qui vient de me facturer tout l'Internet que je n'avais pas, oui, en totalité. J'ai la facture devant moi, elle n'a eu aucun mal à arriver jusqu'à moi, malgré le fait que je ne peux même pas voir les e-mails de ma propre femme. Les factures arrivent très facilement.

Toutes les compagnies de téléphone et d'électricité, de gaz et d'eau, leurs factures arrivent très bien. Mais je dois choisir mes batailles. Nous devons tous faire ce choix. Je dois payer les salauds des FAI, malgré le fait que je n'ai jamais pu me connecter à Internet réellement correctement depuis le premier jour - depuis le jour où j'ai su ce qu'était Internet. Malgré le fait qu'ils nous font payer le double, pour tout accès à des serveurs en dehors des frontières iraniennes, et malgré le fait que je n'ai même pas eu ce type d'accès au cours des 50 derniers jours.

Mais je dois faire le choix de ne pas décrocher le téléphone pour décharger ma frustration sur une pauvre fille qui travaille pour leur service clientèle. J'ai payé les factures. J'ai payé toutes mes factures.

Les Iraniens vont-ils arrêter de manifester ? Oublieront-ils que leurs fils et leurs filles ont été tués ?

A chaque fois que nous allons dans un magasin pour acheter des œufs et du lait, on nous rappelle à la caisse que nous sommes des otages. Les otages ne peuvent pas oublier ce qu'ils sont.

Et d'ailleurs comment est-ce possible ? Pourquoi y a-t-il encore des bouteilles de coca et Sprite et Fanta sur les rayonnages ? Comment se fait-il que ces corporations soient toujours au-dessus de la politique ?

Comment se fait-il que nos enfants soient obligés de crier "Mort aux USA" dans leurs écoles, et que pourtant, nous puissions dépenser notre argent pour acheter du Coca ? Non, ce n'est pas possible ! C'est impensable que cela puisse perdurer!

Bientôt, nous ne demanderons plus « si » la République islamique s'effondrera. Bientôt, nous jouerons tous à un jeu dont le nom serait "Démolition contrôlée".

Soyez prudent, car à mesure que ce jenga monstrueux qui s' élève depuis de nombreuses années touche à sa fin, il pourrait bien atterrir sur vos pieds.

Oui, attention, quand les puissants monstres et démons retomberont dans les abysses, ils pourraient bien vous saisir la cheville ou le poignet.

Ils ne s'en rendent peut-être pas encore compte, mais les pieds du monstre sont sciés - une petite entaille à la fois. Un œuf, un litre de lait et un réservoir d'essence à la fois, à chaque paiement, à chaque petite transaction, quand les gens paient pour ce qu'ils n'obtiennent pas.

Pour tous les petits déjeuners qui n'ont aucun goût, et pour tous les dîners finis avant d'avoir été entamés, et pourtant, toujours payés, comptant, avec de l'argent qui ne vaut rien.

Quand viendra donc ce moment? Comment pourrons-nous le reconnaître ?

Ce moment où nous obtiendrons enfin ce pour quoi nous payons si cher, depuis si longtemps ?

Nos vies comptent, soyez notre voix

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.