L'escalade de la violence
(note de la traductrice : ce texte m'a été envoyé par email ce matin. Suite à des remarques qui m'ont été faites,je précise à nouveau, à toutes fins utiles, que les billets intitulés "Voix d'Iran" sont tous des transcriptions d'appels téléphoniques ou des traductions de courriers électroniques/ conversations sur messageries instantanées avec mes proches, vivant à Téhéran et impliqués à divers degrés dans le mouvement en cours.)
Ce matin, j'ai à nouveau un accès acceptable à internet, et j'ai pu prendre un peu de temps, à mon réveil, pour voir ce qui s'était passé hier à travers le pays.
Je l'ai dit dès le début, quand ils coupent l'internet, c'est comme si ils éteignaient la lumière. Comme dans les films d'horreur, quand les plombs sautent juste avant l'arrivée des monstres qui veulent mettre en pièces la petite famille innocente ou le groupe d'étudiantes blondes et sexy.
Quand le régime coupe l'internet, ce n'est donc pas seulement pour nous empêcher de nous organiser efficacement entre nous, ou éviter que nous envoyions des informations ou des images aux médias étrangers, c'est aussi une technique d'intimidation, un moyen de bien faire entendre au peuple tout entier, même les gens qui ont préféré rester chez eux et regarder par la fenêtre, que le pouvoir est entre les mains du régime et nulle part ailleurs: "c'est nous qui avons le contrôle sur vos vies, et nous pouvons vous plonger dans le noir, quand nous le décidons, et dans le noir, nous ferons ce que nous voulons de vous".
Donc, j'ai pu regarder ce matin, ce que je n'avais pas vu hier. Et je n'ai pas été surpris de voir, à travers tous le pays, des scènes qui ressemblent à ce que j'avais pu voir, de mes propres yeux, dans mon quartier (à Téhéran).
Partout, les gens commencent à s'armer et à riposter avec plus de violence. Des vidéos de Karaj montrent qu'une voiture de police a été arrêtée et que les hommes à l'intérieur ont été roués de coups, et leurs armes leur ont été prises.
D'autres images montrent que les rues ont été barricadées et que des foules immenses ont envahi les autoroutes, à pied.
Au Balouchestan, les armes qui étaient restées dans les armoires commencent à sortir.
La violence augmente à nouveau, d'un cran. J'avais déjà parlé d'escalade, et le fait est que le guide suprême et ses sbires n'ont jamais eu d'autre stratégie que celle ci depuis le début . Peut-être même est-ce ainsi qu'ils traitent leurs propres femmes et enfants, qui sait.
Tout ce qu'ils savent faire, c'est augmenter les prix.
Je ne veux pas faire de mauvais jeu de mots, mais en effet, ils le font à la fois économiquement et en termes de coûts humains.
Et en ce qui concerne les coûts humains, il faut savoir que les vies humaines sont toujours incluses dans l'équation lorsqu'il s'agit de traiter avec la république islamique.
Chaque fois que quelqu'un a quelque chose à dire sur la façon dont les choses se déroulent, on finit toujours par en venir à la question ultime : « Donnerais-tu ta vie pour ça ? ».
Et ça, ça semble faire partie intégrante de la culture chiite. Ou, du moins, cela fait partie intégrante de la version de la foi chiite que la République Islamique a décidé d'imposer à son peuple.
Ils aiment résumer ce concept avec la phrase: "Le sang l'emporte sur l'épée"
Cette victoire du sang sur l'épée, ce n'est pas une invention chiite. Cela remonte à loin, et si on l'observe d'un point de vue mythologique, alors c'est plus ou moins comme une "empreinte", visible sur tous les plans de l'existence, et que différents peuples ont découverte au fil du temps. C'est une découverte plutôt qu'une invention, et elle appartient à l'humanité, pas à une poignée d' âkhound.
Néanmoins, ces âkhounds là, ceux qui tiennent les rênes de la République Islamique, ils adorent cette idée, et ils pensent que c'est un secret ou une doctrine très importante qui n'appartient qu'à eux.
Alors comment le « sang » gagne-t-il ? Eh bien, techniquement, le "sang" gagne, parce que "Le sang appelle le sang".
Ou en d'autres termes, le sang gagne, parce qu'il met les gens en colère, et ils s'en prennent alors à l'oppresseur pour se venger, ou pour se défendre, question de perspective.
Diriez-vous que le comte Dracula a été attaqué par les villageois dans son château parce qu'ils voulaient se venger ou se défendre ?
Quoi qu'il en soit, ce que j'essaie de faire valoir, c'est que techniquement, le sang ne gagne pas, et que l'épée appelle le sang, et que plus de sang appelle juste plus d'épées.
Et tandis que nous pouvons être hypnotisés ou que notre conscience peut être maîtrisée par l'utilisation de métaphores et de paraphrase, la réalité sur le terrain, c'est ce qui gagne toujours
Les villageois ne peuvent pas attendre que les philosophes décident, si oui ou non le comte Dracula devrait être attaqué, ou avec quelles armes cela devrait arriver.
C'est un fait tragique de la vie. Notre comte Dracula, ici en Iran, décide du niveau de violence et de la quantité de sang- en litres, j'en ai peur- qu'il nous en coûtera pour atteindre notre liberté (sans parler de la langue qu'il parle au reste du monde, de son programme nucléaire et de sa course aux armements).
Comme je l'ai dit, depuis le début ce régime sanguinaire n'a jamais rien produit d'autre que cette escalade de la violence.
Nous voilà donc aujourd'hui. A la fois le 3eme, le 7eme et le 40eme jour de deuils d'un stock de victimes sans cesse renouvelé.
Le peuple iranien a été très patient jusqu'à présent, alors que son "Dracula" a prélevé du sang tous les jours, sur des dizaines, des centaines de victimes, sur nos enfants et nos femmes.
Ce matin, une des vidéos que j'ai vues, montrait la mère de Sattar Beheshti, qui disait "Cela fait 10 ans maintenant qu'ils ont tué mon fils". Et elle a littéralement dit « cette république islamique est une buveuse de sang ».
Nous n'avons pas vraiment l'idée de vampires dans notre culture, sinon elle aurait sans doute utilisé ce mot..
(note de la traductrice: Sattar Beheshti, blogueur arrêté en 2012 par la "police de l'internet" suite à des propos critiques contre le régime, est mort quelques jours après son arrestation, et après avoir dénoncé publiquement les tortures qu'il avait subies.)
La mère de Sattar, c'est aussi une des ces dames âgées qui ont enlevé leurs voiles récemment, en signe de protestation contre le régime. Elle nous demande de tenir bon et de continuer à nous battre, et elle dit que le régime est en train de tomber, et qu'il n'en reste plus grand-chose.
Mais cela me fait poser une question; «Est-ce que cette violence s'arrêtera après la chute du régime ? »
Aurons-nous un Nelson Mandela à la fin, qui se lèvera et demandera au peuple d'arrêter de chercher à se venger ?
Après tout, une fois que le régime sera tombé, il n'y aura aucun moyen d'appeler cette violence «défense », n'est-ce pas ? si elle persiste, ce sera par "vengeance", de toute évidence.
Il y a des groupes qui travaillent à l'extérieur de l'Iran, pour former des plans de transition et ce genre de choses.
Mais aussi bonnes que soient les intentions des gens qui nous soutiennent, de l'extérieur, il ne faut pas oublier que ce sont indubitablement les gens qui sont à l'intérieur, à savoir, principalement, ceux qui sont en prison aujourd'hui, qui sortiront un jour et seront les Nelson Mandela dont nous avons besoin.
Gardez cela à l'esprit, vous qui appréciez la liberté d'expression dont vous disposez.
Personne n'a réellement la parole en ce moment, ici en Iran. Je pense que bientôt, le rapport de force commencera à s'équilibrer davantage, et alors seulement, nous pourrons évaluer les choses correctement.
En attendant, il faut braquer sur ce régime les projecteurs de l'attention internationale, ne serait-ce que pour éviter qu'ils profitent du silence des médias et de l'obscurité qu'ils savent si bien maîtriser, pour "faire le ménage" dans les prisons, et priver l'Iran de tous ceux qui sont destinés à être les acteurs d'une vie politique libre, dans le monde d'après.
Nos vies comptent, soyez notre voix