sirine.alkonost (avatar)

sirine.alkonost

Perche Brandie

Abonné·e de Mediapart

138 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 novembre 2022

sirine.alkonost (avatar)

sirine.alkonost

Perche Brandie

Abonné·e de Mediapart

Contre le fascisme, soyez une femme iranienne

Toute protestation contre le régime, qu'elle émane de la société civile, de militants, d'interlocuteurs étrangers ou même de partenaires commerciaux tombe donc fort commodément sous le coup des accusations de "collusion avec l'ennemi", "complot contre révolutionnaire" ou tout simplement "espionnage", passibles de la peine de mort.

sirine.alkonost (avatar)

sirine.alkonost

Perche Brandie

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet article est consacré à la nature fasciste du régime actuellement en place en Iran.

Le régime pratique, on le sait, un "apartheid de genre" amplement documenté. Cet article ne s'attardera pas sur la question de savoir si cet apartheid de genre est un fait religieux authentique ou non, car dans un cas comme dans l'autre, le résultat est le même: naître femme en Iran prive légalement l'individu concerné de certains des droits dont il aurait disposé, fut-il né doté d'attributs masculins.

Mais cet apartheid de genre n'est pas la seule manifestation de la nature fasciste du régime de la République Islamique. 

Je ne suis ni historienne ni politologue, mais je suis très familière de la façon dont l'Histoire (de la France, de l'Europe et du monde) est enseignée aux enfants français, et donc du niveau de compréhension minimum dont les lecteurs potentiels des contenus que j'essaie de diffuser sur ce blog disposent (je sais bien que la plupart en savent davantage, mais je préfère partir de la base, surtout pour parler d'un pays aussi mal connu et incompris que l'Iran). 

Bref, je sais que vous avez appris à l'école ce que c'est qu'un régime fasciste, et ce que cela implique, pour sa population comme pour le reste du monde, qu'un tel régime puisse prospérer. 

Le régime de la République Islamique n'a pas seulement transformé légalement la moitié de sa population adulte en "mineures de fait" (autorisation de voyager soumise à l'approbation du garant masculin, droits moindres à l'héritage et valeur moindre du témoignage, interdiction de nombreux comportements et activités permis aux hommes, obligations vestimentaires, etc.) mais elle pratique également la discrimination ethnique, à l'encontre de ses minorités et immigrés (kurdes, baloutches et afghans en tête, avec des violences institutionnelles allant jusqu'à la privation de documents d'identité, sans parler d'un racisme systémique au sein des forces de l'ordre, servi par un discours officiel de méfiance envers des populations considérées comme ennemies de l'Etat, voire comme une menace terroriste) et d'une manière générale à l'encontre de tous ceux qui sont considérés comme des "citoyens de seconde zone", comme par exemple les minorités religieuses, ou les personnes LGBT (contrairement à ce que l'ancien président Ahmadinejad a déclaré, lors d'un discours devant des étudiants américains je crois, où il répondait à une question sur l'homophobie en Iran en affirmant qu'il n'y avait pas d'homophobie en Iran, car, contrairement à l'occident, il n'y avait pas d'homosexuels en Iran... Je vous assure qu'il y a bien des personnes LGBT, et on ne les laisse pas du tout tranquilles, et il y a même des exécutions pour ce motif). 

Ce n'est pas pour rien que je cite cette sortie délirante d'Ahmadinejad sur l'absence d'homosexuels en Iran: cela relève d'une idée très familière de tous ceux qui s'intéressent au fascisme: la suprématie d'un peuple. "Il n'y a pas d'homosexuels en Iran car l'Iran est pur, et noble, et fort, et non dépravé et décadent comme l'occident". Et donc tous ceux qui n'adhèrent pas à l'idéologie de ce régime tenu par des "élus de dieux" qui ont les "bons gènes" (véridique ! Y'a même un hastag "bons gènes", aujourd'hui surtout utilisé pour les dénoncer ou les tourner en ridicule, mais initialement utilisé au premier degré), ne sont finalement même pas des iraniens, ils ne méritent aucune protection, ils n'ont aucun droit. 

Cette idée de citoyenneté de seconde zone, typique des idéologies fascistes, permet à la fois de dédouaner le régime de toutes ses exactions à l'encontre de ces "ennemis de l'intérieur" et de ceux qui les soutiennent, et de proposer aux couches les plus défavorisées de la société, comme à ceux qui espèrent en tirer le maximum de profit, des moyens de "s'élever" (socialement, économiquement) en adoptant et en servant sa doctrine fasciste. En Iran, cela vient avec un bonus: être du côté de dieu. 

Le pouvoir détenu par le bras religieux du pouvoir (même si quasiment tous les postes importants sont occupés par des âkhounds, il y a bien officiellement deux branches dans le pouvoir iranien: la branche religieuse, menée par le "guide suprême" au pouvoir absolu et incontesté et la branche executive (pas exclusivement cléricale) , menée par un président élu, actuellement Ebrahim Raïssi. Même si on peut légitimement se poser des questions sur les processus électoraux dans pareil contexte, ce dernier n'a pas été nommé, ni appointé à vie) est un pouvoir de droit divin, qui repose sur la supériorité religieuse absolue d'Ali Khamenei, "guide suprême" et héritier du premier tenant du titre, Ruhollah Khomeyni, leader de la Révolution Iranienne de 1979 et père fondateur de la République Islamique. 

C'est le guide suprême qui valide les candidatures à l'élection présidentielle, par le biais d'un processus de sélection totalement arbitraire et donc choisit, de fait, qui sera le président élu par le peuple. 

Les tentatives de "réforme" de la République Islamique dont vous avez entendu parler dans les médias français à intervalles réguliers, s'appuyaient sur l'idée de faire évoluer le régime, de l'intérieur, en fournissant aux élections présidentielles des candidats suffisamment acceptés par le système pour "passer les sélections" mais suffisamment intègres (et stratèges) pour poursuivre l'œuvre de réforme, une fois au pouvoir. 

La réaction du régime à cette stratégie (emprisonner ou assigner à résidence les leaders réformistes, truquer les élections, réprimer les protestations populaires dans le sang, ridiculiser le président élu en exposant son peu de pouvoir effectif, puis littéralement refuser TOUTES les candidatures crédibles lors de la dernière élection, afin d'assurer la victoire à leur propre candidat) est également caractéristique des pratiques connues des régimes fascistes.

L'histoire de l'Iran, et la constance des interventions des gouvernements étrangers (directement ou plus souvent par le biais de leurs services secrets) à chaque étape de son développement politique, sont d'un très grand secours au régime aujourd'hui pour un autre des traditionnels outils d'une gouvernance fasciste: la défense de l'identité nationale face aux agressions de l'étranger. Car tous les iraniens savent bien que c'est vrai, que les puissances étrangères se sont toujours donné le droit de payer des révolutions et des coups d'état pour servir leurs intérêts financiers ou géopolitiques. 

En Iran, on parle principalement de "l'Ouest", où "Occident", un monstre à trois têtes plus ou moins mises en avant suivant les circonstances, à savoir l'Amérique, l'Europe et Israël. Plus récemment, on note des charges similaires sur l'Arabie Saoudite. 

Toute protestation contre le régime, qu'elle émane de la société civile, de militants, d'interlocuteurs étrangers ou même de partenaires commerciaux tombe donc fort commodément sous le coup des dangereuses accusations de "collusion avec l'ennemi", "complot contre révolutionnaire" (dans le contexte actuel, il semble pertinent de rappeler que dans le discours officiel, c'est le régime qui est "révolutionnaire", car fidèle à la révolution de 1979) ou tout simplement "espionnage".

Toutes ces accusations sont passibles de la peine de mort. 

Je ne saurais trop insister sur ce point, qui est ces jours ci relayé presque incidemment par les médias qui prennent la peine d'en parler : les personnes qui ont été arrêtées depuis le début du soulèvement (estimation basse: 14 000 personnes) sont actuellement accusées de ces crimes.

Ce sont ces gens là, les gens qui sont venus manifester contre le hijab obligatoire, contre la dictature, et pour réclamer la liberté d'expression, et la fin de la République Islamique, qui sont actuellement menacés d'exécution. Des citoyens lambda, parfois des lycéens. 

En l'écrivant je me demande comment cela peut laisser le monde aussi impassible...

Depuis que je relaie sur le blog mis à ma disposition par Mediapart les témoignages de mes proches, certains lecteurs, plus ou moins bien intentionnés, plus ou moins bien informés eux-mêmes, ont remis en question ma bonne foi, ou la réalité même des témoignages que je traduis.

Je ne demande à personne de me croire sur parole, et je suis la première à encourager tout citoyen responsable à chercher lui même la vérité par tous les moyens, mais je voudrais ajouter ici un fait bien réel:  mes proches et moi-mêmes sommes des citoyens lambda, ni encartés là-bas, ni fichés ici (à ma connaissance...) mais le simple fait pour eux de me faire parvenir les messages que vous lisez presque chaque jour sur mon blog constitue un motif suffisant pour leur arrestation et leur condamnation pour "trahison", "espionnage" et "corruption sur terre". 

Cette simple réalité devrait, à mon sens, se suffire à elle même. Peu importe après tout, si ce que racontent mes témoins est représentatif de l'ensemble du soulèvement, ou même juste "vrai".  Un régime qui assume d'arrêter et de condamner ses citoyens pour avoir communiqué avec l'étranger, est un régime fasciste. 

Si vous vous sentez frustrés de ne pas avoir accès à toutes les informations qui vous permettraient de vous faire votre propre opinion, si vous vous demandez pourquoi les iraniens ne viennent pas eux mêmes à la télé vous raconter tout ça, je vous propose quelques hashtags en persan, à tester dans la barre de recherche de vos réseaux sociaux. 

Vous ne comprendrez pas les textes (la traduction automatique de Google est souvent surréaliste), et vous serez vraisemblablement exposés à des messages relevant de la manipulation et de la désinformation, sans pouvoir les distinguer des autres, mais vous aurez un aperçu de ce que les iraniens ont à craindre, pour eux-mêmes et pour leurs enfants, à partir du moment où ils font, même massivement, même tous unis, le choix d'affronter la dictature fasciste qui les opprime. Ce risque est multiplié, de manière exponentielle, à partir du moment où l'on choisit de se livrer à cet affrontement sur le terrain médiatique. 

Alors je vous le demande, est-ce vraiment juste "leur problème"? 

امیرحسین_بساطی#

سارینا_اسماعیل_زاده#

نیکا_شاکرمی#

مهرشاد_شهیدی#

حديث_نجفى#

جواد_حیدری#

خدانور_لجعی#

Ces hashtags ne sont pas des mots-clés partisans ou révolutionnaires. Ce sont simplement des noms. Ceux d'iraniens différents en âges, genres, confessions et origines (ethniques comme sociales), qui ont en commun de s'être opposés au régime lors des manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini. Il y avait l'embarras du choix, hélas, et ma sélection a été guidée par la diversité des profils. J'ai aussi veillé à ne sélectionner que des victimes dont l'identité et les circonstances du décès avaient été vérifiées par des organismes indépendants de défense des droits de l'homme. 

Si ce résumé vous a été utile, merci de le partager. 

Les Iraniens sont sans illusion concernant le soutien des grandes puissances étrangères, la plupart d'entre eux pensent que les intérêts financiers et politiques pèseront toujours plus lourd que leurs vies, ou que combat pour la liberté, dans l'escarcelle de nos politiciens. Et ils savent aussi que lorsque ce "soutien" viendra enfin, il sera assorti de conditions qui en feront peut-être un poison. 

Mais tout comme ils savent que "les Iraniens" c'est un terme bien vague, qui englobe aussi bien le peuple en lutte que le régime qui les oppresse, ils savent aussi que "les occidentaux", ce ne sont pas que les dirigeants pour qui rien ne compte plus que leur prospérité économique et la préservation d'un statu quo qui préserve leurs intérêts économiques et financiers.

"Les occidentaux" , ce sont aussi les citoyens de ces pays, qui ont encore une relative liberté de choix et d'expression, et un accès presque illimité à l'information et aux moyens de communication. 

Ne confondons pas ingérence et solidarité, ou pour le dire plus crûment, n'essayons pas de cacher notre indifférence collective sous le noble manteau de la tolérance et du respect. 

Je suis humain, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger.

Je suis une femme Iranienne. Vous aussi ? 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.