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Billet de blog 14 décembre 2022

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Fenêtre sur l'Iran: une autre façon de "créer des liens"

J'inaugure avec ce billet une nouvelle catégorie, dont la pérennité dépendra de votre intérêt, alors n'hésitez pas à me faire savoir, ici ou sur les réseaux sociaux (facebook/twitter/instagram) si vous êtes clients !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'ai été très touchée et surprise par les messages et commentaires de lecteurs qui m'ont été adressés depuis mon semi post d'adieu intitulé "Tout est dit".

Ils m'ont fait prendre conscience que mes billets quotidiens étaient devenus, au fil des semaines, pour certains d'entre vous, davantage que ma modeste tentative d'amplifier les voix bâillonnées de mes concitoyens en lutte, pendant ce qu'on ne peut plus appeler autrement que leur révolution contre la dictature fasciste qui les opprime depuis quatre décennies. 

Bien sûr, c'était le but, mais je vois a présent que ce blog est devenu, d'une façon moins tragique, moins urgente, presque anecdotique, une fenêtre sur un pays que certains d'entre vous aimaient déjà, que d'autres étaient curieux de découvrir et auxquels vous semblez prêts à accorder votre attention, votre bienveillance et même votre amitié, vous défaisant parfois au passage des préjugés accumulés pendant toutes ces années de relatif silence des médias ou de franche désinformation en provenance du régime. 

Or cette notion de fraternité, de solidarité, d'amitié, ce désir de mieux se connaître et de "créer des liens", c'est précisément ce qui sauvera l'Iran de l'obscurité et du silence. Nous ne cessons de le marteler depuis des semaines, quand nous vous appelons à l'aide, ce n'est ni à votre argent, ni à vos contrats d'armement, à vos mercenaires ou même à vos ressources d'accueil que nous en avons, mais bien à votre regard et à votre voix. A votre attention et à votre soutien. 

Alors je me suis dit que j'allais pirater mon propre blog, et l'utiliser pour vous parler un peu de l'Iran, créer, en marge des traductions de témoignages de la catégorie "Voix d'Iran", une nouvelle catégorie, plus légère, qui n'aurait pas vocation à s'afficher en Une ni à être relayée massivement, car elle ne relève pas de l'urgence. 

Juste de petits billets, écrits spécialement pour ceux d'entre vous qui voudraient créer des liens, en anticipant un peu sur le jour plus si lointain où vous pourrez tous venir découvrir, sur place, les couleurs d'un Iran libre.

Pour inaugurer cette catégorie "Fenêtre sur l'Iran",  je vais donc commencer par le début, en vous proposant un billet au goût d'enfance, avec un petit côté vintage.

Le B-a Ba, littéralement:

Votre première leçon de Persan, à la façon des manuels scolaires des années 80.

بابا اب داده

Bâbâ âb dâd

Bâbâ c'est "papa", et âb c'est "l'eau"

Dâd, c'est le verbe donner, à la troisième personne du singulier, et au passé

Bâbâ âb dâd, "papa a donné de l'eau"

Une phrase de trois mots, d'une grande simplicité, pour apprendre les lettres A, B et D

À la leçon suivante, la lettre N est introduite :

بابا نان داد 

Bâbâ nân dâd

"Papa a donné du pain" 

Outre le rôle assez stéréotypé de la figure paternelle, on peut remarquer que le A comporte un accent circonflexe.

C'est parce que dans tous ces mots, il s'agit d'un a "long" qu'on prononce presque comme un O, alors que le A "court", que l'on transcrit par un "a" normal, se prononce comme en français.

Prenons un exemple, moins patriarcal cette fois:

"Mahsâ Jinâ Amini"

Quatre A, deux prononciations différentes.

Mais je sens que je vous perds, il est temps de passer aux photos!

Je voulais d'abord vous montrer une vraie page de manuel. Après votre première leçon, vous devriez être capable de la déchiffrer pas vous-même:

Illustration 1

Cela vous permet aussi d'avoir vous aussi, maintenant, une référence visuelle de manuel classique de première année d'école. De cette manière, vous aussi, comme tous les iraniens qui ont appris à lire en Iran, pourrez comprendre la force des images suivantes.

Tout d'abord, ce détournement d'une photo déjà superbe en elle-même, d'une femme en tchador traçant le slogan "femme, vie, liberté" sur un mur ensoleillé (devenue maîtresse d'école dans l'Iran libéré de l'image suivante).

Illustration 2
Illustration 3

Et ensuite, cette réinterprétation complète d'une des premières leçons du manuel scolaire dont nous parlions à l'instant:

Illustration 4

Les mots sous la colombe sont le titre de la chanson de Shervin "Barâyé âzâdi", les trois mots en rouge, en bas, vous les avez reconnus si vous avez bien regardé la photo précédente : "zan, zendegi, âzâdi" soit, "femme, vie, liberté"

Entre les deux, copiant le design d'une leçon type du manuel, et utilisant presques les mêmes phrases, à quelques détails près, ce texte terrible:

Papa a versé son sang

Maman a pris une balle

Mon frère a été arrêté 

Pour que nous soyons libres

Voilà, c'était votre première leçon de Persan.

Dites moi si cela vous intéresse, que je vous parle un peu de l'Iran, de temps en temps. Moi ça me plairait assez, je pense. Ça ferait une petite respiration, et cela vous permettrait de mieux nous connaître, un peu à l'écart des cocktails moltov, des appels à la grève et des foulards de nos lycéennes qui brûlent à la barbe des mollahs. 

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