J'essaie d'écrire tous les jours depuis la mise en ligne du premier article de ce blog.
Je n'ai pas écrit hier, et je n'ai pas de témoignage à partager aujourd'hui.
Ce n'est pas vraiment un problème d'internet. Le black-out est toujours réel, mais les iraniens trouvent de plus en plus de moyens de le contourner.
Je ne sais pas si c'est une bonne idée de dire clairement ici comment ils font, car j'ignore si les stratagèmes qu'utilisent mes contacts sont de notoriété publique, ou encore des "secrets" à protéger de l'attention du régime.
Cela dit, si vous suivez l'actualité de l'Iran sur Twitter ou Instagram, vous avez du constater que la communication passe un peu mieux, les vidéos et messages circulent, les comptes instagram de citoyens iraniens lambda sont aussi, pour certains, revenus en ligne.
Alors pourquoi je n'ai pas de texte à partager avec vous ce soir ?
1) ce soir, les iraniens de l'intérieur comme de l'extérieur, se posent des questions sur la réalité, l'identité et les motivations du groupe de hackers qui menace de dévoiler ce soir à minuit des tas d'informations sensibles sur le programme nucléaire. Mes interlocuteurs ont des avis très divergents sur la question et aucun n'a d'expertise particulière (du coup, étant moi même totalement ignorante sur le sujet, je ne saurais pas quoi ecrire) , mais une chose est sûre tous sont inquiets des conséquences, si cette menace était mise à exécution.
2) il y a un sentiment d'effarement face à certaines nouvelles venant des zones frontalières, les actes de violence d'état se multiplient, un de mes contacts m'a dit que Shirin Ebadi (avocate, juge et prix Nobel de la Paix) s'était exprimée publiquement pour dire que si le peuple Baloutch avait recours à la révolte armée en réaction aux violences dont il est victime, ce serait juridiquement défendable. Je n'ai pas encore trouvé de référence en ligne, donc je vous livre ça comme ça... Vrai ou pas vrai, de toutes façons, ça en dit long sur le climat.
3) même effarement concernant les violences contre les très jeunes. Habitués depuis des décennies aux pratiques de ce régime, la plupart des gens restent malgré tout stupéfaits du nombre d'incidents impliquant des enfants. Ils sont aussi assez impressionnés par le fait que "les écolières" (en fait surtout des étudiantes et lycéennes, et des garçons aussi, mais la présence de très jeunes filles parmi les victimes a popularisé l'utilisation du terme "dokhtarak", soit "fillette") ne se laissent pas bâillonner, et continuent à se rebeller, malgré les violences et les morts.
4) en plus de la sidération, je pense qu'il y a de plus en plus de peur, quand même. J'ai constaté que plusieurs comptes de réseaux sociaux (par exemple "rich kids of tehran") ont annoncé cesser leurs activités pour raison de sécurité. Des journalistes et même des simples citoyens postent des messages disant "à toutes fins utiles, je voudrais déclarer que je n'ai aucun problème cardiaque, ni aucune intention de me suicider" . Et parmi mes contacts, plusieurs m'ont questionnée au sujet de la nature des précautions que je prends pour protéger mon identité et celles de mes sources, alors que jusqu'ici ils me faisaient juste confiance.
Je pense, quand même, que l'attention internationale a un effet réel.
Je suis convaincue que c'est grâce au bruit qu'il y a eu autour de la disparition d'Elnaz Rekabi (la championne d'escalade qui a concurru à Séoul sans hijab) que cette dernière n'a pas été emprisonnée à son retour (même si elle a semble-t-il subi des pressions pour declarer en interview que son défaut de hijab était involontaire, et qu'elle est à présent en résidence surveillée).
Accorder de l'attention à ce qui se passe en Iran, dans nos médias, sauve littéralement des vies.
Leurs vies comptent, faites entendre leurs voix.
Avec le retour de certains VPN efficaces, certains de mes contacts ont entendu ceci:
Ce n'est qu'une chanson, mais même juste ça, juste le fait de savoir qu'une autre "fillette", à des milliers de kilomètres, répondait à leurs propres fillettes...a eu plus d'impact que je ne l'aurais imaginé.
Et vous aussi vous avez plus de pouvoir que vous ne l'imaginez, avec vos clics, vos voix, vos partages, vos commentaires, vos questions. Emparez vous de ce combat, c'est légitime : il va en réalité bien plus loin que les frontières de l'Iran, ou le sort de sa population.
Le combat contre l'oppression ne devrait pas connaître de frontières.