"Crois-tu vraiment que la Révolution va à coup sûr triompher du Régime, ou bien est-ce quelque chose que tu dis pour galvaniser les gens qui te lisent ?"
Tu crois que je fais de la propagande ? C'est comme ça que je prends ta question, en tous cas.
Et dans ce cas, laisse-moi te rappeler une chose: l'une des principales qualités de la République Islamique à longtemps été qu'elle croyait en ses propres mensonges. Je ne vais certainement pas jouer à ce jeu là moi-même.
(note de la traductrice: je tiens à préciser que ma question a été très mal interprétée par mon interlocuteur, que je n'accusais pas du tout de faire de la propagande. Mais bon, la réponse est intéressante, c'est l'essentiel)
Depuis 43 ans, la République Islamique ment à tout le monde, y compris à elle-même. Et ça, ça a commencé avant même la révolution de 1979. Ils ont tellement menti sur tout, juste pour pouvoir renverser le Shah, qu'ils s'y sont habitués, et c'est devenu une partie de leur culture et de leur identité.
"La fin justifie les moyens". C'est ce qu'ils pensent. Ils ont adopté de nombreux traits de leur aile gauche, qui comptait de nombreux experts en propagande avec un net penchant pour les cultes de la personnalité, et les trucs du genre (pas la meilleure facette du communisme, si vous voulez mon avis).
Je pense que beaucoup d'entre nous ont appris de cette expérience que ça ne vaut pas la peine de mentir. Et beaucoup d'entre nous en sont venus à détester la « propagande » jusqu'à la moelle de chacun de leurs os.
Je ne fais pas de propagande. Je déteste ça. J'ai été nourri de propagande toute ma vie, et je n'arrive pas à m'y habituer, et chaque fois qu'on me sert une assiette de ce matériel, (remplacez "matériel" par n'importe quel mot que vous aimez. J'essaie juste d'être poli), peu importe à quel point il est joliment décoré et camouflé, j'ai un réflexe nauséeux !
Il y a des choses dans la vie auxquelles on ne peut jamais s'habituer. Vous ne pouvez pas vous habituer à avoir faim. Vous ne pouvez pas vous habituer à être insulté. Vous ne pouvez pas vous habituer à être violenté sous quelque forme que ce soit. Et la propagande, c'est de la violence pure et simple.
On ne s'en rend peut-être pas compte au début, mais avec le temps, vous verrez que la propagande est toujours un mensonge, même quand la cause est "bonne", et le mensonge est toujours une violence.
Alors, oui, je crois en chaque mot que j'écris. Bien sûr, cela ne signifie pas que j'aie obligatoirement raison ni ne garantit que ce que je dis soit correct, mais j'écris ce que je crois et j'essaie de faire attention à ne pas tomber moi-même dans ce piège.
Par piège, j'entends le risque de mettre ma confiance et ma foi dans quelque chose qui n'est pas vrai. C'est en effet un terrible piège dans lequel tomber. Mais vraiment je souhaite tellement que ce régime s'en aille et fasse partie de l'histoire...
Et la seule façon d'empêcher une société de tomber dans un tel piège est de garantir sa liberté d'expression.
La liberté de pensée et la liberté d'expression sont au sommet de ma liste, dans toute discussion. Parce que si je retire ce droit à quelqu'un, pour qu'il ne puisse pas me prouver que j'ai tort, je tomberai tôt ou tard dans ce piège.
Je finirai par dire quelque chose qui n'est pas correct, et je croirai que c'est vrai, peut-être juste parce que je le souhaite trop fort, et alors personne ne pourra me contredire.
C'est exactement ce qui est arrivé à la République Islamique: la mort de la démocratie est venue, parce que la liberté d'expression n'était pas sacrée et qu'elle est devenue sacrifiable. Comment cela s'est passé, eh bien, c'est une longue histoire...
La liberté d'expression, c'est la pierre philosophale, qui transforme le plomb en or. Et malheureusement, il y a ceux dans le monde qui dépensent tout l'or qu'ils ont pour détruire cette pierre. Une erreur courante, je dirais, parmi les pages de l'histoire de l'humanité.
Mais toute société avancée le sait, c'est la dernière barrière. C'est la frontière entre « vivre » et « juste être maintenu en vie».
Si j'utilise le passé pour parler de la République Islamique, et de sa qualité de croire en ses propres mensonges, c'est parce que je pense qu'à ce stade, il est devenu pratiquement impossible pour toute personne dans les rangs de ce régime meurtrier, de croire plus longtemps à ses mensonges.
Les mensonges ne sont plus qu'une habitude à ce stade. Je doute qu'une personne sensée puisse encore croire que "Mahsa a eu une crise cardiaque", "Asra s'est suicidée", "Nika est tombée du toit", "Elnaz a oublié de mettre son hijab", "il y a très peu de manifestants", "nous sommes l'une des plus grandes puissances sur terre"...
Je suis sûr qu'un jour il y aura de gros livres sur ces mensonges. À l'heure actuelle, il est devenu presque impossible de penser que quiconque croie réellement ces choses. C'est pourquoi j'ai utilisé le passé: la république islamique est finie et elle ne le sait pas encore. En tous cas c'est ce que je crois, moi, aujourd'hui.
La république islamique a choisi de lier son destin au hijab obligatoire pour les femmes, et elle a scellé son destin, mensonge sur mensonge, allant de « nous avons inventé une machine qui détecte le COVID-19 à 100 mètres de distance » à « nous n'avons pas tiré sur cet avion » en passant par « Sarina a sauté du 5ème étage».
La leçon à retenir ici, c'est qu'il faut rester en contact avec la réalité, sinon nous aurons une foule en colère qui cherchera à nous pendre, tôt ou tard.
La liberté d'expression est le remède. Cela garantit que personne n'essaie de faire basculer tout le monde dans quelque chose de stupide.
Cette liberté, elle peut vous être enlevée par l'usage du pouvoir. Et le pouvoir, il prend différentes formes. Le pouvoir n'est pas que dans les armes à feu. L'argent c'est aussi le pouvoir. Et il y a aussi d'autres interprétations.
Alors, oui, je crois en ce que je dis, mais qui sait ! Je peux me tromper! Vous devez penser par vous-même, moi j'essaie juste de vous y aider.
Ce qui suit s'adresse à présent en priorité aux Iraniens de l'étranger ou à ceux qui ne sont pas iraniens mais sont assez malins pour avoir compris que ce combat les concerne quand même.
Il est impératif que nous maintenions le cap, et ne nous laissions pas ralentir.
Plus vite nous ferons bouger les choses, plus vite ce régime tombera, et cela sauvera des vies.
Cela sauvera la vie des gens dans la rue et sur les autres fronts, comme dans les écoles et les universités, et à l'intérieur des prisons, où nos frères et sœurs font l'expérience d'un degré de haine et de douleur qui ne peut être expliqué en quelques mots.
Mais nous n'avons pas besoin de mots, nous savons tous ce qui se passe. Pas besoin d'expliquer davantage.
Nous devons apporter de nouvelles idées et nous réinventer chaque jour.
Les « think tanks » de la république islamique doivent être confrontés à un feu continu de notre part.
Je voudrais vous demander à ce stade de former vos propres groupes de réflexion et de créer des documents écrits, des fichiers PDF, des portfolios d'images et autres, qui pourraient contenir n'importe lesquels de vos idées, de vos messages, même vos preuves d'amour, à destination de nous autres qui luttons à l'intérieur.
Envoyez vos fichiers et demandez à "quiconque les trouve" de les imprimer et de les diffuser sur un quelconque support physique.
La présence physique des choses est importante. La République islamique doit être confrontée partout-pas seulement sur internet- à toutes sortes de problèmes que vous lui créez.
Vous avez les moyens et la sécurité de créer des "messages du matin" ou des "messages du soir", des tracts, des chansons, des poèmes. Mettez de l'information, de l'amour et de la créativité sur des fichiers et faites-les diffuser partout.
Lorsqu'il s'agit de mener des combats comme celui-ci, l'ampleur de la violence est toujours le signe que le système est poussé dans ses derniers retranchements.
Nous ne pouvons pas et nous ne voudrions même pas être aussi violents en retour et montrer le même genre de qualités que nos oppresseurs.
Même si nous nous réservons le droit de nous défendre dans le cadre de ce qu'on appelle à juste titre la "légitime" défense, nous devons avant tout rester fidèles à ce que nous sommes.
Et assurément, nous ne parlons pas le langage de la violence et du sang. Nous parlons le langage de la créativité, et de la vie, nous parlons une langue qui a pour nom "Femme - Vie - Liberté" .
Cette révolution « sans leader», c'est un travail d'équipe. Il s'agit pour chaque membre de l'équipe de trouver sa place et sa tâche par lui-même.
Si vous êtes intelligent, et si vous regardez autour de vous, vous verrez vous-même ce que vous devez faire.
Ce sera assez clair, sans que personne ne vous le dise, parce que vous êtes forcément un expert dans "quelque chose" , et vous savez mieux que quiconque comment ce "quelque chose" peut être utilisé.
Le moment venu, nous sommes nombreux à rêver que notre pays reste pour toujours « sans chef », et qu'il ait enfin de véritables serviteurs.
Et nous serons prêts à choisir ces vrais serviteurs car petit à petit, nous commencerons à nous entraîner et à avoir les outils pour le faire.
Et comme beaucoup d'entre vous le savent déjà, le vrai journalisme est le sang vital de la démocratie.
Pratiquez vos qualités d'écriture. Pratiquez votre liberté d'expression, bientôt, c'est ce dont nous aurons le plus besoin.
Nos vies comptent, soyez notre voix.