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Billet de blog 26 octobre 2022

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Voix d'Iran : le quarantième jour, ad libitum

40 jours se sont écoulés depuis la mort de Mahsa, elle est comme une graine qui est entrée dans le sol, il en est poussé des centaines d'autres après elle, et après aujourd'hui, presque chaque jour sera le 40e d'une autre fille brave et forte ou d'un autre jeune homme courageux.

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Le Quarantième jour:

Aujourd'hui, c'est le Chelleh ("quarantième") de Mahsa. Cela signifie que 40 jours se sont écoulés depuis sa mort. 

C'est la tradition ici en Iran que nous visitions la tombe et organisions des cérémonies de deuil pour les morts, le 40ème jour. 

La raison pour laquelle nous faisons cela, ce doit être à cause des racines du nombre 40 dans le calendrier persan et il a probablement des racines zoroastriennes, liées au culte de Mithra. 

Je ne suis ni anthropologue ni archéologue, donc je ne vais pas entrer dans ce genre de considérations. 

Je suppose qu'il suffira à mes lecteurs de savoir que le nombre 40 a des significations mystiques et rituelles pour nous, les gens du Moyen-Orient, et vous pourriez facilement penser à Alibaba et aux 40 voleurs de Bagdad, et de nombreux autres exemples rien que dans les mille et une nuits, pour prendre une œuvre largement diffusée en Occident. 

Le nombre 40, chez nous, est aussi significatif que les chiffres 3 et 7. Et nous pleurons les morts dans leur 3ème, 7ème et 40ème jours. 

Aujourd'hui, la tombe de Mahsa Amini, qui se trouve dans un petit cimetière  insignifiant quelque part dans l'ouest de l'Iran, est l'épicentre de notre révolution, la "révolution des femmes" comme nous aimons l'appeler, ou "la révolution nationale" (comme d'autres préfèrent l'appeler). 

Quel que soit son nom, tout a commencé sur la tombe de Mahsa. Tout a commencé lorsque la mère de Mahsa a écrit 4 ou 5 mots sur une petite dalle de pierre  qu'ils ont enfoncée dans le sol frais de sa tombe. 

Ces mots, ils ont déterminé qu'à partir de maintenant, le prénom de Mahsa serait un nom de code, mot de passe, code secret ("ramz", en Persan).

Et il est devenu un code en effet . Le peuple iranien a entendu le message de la mère de Mahsa haut et fort, et il s'est levé pour demander justice, et ce qu'il voulait le plus, c'était simplement que n'importe quelle femme, ne soit pas violée, profanée, niée et éliminée à cause de son choix vestimentaire. 

C'est ainsi que tout a commencé. Et aujourd'hui, après 40 jours, alors que les autorités menacent la famille de Mahsa Amini et mettent en garde contre toute forme de cérémonie du 40eme jour, nous avons déjà reçu des vidéos, montrant des femmes courageuses et belles, tout comme Mahsa, présentes sur sa tombe, prêtes à devenir la prochaine Mahsa elles-mêmes, par leur mépris de ces menaces et du code vestimentaire du Hejab. (note de la traductrice: depuis la réception de ce texte, d'autres vidéos sont visibles en ligne. On y voit la foule rejoindre à pied le cimetière, sur des kilomètres, les routes ayant été fermées à la circulation, pour éviter les rassemblement. Les images du cimetière lui même montrent maintenant une foule assez dense

Et en effet, comme une graine qui est entrée dans le sol, il en est poussé des centaines d'autres, et après aujourd'hui, presque chaque jour sera le 40e d'une autre belle fille brave et forte ou d'un autre jeune homme courageux, qui a été assassiné, d'une manière ou d'une autre, que ce soit dans le nord, le sud ou l'est. 

À partir de ce jour, chaque jour est un 40e jour. Rappelez-vous cela s'il vous plaît.

Cela étant dit, ce matin, je pensais, si j'avais une machine à voyager dans le temps, et si je pouvais revenir en arrière et sauver la vie de Mahsa, je le ferais. Je ne voudrais pas que Mahsa, même si elle semble être un sacrifice nécessaire, meure, juste pour que nous puissions retrouver notre liberté. 

Aucune Mahsa, ni Nika, ni Asra ne devrait jamais avoir à mourir, au nom de la liberté ou de la justice. 

Si je pouvais prendre une machine à voyager dans le temps et revenir en arrière, je les sauverais toutes, et je dirais que le peuple iranien a été maltraité et opprimé pendant des décennies, et que personne ne devrait avoir à donner encore sa vie, juste pour le réveil de tous.

Le peuple d'Iran, a subi cette république islamique et ses 40 voleurs de Téhéran pendant plus de 40 ans. J'aurais juste voulu que ce ne soit pas nécessaire que ces jeunes femmes aient dû donner leur vie pour que ce soulèvement ait enfin lieu. 

Nous pleurons, nous fondons en larmes, presque chaque fois que nous nous rassemblons, ou que nous  regardons les informations ou lorsque nous sommrs seuls et avons eu une petite chance de réfléchir, au cours des 40 derniers jours. 

Nous pleurons pour Mahsa et pour nous-mêmes et même pour nos ennemis, qui sont vraiment "nous" aussi.

Nous les pleurons, car ils nous sont enlevés par un extrémisme idéologique aveugle. Nous pleurons pour eux, car ils sont les pires victimes de la pire stupidité sur terre.

La pire espèce de bêtise, c'est celle qui se réclame de la sagesse. La pire des bêtises, c'est celle qui choisit de tuer une personne, parce qu'elle a fait l'amour. 

« Bientôt, tout le monde sera nu ! » avertissent certains responsables iraniens, afin de dissuader le peuple de soutenir le droit de choisir pour lui-même.

Cela me rappelle un livre écrit par l'un de ces fascistes islamiques : « La culture de la nudité et la nudité de la culture ». Non! tu as mal intitulé ton livre, crétin ! Vous avez basé toute votre vie sur votre propre culture nue. Votre culture est dépouillée, parce qu'elle a été dépouillée du don le plus élevé que l'humanité détient. Le don du "choix". Tu ne te souviens donc pas ? 

Ceux d'entre vous qui ont mémorisé le Coran et peuvent le réciter de bout en bout, et le connaissent à fond, rappelez nous donc quel est le plus grand cadeau que Dieu ait fait à l'homme. 

Quel est ce don, dont le fardeau était si lourd, que les mers et les montagnes ont refusé de le porter ?  Le libre-arbitre, n'est pas ce dont nous parlons ici ? Le choix ? 

Qu'est-ce qu'un homme, ou une femme, sans sont droit au "choix" ?

Les gens qui ont tué Mahsa, ils se sont volontairement dépouillés de leur choix. Ils se sont mis tout entiers sous les ordres d'un maître. Leur maître leur permet de violer les femmes. Leur maître les couvre chaque fois qu'ils désirent agresser une pauvre fille. C'est un échange diabolique. Leur maître les décharge de leurs responsabilités et, en retour, ils peuvent s'adonner au pouvoir.

Non seulement ce sont eux qui sont nus, mais alors qu'ils pourchassent avec frénésie le moindre citoyen qui a décidé de fabriquer un peu de vin pour le boire... Ce sont aussi eux qui sont ivres. Ils sont ivres de leur propre pouvoir. C'est exactement pourquoi ils aiment frapper des femmes sans défense. C'est exactement pourquoi ils n'ont absolument aucune restriction concernant l'agression et le meurtre d'enfants mineurs. Des enfants dès l'âge de huit ans, si vous avez suivi les dernières nouvelles. 

Aujourd'hui, c'est le 40e. Il est de coutume dans certaines familles iraniennes qu'une femme aînée offre à une jeune fille de la famille une robe ou un chemisier blanc, et incite ainsi la famille à cesser de porter du noir.

Souvent, cette femme âgée fait cela le 3ème jour. parfois le 7ème. Mais cela fait 40 jours et nous pleurons toujours. Nous pleurons de manière incontrôlable et nous sommes en rage, car ces coquilles vides ivres, ces corps qui sont comme des abeilles dépouillées de leur "choix", se déchaînent contre nous.

Alors aujourd'hui je vous demande quel est ce « choix » que nous protégeons si ce n'est pas notre âme ?

Notre âme n'a pas de couleur, de religion ou de nationalité, elle est notre part d'humanité, et ce qui reste à protéger quand tout le reste nous a été pris.

Interrogez la vôtre... Êtes vous avec nous ?

 (note de la traductrice: des coupures internet importantes et une répression violente sont attendues, nous ne pouvons pas faire grand chose depuis l'étranger à part réclamer davantage de couverture à nos grands médias. C'est la réponse unanime de tous les acteurs de terrain:"nous nous chargeons de notre propre libération, occupez vous de ne pas donner de légitimité à ceux qui nous oppriment, et ne détournez pas le regard".) 

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