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Billet de blog 4 novembre 2025

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5 raisons pour arrêter l’émission “Face à Philippe de Villiers” - Partie I

L’émission de Philippe de Villiers sur CNews n’aurait jamais dû être autorisée et doit immédiatement être arrêtée. Cinq bonnes raisons à cela, dont voici les trois premières.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1


Raison 1 - L’absence de contradiction

Tous les vendredis sur CNews, une heure d’access prime time de la chaîne dite d’info est accordée à l’ancien chef de parti souverainiste, adepte du roman national(iste) prenant le pas sur l’Histoire, où il égrène ses aphorismes ultra-conservateurs d’un ton docte. Cette émission sera ensuite rediffusée le samedi matin sur Europe 1, le miroir radio de CNews, en laissant croire aux auditeurs qu’il s’agit d’une émission en direct.

Par contrat, la chaîne, qui, rappelons-le, a obtenu la fréquence TNT auprès de l’Arcom en prétendant être une chaîne d’information, est censée respecter les clauses de la convention qu’elle a signée.
Dans cette convention, il est stipulé que l’expression des divers points de vue doit être assurée, surtout pour les sujets politiques mais aussi les sujets sociétaux pouvant se montrer clivants ou sensibles.

Illustration 2

Extrait de la convention Arcom - CNews

Le titre de l’émission, “Face à Philippe de Villiers” paraît pourtant clair. À le lire, on croit comprendre que cette émission va opposer Philippe de Villiers à un contradicteur ou pour le moins un journaliste qui sera face à lui, afin qu’ils confrontent leurs points de vue.
Il n’en est rien : le dispositif est constitué de trois personnes. “Face” à P. de Villiers, on trouve l’animateur, Eliot Deval, bien connu pour son absence de subtilité dans l’application de la ligne éditoriale imposée par Bolloré et ses lieutenants, et dans le rôle de contradicteur permanent, Geoffroy Lejeune, l’ancien rédac-chef de Valeurs Actuelles maintenant à la tête du JDD, volet papier de la machine de propagande de Bolloré qui suit exactement la même ligne que CNews.

Inutile de préciser que la contradiction est faible voire nulle. Quelques rares fois, Lejeune se sent obligé, pour donner un peu plus de vie aux monologues interminables de la vedette, de sortir de son rôle de tendeur de perche et faire montre d’une opposition molle en se demandant si l’immigration, sujet récurrent de l’émission, est plutôt une submersion ou un raz-de-marée.
Mais la plupart du temps, son rôle de contradicteur se résume à poser deux questions prévues à l’avance pour relancer la machine, ses interventions totalisant une vingtaine de secondes par émission (relevés des 3 dernières). Le reste du temps, ce sont des plans de coupe sur Lejeune hochant la tête en signe d’approbation ou se tenant le menton dans une réflexion profonde sur fond de soliloque réactionnaire du gourou du Puy du Fou.

Illustration 3

G. Lejeune faisant semblant de réfléchir intensément

Il y a déjà eu un précédent mémorable pour ce type d’émission à sens unique sur CNews. C’était en 2019, avec Zemmour et son émission Face à l’Info. Pour essayer de passer sous les radars encore connectés de l’Arcom, de temps en temps il y avait un invité de façade, qui permettait au futur candidat à la présidentielle de lui asséner ses opinions nauséabondes dans une joute verbale au résultat couru d’avance (aucun invité dans l’émission de P. de Villiers).

Le comité d’éthique du groupe Canal, organisme créé par obligation légale (Loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986, art 30-8 modifié par la loi n°2016-1524 du 14 novembre 2016 art 11), avait été saisi en 2020 et sa conclusion avait été sans appel : l’absence de contradiction, le dispositif, tout ceci ne satisfaisait pas aux élémentaires règles déontologiques, et la conclusion avait été que l’émission devait s’arrêter ou changer complètement de format.
Voici un extrait de sa décision pour “Face à l’Info”, qui résonne particulièrement lorsqu’on considère “Face à Philippe de Villiers”

 « C’est en réalité la conception même de cette émission qui doit être revue [...] parce que, diffusée quotidiennement à une heure de grande écoute et ayant vocation à couvrir pour l’essentiel l’actualité la plus immédiate, elle doit s’ouvrir davantage à la diversité des opinions dans le respect de leur expression contradictoire, ce que ne permet pas son organisation actuelle autour d’un éditorialiste vedette dont la présence permanente et la multiplicité des interventions aboutissent à privilégier à l’excès la parole d’un courant de pensée au détriment de tous les autres. [...] L’avis du comité est donc que l’émission Face à l’Info ne peut pas continuer à être diffusée sous sa forme actuelle. »

Bien entendu, ces recommandations avaient ensuite été résolument ignorées par la chaîne, qui a continué le format jusqu’à ce que le poulain Zemmour se transforme en candidat.

Ici, bis repetita, et la nouvelle Arcom, dont la principale activité lors de l’examen des saisines est maintenant de trouver une pirouette pour justifier son inaction, prétendra certainement que le pluralisme des opinions et courants de pensée ne se juge pas sur une seule émission mais sur la totalité des programmes. Bon courage pour trouver sur CNews un seul moment dans la journée où ce ne soient pas le discours identitaire, ultra-conservateur, anti-immigration et antiprogressiste, voire islamophobe qui soient représenté. De facto, il n’y a aucune trace ni évaluation rendue publique par l’Arcom depuis l’annonce, en été 2024, d’obligation de pluralisme évaluée sur un temps déterminé (1 mois pour les chaînes d’info). Il est impossible de saisir l’organisme de régulation sur ce point.

À elle seule, l’absence totale de diversité des points de vue dans l’émission de P. de Villiers devrait lui valoir une mise en demeure de la part de l’autorité de régulation, une sanction financière ou même une injonction d’arrêt immédiat

Raison 2 - Le temps de parole politique

S’il y a bien quelque chose que l’Arcom surveille à la loupe, en théorie, c’est le temps de parole accordé aux personnalités politiques. Pourtant une étude d’un think-tank financé par le milliardaire catho-identitaire Pierre-Édouard Stérin, qu’on ne peut pas accuser de biais gauchiste, a montré que les invités de la matinale de CNews étaient à 75% issus de la droite et de l’extrême-droite, contre 4% pour la gauche.

Illustration 4

Alors pour compenser ce déséquilibre, CNews passe régulièrement des discours non commentés de personnalités extérieures au spectre de l’extrême-droite, souvent à 6h du matin ou tard le soir, avec un bandeau expliquant que c’est pour rétablir la balance (sinon, bien sûr ils ne l’auraient pas fait), tactiques grossières pourtant déjà sanctionnées par l’Arcom du temps où elle était vivante.

Illustration 5

Bandeau CNews s’excusant de faire subir à ses téléspectateurs
une séquence qui ne soit pas d’extrême-droite 

Depuis 2024, P. de Villiers est classé comme personnalité politique de droite (divers droite) et le Conseil d’État, saisi par l’intéressé, a confirmé cette décision en juillet 2025

Philippe de Villiers a été secrétaire d’état, député, député européen, président de conseil régional, chef de parti, deux fois candidat à la présidentielle et a apporté publiquement son soutien à Éric Zemmour lors de la présidentielle de 2022. Et si CNews voulait arguer qu’il est présent sur la chaîne en tant qu’entrepreneur ou auteur de romans pseudo-historiques, il est interrogé chaque semaine sur des sujets politiques où il donne des réponses proches de ses positions au sein de la présidence de son ex-parti.
Son discours ressemble tant à un programme que lorsqu’il est interviewé sur un plateau de la chaîne en dehors de son émission hebdomadaire, il est présenté ainsi : « Il est écouté et même craint pour les ambitions que certains lui prêtent. ». Les ambitions dont il est question sont bien sûr des ambitions politiques. Et les médias qui les lui prêtent sont issus de l’univers Bolloré : JDD, Cnews, Europe 1.

À propos du supposé déclin de la France et de l’inaction des “élites”, P. de Villiers déclare « les élites, mis à part quelques dissidents qui sortent de leur catacombe pour venir ici, clin d’oeil à l’Arcom, [..] sont soumises, sont dans la dhimmitude, elles refusent de désigner le conquérant, écartelées entre le wokistan et l’islamistan »

Mais la question qui brûle les lèvres de la présentatrice du journal de CNews, appuyée par un bandeau au bas de l’image, est : « allez-vous vous présenter à la présidentielle de 2027 ? ». S’ensuit une réponse évasive de l’intéressé, avec cette phrase « Je me suis donné comme mission [...] de parler aux Français, de les éclairer, d’éclairer les consciences, de dire tous les vendredi soir attention nous sommes peut-être en train de mourir, de grâce levez-vous »
Il considère donc comme socle de son émission l’injonction à agir contre l’immigration et contre la défense des minorités, à prendre parti politiquement à l’extrême-droite, bien loin de la simple analyse non partisane qui aurait dû être la règle sur la chaîne.
Sur les plateaux de CNews, Philippe de Villiers est considéré comme une personnalité politique potentiellement présidentiable. 
Si l’Arcom se doit de vérifier les comptages précis des temps de paroles des diverses formations politiques en période électorale, cela ne l’affranchit nullement d’y veiller, même avec un peu plus de souplesse, en dehors de ces périodes. Surtout après que l’expérience Zemmour a montré que CNews était capable de donner libre antenne à un futur candidat jusqu’à ce qu’il se déclare in extremis.
Comment une chaîne d’info peut-elle offrir une émission régulière à une personnalité représentant un bord politique à l’exception de tous les autres ? Comment ceci peut être considéré compatible avec l’équité des temps de paroles ? 

Raison 3 - L’ingérence de Bolloré

Convoqué devant la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur l’indépendance des médias, Vincent Bolloré a juré sous serment ne pas s’occuper du contenu éditorial ou de la programmation de CNews : 

« Je ne suis jamais intervenu dans le choix des contenus diffusés par le groupe Canal+ (auquel appartient CNews NDLR), d’autant que je n’en avais pas le temps. Nous avons une vingtaine de chaînes offrant le meilleur des films, des séries et du reste, ce qui au demeurant n’est pas cher payé ; aucun patron, si interventionniste soit-il, n’est capable de s’en mêler. »

Et il fallait qu’il dise cela, la convention signée avec l’Arcom imposant en effet une indépendance de la rédaction vis-à-vis du propriétaire ou des actionnaires. Déroger à ce principe résulterait en un avertissement ou une sanction de la chaîne par l’Arcom.

Illustration 6

Extrait de la convention Arcom - CNews

On connaît les liens qui unissent Vincent Bolloré et Philippe de Villiers.
Dans l’hebdo d’extrême-droite Valeurs Actuelles fin 2024, Philippe de Villiers comparait Bolloré à un héros moderne et déclarait à son sujet :« Je le connais depuis longtemps, et j'ai pour lui une profonde affection et une grande admiration. C'est un Breton. Il est comme un roc de l'Armorique, battu par les vents de Galerne. »
Les photos de visite de Vincent Bolloré au Puy du Fou ont été abondamment commentées. Le parc d’attraction Villiériste, symbole de la vision fantasmée des deux hommes des événements historiques, était régulièrement promu à l’antenne de CNews avant même l’émission “Face à de Villiers” et des publicités pour le parc sont régulièrement diffusées sur CNews (120 jours de campagne publicitaire cumulés depuis début 2023)
Nous sommes les témoins émus de l’affection et de l’admiration qui lie P. de Villiers et son ami breton…
De cet ami breton, il en est question dans le dernier livre de Philippe de Villiers, “Populicide”, comme relevé par Jean-Michel Aphatie dans Quotidien (TMC, le 23/10/2025). D’après l’éditorialiste (nous n’avons pas acheté le livre et n’aurions pas eu le courage de le lire) l’auteur explique qu’en 2023, « un soir d’été, j’entends qu’on frappe à ma porte. Un Breton (NDLR Bolloré) vient visiter le Cincinnatus vendéen (NDLR lui) ». L’auteur explique ensuite que Bolloré est venu lui proposer une émission taillée sur mesure, qu’il faudra “inventer” pour lui permettre de s’exprimer sans contrainte.

Cet épisode décrit par P. de Villiers sera repris par ce dernier à l’antenne de CNews, lors d’une interview de promo de son bouquin : « Quand un ami breton est venu me voir pour me dire “tu devrais faire une émission où tu ferais bénéficier de ton expérience tous les Français qui pourraient te regarder le vendredi” je ne savais pas qu’il y aurait ce succès »
Il confirme ainsi que Vincent Bolloré lui-même est venu lui proposer une émission hebdomadaire, avec un format taillé pour lui et un créneau horaire. Alors que ce même Vincent Bolloré avait affirmé sous serment devant la commission d'enquête de la représentation nationale ne pas intervenir dans les programmes de ses chaînes. Un parjure qui, s’il était confirmé par la justice, pourrait lui valoir une amende et même de la prison. Le rapporteur de la commission, A. Saintoul, a saisi le bureau de l'Assemblée pour engager les poursuites prévues par l'article 434-13 du code pénal contre l'éditeur CNews, M. Vincent Bolloré, M. Serge Nedjar et M. Maxime Saada pour faux témoignage.

Illustration 7


Ce ne sont que trois raisons, déjà suffisantes pour reconsidérer la présence de cette émission à l’antenne d’une chaîne d’information prétendument généraliste. Les conventions Arcom interdisent les chaînes d’opinion, mais bien que CNews aille déjà très loin dans la polarisation de sa ligne éditoriale, en l’absence d’un rappel à l’ordre ferme, elle pousse chaque jour un peu plus le curseur.
On le verra dans le billet suivant, CNews a même franchi une nouvelle ligne rouge, se permettant avec “Face à Philippe de Villiers” une prise de position politique inédite dans l’histoire de la télévision française.


La suite dans la partie II, avec les raisons 4 et 5 !

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