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Note : ce billet fait suite à la partie I, qui expose les 3 premières raison. Vous pouvez le lire ici
Raison 4 - L’organisation d’action politique
La politisation de l’émission “Face à de Villiers” a franchi un nouveau cap lorsque le Vendéen a lancé une pétition contre l’immigration exigeant un référendum sur la question. Ce fait à lui seul confirme à l’Arcom que comptabiliser sa parole comme un discours de droite voire d’extrême-droite est justifié, mais cela va plus loin : passer du discours politique à la mobilisation des citoyens afin de contraindre les élus à se soumettre à l'idéologie d'extrême-droite de Cnews est un marqueur d'occupation de l'espace public qui va bien au-delà de l'information et de l'éditorial : c’est passer de la propagande au militantisme.
Quelle réalité se cache derrière cette fameuse pétition ? En l’examinant, on s’aperçoit immédiatement qu'elle ne respecte aucune règle de base quant à la vérification des signatures. Elle laisse la porte ouverte à une avalanche de fausses signatures, car il est possible de signer plusieurs fois, de signer pour quelqu’un d’autre, voire de lancer une armée de robots signer massivement pour vous. Malgré un ajout de “captcha” après quelques jours, les inscriptions (on ne parlera plus de signatures) restent non vérifiées.
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“Pétition” contre l’immigration créée et gérée par le JDD
Une pseudo-mobilisation populaire très similaire, dont le seul but est de donner au média un prétexte pour aborder un sujet, avait déjà été lancée par Geoffroy Lejeune dans Valeurs Actuelles, lors de la collecte des signatures de la “tribune des militaires”.
Sa collecte de signature était tellement truquée et prise d’assaut par les robots pro-identitaires que le nombre de signataires avait rapidement dépassé le nombre de français !
Ceci n’avait pas empêché Valeurs Actuelles et les médias amis de communiquer sur thème du “raz-de-marée populaire”.
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En 2021, opération similaire menée par Valeurs Actuelles/G. Lejeune
Les similitudes avec la pétition de P. de Villiers sont troublantes, alors qu’on voit bien que Bolloré a passé consigne d’aborder inlassablement le sujet de l’immigration et de l’Islam à l’antenne, contraignant souvent les animateurs et chroniqueurs à des pirouettes pour caser ce thème sur des infos sans rapport : le vol des bijoux du Louvre, la pénurie d’oeufs, tout peut servir de prétexte à fustiger les immigrés et leurs descendants.
Cette “pétition” vient donc à point nommé, permettant de surjouer le thème de la mobilisation populaire, en suivant jour par jour à l’antenne la progression d’un compteur pourtant bien peu crédible.
À partir de la sortie de cette pétition, le 6 septembre jusqu’à la fin du mois, elle a été abordée 17 jours, sur une durée cumulée d’au moins 5 heures d’antenne.
Et bien sûr on ne parle là que de CNews, le sujet ayant également été matraqué sur les autres médias du groupe, d’Europe1 au JDD.
Plus grave, quand on examine d’encore plus près cette pétition d’un point de vue technique, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’une initiative personnelle de P. de Villiers, mais qu’elle a été créée et qu’elle est maintenue par les médias Bolloré, avec leurs moyens matériels. Il semblerait même que le JDD de Geoffroy Lejeune, celui-là même censé apporter la contradiction à P. de Villiers dans son émission, en soit à l’initiative : lors de la signature de la pétition, l’internaute pouvait donner son accord pour que son adresse mail soit exploitée par le JDD/JDNews.
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Les intéressés auraient pourtant pu utiliser un moyen simple, sûr et vérifié permettant d’influencer le débat public, le dépôt de pétition sur le site de l’Assemblée Nationale, pouvant déboucher sur un débat parlementaire sur le thème. Mais là, la vérification systématique des signataires aurait sans doute donné un résultat bien moins avantageux.
Le groupe média auquel appartient CNews a donc monté une action de pur militantisme politique afin d’imposer un point de vue d’extrême-droite aux responsables politiques français, et la chaîne d’info aurait directement participé à la promotion de cette action. Dans le volet “Politique de confidentialité” du site de la pétition, l’adresse indiquée, 2 rue des Cévennes, est celle de CNews, du JDD, d’Europe1, Lagardère Media News, Progressif Media, etc.
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C’est sans doute la première fois qu’un groupe média qui se prétend généraliste et non partisan s’implique aussi directement dans une action de militantisme politique.
Où sont passées l’info, la vérification des faits, la déontologie journalistique, l'assurance d’indépendance de l’information qui constituent le socle de la convention que la chaîne a signée ?
Est-ce l’émission “Face à de Villiers” qu’il conviendrait de stopper ou bien faut-il simplement fermer CNews, chaîne toxique qui manque systématiquement à tous ses engagements ?
Raison 5 - La publicité clandestine
Le 8 octobre 2025, Philippe de Villiers a sorti son nouveau livre, “Populicide”. D’après les commentaires, ce n’est pas un livre de souvenirs mais une énième ratiocination de l’ancien ministre sur la décadence de la France, la disparition de la mémoire, du peuple ou de la culture au profit de l’étranger, le sauvage, le barbare acculturé. Un essai politique d’extrême-droite ethno-identitaire.
Quoi qu’il en soit se pose alors un problème déontologique : de quelle manière parler à l’antenne de l’ouvrage d’un salarié du groupe ? Comment résoudre le conflit d’intérêt ? Peut-il en parler dans sa propre émission ? Quelle est la limite acceptable ?
CNews a vite tranché, en ignorant une fois de plus les règles éthiques et franchissant à pied joints les lignes rouges. Du bouquin, ils vont en parler, et beaucoup. La chaîne entière, pendant plusieurs jours, se transforme en téléachat. Non seulement P. de Villiers parle abondamment de son propre livre dans son émission, mais il est invité sur d’autres plateaux. Ses obsessions rances, il va pouvoir les étaler sans limite.
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Autopromo par l’auteur dans sa propre émission de son livre, édité par son employeur
Le nom du livre est répété de multiples fois, le bandeau de présentation de Philippe de Villiers est modifié pour y ajouter « auteur de “populicide” » comme si cela le définissait maintenant. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de trois semaines après la sortie, il est toujours décrit ainsi à l’écran.
Sur la chaîne, le nom de l’ouvrage d’un invité n’est habituellement indiqué dans son bandeau descriptif que lorsqu’il est à l’antenne pour le promouvoir. Est-ce à dire que toutes les émissions “Face à de Villiers” depuis début octobre doivent être considérées comme des émissions de promotion de son livre ?
Cette opération promo au service du plan com du chroniqueur représente un conflit d’intérêt manifeste, qui s’avère de plus être double : le livre en question est édité chez Fayard, la maison d’édition de Bolloré, du même groupe que CNews.
Les moyens de la chaîne d’info, les plateaux, les équipes, sont mis gracieusement à la disposition d’un salarié de la chaîne, pour le bénéfice financier personnel de l’auteur et celui de son éditeur appartenant au même groupe. Ceci dépasse par son ampleur la simple information sur la sortie en librairie d’un ouvrage politique.
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Exemples de bandeaux diffusés sur la chaîne
Tirer des revenus commerciaux de séquences prétendument d’information sans avertir le téléspectateur, cela a un nom : la publicité clandestine. Et c’est interdit. L’Arcom, là aussi, est censée faire appliquer le règlement, comme elle l’avait fait avec Hanouna sur C8, le sanctionnant de 200 000€ d’amende cumulés.
Une bonne raison d’arrêter l’émission ? Non, cinq !
CNews, chaîne déjà avertie de multiples fois et sanctionnée financièrement pour son manque de pluralisme et de diversité des points de vue, en plus de son déséquilibre flagrant vers la droite et l’extrême-droite, emploie une personnalité politique d’extrême-droite qui intervient de manière régulière et exclusive dans une émission taillée sur mesure.
Le dispositif, mis en place par le patron de la chaîne qui impose son emprise sur les programmes, élimine toute contradiction du propos et l’émission est utilisée comme une tribune électorale pour diffuser l’idéologie rance de la “star”.
Joignant les actes à la parole, la chaîne a mené une opération de militantisme destinée à imposer cette idéologie sur la scène politique française !
Elle en profite également pour mener une opération promotionnelle destinée à vendre un ouvrage dont les bénéfices reviennent non seulement à l’auteur-salarié de la chaîne mais aussi à une filiale du groupe de média.
Comment cette émission peut-elle continuer ainsi ? Que faut-il de plus pour que l’Arcom réagisse enfin et mette fin à cette mascarade ?
CNews peut-elle continuer à disposer d’un canal public gracieusement mis à sa disposition alors qu’elle piétine chaque jour l’accord qu’elle a signé pour l’obtenir ?
Notre collectif a donc déposé cinq saisines auprès de l’Arcom, afin que l’organisme de régulation puisse délibérer sur cette émission. Au vu de la frilosité, pour ne pas dire plus, des décisions de l’Arcom concernant CNews depuis le changement de direction, nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusions sur l’issue de ces saisines. Mais l’Arcom ne pouvant pas s’autosaisir, elle ne pourra plus prétendre ne pas avoir été alertée sur ces manquements.
La balle est désormais dans son camp.