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Billet de blog 6 juillet 2025

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Shinji Sômai, auteur d'enfance

La découverte, depuis quelques années, d'un maître du cinéma japonais passé sous les radars, Shinji Sômai (décédé en 2001), est un bonheur. Après Le déménagement et Typhoon Club, la sortie de Jardin d'été confirme, entre autres talents et singularités du réalisateur, son regard extraordinaire sur l'enfance, univers à la fois sombre et lumineux où se déploie la magie de son cinéma.

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Le cinéma de Shinji Sômai est un cinéma de l'enfance. Mais il faut entendre l'enfance comme un état de conscience particulièrement aigu. La question de la mort, du deuil, du suicide -voir la séquence stupéfiante qui s'y rapporte dans Typhoon club – hante ses très jeunes personnages comme chez aucun autre réalisateur.

A cet égard, le titre de Jardin d'été est trompeur : il semble annoncer une comédie légère, tout au plus teintée de mélancolie. Sômai propose une comédie mais « légère » n'est pas, a priori, le qualificatif approprié. Il serait sans doute préférable de parler de « comédie profonde » : quand dans un plan vertigineux, un des trois jeunes héros du film (Kawabe) est filmé marchant sur un muret, le vide en -dessous de lui, s'interrogeant sur l'expérience de la mort, on sent bien que Sômai n'a pas -seulement -l'intention de nous amuser avec ces trois « garnements ». Il y parvient pourtant.

En effet, l'espionnage par les trois enfants de la maison du grand-père - destiné à documenter à partir d'une étude de cas, abordée avec sérieux et organisation, le passage vers la mort chez les sujets âgés-, donne lieu à des scènes qui relèvent d'un comique de situation très maîtrisé. On est alors dans un registre burlesque, inattendu. Mais Sômai joue aussi sur le comique de caractères : les trois enfants, dès le début du film, sont donnés à voir comme des archétypes dont les allures, les hexis corporelles reflètent le tempérament.

L'entrée, dans le cadre, du grand-père s'inscrit avec succès dans ce programme de comédie  -les filatures gentiment grotesques opérées par nos petits détectives amateurs sont cousines des scènes les plus réussies de la comédie à l'italienne - mais c'est par lui que se dévoile la gravité du récit, que le ton évolue. Le talent de Shinji Sômai est de faire bifurquer la comédie vers le drame sans coup de force scénaristique. Insensiblement, la couleur change (et le travail magnifique du directeur de la photo en rend compte, littéralement). Les trois « petits vauriens » sont devenus des auxiliaires complices du vieil homme sans perdre leurs traits « cartoonesques », soulignés affectueusement par les surnoms qu'il leur donne : « sumo », «lunettes», « sac d'os».

Comme souvent chez Shinji Sômai, une forme d'onirisme vient se mêler à la réalité sans que la part du réel et celle du rêve soient clairement séparées. Le papillon de nuit qui vient frapper à la fenêtre dans une scène bouleversante signale la présence des fantômes qui viennent paisiblement hanter le vieil homme. Le film, imperceptiblement, change de régime. Les enfants deviennent les agents d'une autre quête, celle de la femme qui fut aimée et abandonnée, celle dont le retour – croient-ils – ferait le bonheur de leur hôte et ajouterait au bonheur du monde. La jungle ou croupissait un vieillard que l'on s'amusait à voir s'acheminer vers sa fin est devenu, grâce à l'énergie des jeunes protagonistes, un jardin d’Éden où pourrait se déployer une communauté heureuse – il n'est pas interdit de prêter au cinéma poétique de Sômai une intention politique.

L'issue tragique que l'on pressent adviendra. Pourtant, la tonalité du film reste joyeuse, merveilleuse au sens littéral – ce dont témoigne le dernier plan du film, en contre-plongée, les garçons penchés au-dessus du vieux puits d'où s'envole une nuée de papillons. On n'avait sans doute jamais filmé le deuil avec une aussi belle humeur.

L'opposition postulée au début de ce papier a vécu par la grâce du cinéma de Shinji Sômai. Ce qu'il a inventé pourrait s'appeler : la légèreté profonde.

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