En ouverture du film de Maxime Jean-Baptiste, Kouté Vwa, un chant – celui de la grande artiste guyanaise, Josy Masse - appelant au courage résonne pendant que des images d'archives montées au ralenti montrent un défilé dans les rues de Cayenne, en mémoire d'un jeune homme décédé dont le portrait domine la manifestation. Lucas Diomar avait 19 ans quand il a été poignardé, 10 ans plus tôt. On est frappé par le calme et la dignité de cette marche commémorative et par la prise de parole de celle qui l'a organisée, la sœur de Lucas, appelant à la concorde et au rassemblement de la population de la Guyane, en particulier sa jeunesse directement meurtrie.
Se déroulant au rythme des tambours, la marche dit l'importance de la musique pour Lucas. Mais elle dit autre chose : la musique est ce qui crée du lien entre les habitant.es de ce territoire, ce qui les unit dans le deuil et les projette dans un avenir apaisé.
Le plan suivant montre un jeune garçon marchant dans la ville, un tambour à la main. Le raccord suggère une transmission. Melrick est le neveu de Lucas ; à la périphérie de l'histoire de son oncle (il vit en région parisienne et n'avait que deux ans quand celui-ci a été assassiné), il va progressivement se l'approprier. C'est ce que le film restitue : une forme d'initiation par laquelle un petit garçon élevé à Stains découvre, par l'apprentissage du tambour et la participation aux orchestres de rue, ses racines guyanaises, son appartenance à une communauté.

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Le film de Jean-Baptiste, c'est sa beauté singulière, est à la fois un hommage à son cousin disparu tragiquement - qui devait initialement prendre la forme d'un documentaire – et une célébration du pouvoir de la musique qui est un pouvoir d'évocation. Le concert d'hommage au disparu est filmé comme un rituel, une expérience proche de la transe. Melrick, au tambour, se fond dans le collectif. La caméra le filme comme hors de lui même, accomplissant le geste incorporé à l'unisson des autres membres de la section rythmique, en soutien des cuivres, de la chorégraphie. Les plans se succèdent, se répondent, se resserrent sur les corps traversés par la puissance de la musique, de la répétition implacable des sons et des mouvements. Maxime Jean-Baptiste filme un envoûtement.
Le réalisateur fait de l'expérience physique de la musique une voie d'accès à la communauté émotionnelle rassemblée derrière le souvenir de Lucas. Mais un autre thème travaille le récit, celui du chemin vers le pardon. Le deuil s'accomplit par le geste des chanteurs, des danseuses et des musiciens – et il s'accompagne d'une transfiguration de la vengeance devenue communion. La voie – qui est aussi la voix (Kouté Vwa signifie littéralement, en créole, « écouter les voix ») - de la réconciliation est celle que suit inlassablement Nicole, mère de Lucas et grand-mère de Melrick. C'est l'autre grande figure du film. Au cours d'une longue séquence en voiture s'opère un moment de transmission – d'autant plus bouleversant que l'on sait que les protagonistes du film, dans leur ensemble et ici en particulier, rejouent des scènes vécues – entre la grand-mère et son petit-fils autour de la question du pardon. Nicole explique à Melrick comment elle a pardonné au meurtrier de son fils et comment ce geste lui est apparu – non pas immédiatement mais après examen – comme le seul possible.
Une autre voix s'entend, celle de Yannick, témoin impuissant du meurtre de son meilleur ami qu'il n'a pu empêcher malgré son opposition et les graves blessures subies. Yannick, lui, réclame la vengeance, mais cet appel, de façon frappante, est dissonant par rapport au ton qu'il adopte. On sent que la colère n'est pas là. C'est davantage une résignation – peut-être une acceptation. Au concert, il ne fait pas partie des musiciens mais il écoute, regarde, avec ses grands yeux tristes. Sa tête balance doucement, en cadence. Il est triste. On l'a vu un peu plus tôt en compagnie de Nicole, marchant dans la ville, avouant ne pas se remettre de la disparition de Lucas, ne sachant quoi faire de cette tristesse.
Encore une fois, c'est la voix de Nicole qui apporte au jeune homme de quoi l'apaiser – une épaule ou déposer son chagrin : c'est normal que tu ne puisses pas t'en remettre. La question n'est pas de s'en remettre, il ne s'agit pas de faire de cela l'enjeu d'un combat. Tu as le droit de pleurer ton ami, nul ne te reprochera tes larmes. Tu devrais accepter ta fragilité semble dire Nicole, car cette fragilité, cette incapacité à effacer de ta mémoire la présence vive de celui qui t'a été arraché est justement ce qui te permet de rester avec lui, de continuer à partager avec lui des moments heureux.
La beauté et la générosité de Kouté Vwa sont là, dans ce point de vue d'une grand dignité qui épouse celui de Nicole et de sa fille, la sœur de Lucas et qui rejette obstinément la vengeance, qui met littéralement la violence hors-champ. C'est la grandeur de ce film, plutôt que d'enquêter sur un tragique fait divers, de préférer – par la voix de Yannick – évoquer la beauté de la Guyane, son soleil et ses pluies chaudes, ses fleurs et ses fruits, ses plages et sa végétation ; de célébrer une Guyane rassemblée derrière la mémoire d'un ce ses enfants parti trop tôt. D'avoir confiance dans la force du cinéma pour donner aux spectateurices à voir et aimer un territoire mal connu, peu filmé.
L'un des derniers plans unit Melrick et sa grand mère dans une étreinte au bord de la mer. C'est un plan magnifique, à l'image du film. On ne l'oubliera pas facilement.