Plein cadre apparaît le visage d'un jeune homme qui semble un peu perdu, à l'accueil de l'hôpital où il vient chercher ses résultats. Dans le plan suivant, le face à face avec la chirurgienne confirme le régime incertain du film. Comédie sur le fil de l'absurde? Mélodrame? Pauline Loquès travaille le décalage. Nino semble toujours mettre quelques secondes à comprendre ce qui lui arrive - tout, dans son regard concentré, sa voix, joliment timbrée mais mal assurée, sa diction hésitante, le signifie - et pour cause. Ce qui lui arrive est un cancer agressif dont il ne soupçonnait rien.
Cet art du décalage qui fait immédiatement de Nino un personnage de comédie, une figure burlesque et singulière, rapproche ce premier long métrage de celui de Valentine Cadic, Le rendez-vous de l'été. L'incompréhension de Nino face à l'institution médicale fait écho à celle de Blandine confrontée, dans un autre contexte, à un représentant de la police. Donner à percevoir ce qui se joue dans le flou d'une conversation, dans un dialogue légèrement désajusté, c'est manifestement, dans les deux films, un enjeu majeur.
Nino, comme Blandine, est souvent empêché de dire - ou poussé malgré lui à dire quoiqu'il ne l'avait pas prévu - , par les circonstances, par une préférence pour l'effacement "bartlebyenne" : cela prête souvent à sourire. Mais c'est aussi le ressort d'une émotion inattendue : la séquence au cours de laquelle Nino passe la soirée chez sa mère (Jeanne Balibar) , le jour de l'annonce de sa maladie, est écrite et jouée comme une séquence de comédie. Mais le ton change avec la durée et, par la grâce d'une mise en scène - et d'une direction d'acteurices - subtile, Pauline Loquès filme avec pudeur l'amour réciproque d'une mère et d'un fils. La beauté frontale de ce regard sensible culmine dans un champ-contrechamp, sans parole, "aux regards mouillés" entre Nino et Zoé - mais bien d'autres scènes approchent cette intensité.
Nino oscille ainsi tout au long de sa durée entre comédie et drame. Rien ne pèse jamais dans les plans malgré la malédiction initiale qui frappe le héros. La structure du récit rappelle Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda : l'annonce de la maladie bouleverse la vie du personnage principal, frappé au cœur de sa jeunesse, et déclenche une course contre le temps - dans les deux cas inscrite littéralement sur la pellicule. Mais Nino, pas davantage que Cléo, n'est mortifié par l'échéance : il continue de vivre et le film épouse ce mouvement.
Cet élan vers la vie - sans édulcorer pour autant la gravité du moment - s'incarne dans le désir d'enfant du protagoniste : plusieurs séquences du film travaillent cette piste scénaristique. Pris au dépourvu lors de sa première rencontre avec Zoé, Nino annonce, sans l'avoir prévu, qu'il va être père. Acte manqué? Parole performative? La phrase ne sera pas sans conséquence. Elle déclenchera une série d'évènements importants, autour de la récupération d'objet liés à la parentalité - un babyphone et un babycook. Lors d'une séquence de fête nocturne, à un autre moment, le désir d'enfant fait retour à l'occasion d'un geste là encore non anticipé de Nino, celui d'une injection destinée à la stimulation ovarienne d'une amie. Le geste est parfaitement accompli.
Mais l'enjeu de la procréation ne surgit pas seulement dans les replis du récit : il est posé dès le début du film lorsque la chirurgienne qui reçoit Nino l'informe de la nécessité de congeler ses spermatozoïdes. On comprend que le traitement qu'il subira le privera de sa fertilité mais on perçoit aussi, dans cette information donnée presque incidemment, un espoir : il y aura une vie après l'opération.
Ce bel artifice scénaristique déplace l'enjeu du film : l'urgence à laquelle se soumet le personnage principal n'est plus motivée par la lutte contre la maladie mais par le souci de préserver le pouvoir de procréer. Le prétexte - un motif de comédie - en est donné par la nécessité et la difficulté pour Nino de réaliser dans les meilleurs délais un prélèvement de sperme. La résolution-littéralement poétique-que propose Pauline Loquès est à l'image du film.
Le rapprochement entre Nino et Le rendez-vous de l'été tient tout au long du récit. Dans les deux films, une personnalité s'affirme. Blandine, à l'issue de son aventure parisienne, avait accompli un cheminement en forme d'émancipation. Nino, alors que s'amorce le générique de fin, affronte la maladie avec une détermination nouvelle : lui aussi a accompli un trajet. Les deux récits ont une dimension initiatique. Nino a d'abord caché sa maladie - à sa mère, à son ex-compagne, à ses amis, à Zoé - avant de la dire, de se libérer de la culpabilité qu'elle charrie. Le garçon timide, empêché, entravé - il ne peut plus rentrer chez lui, ayant perdu ses clés - fait doucement entendre sa voix.
Reste en mémoire, après la projection, une séquence singulière, celle de la rencontre, dans un bain public, entre le personnage interprété par Théodore Pellerin et un autre, joué par Mathieu Amalric. Elle réjouit d'abord parce qu'elle prête à Mathieu Amalric une fragilité qu'on lui a peu donné l'occasion de montrer et ensuite parce qu'elle ne résout rien. C'est une scène gratuite, merveilleusement incongrue, qui se conclut par une photo de Romy Schneider, extraite du porte-feuille de l'inconnu du bain public et montrée avec fierté à celui auquel il se confie de manière inattendue. C'est la belle représentation d'une amitié sans conséquence, s'opérant sous nos yeux. Son charme opère longtemps.