« Il n’y a pas d’argent magique. »
Ces paroles, prononcées par Emmanuel Macron lors du « Grand Débat » suite aux manifestations des Gilets Jaunes, et presque deux ans avant la crise du coronavirus, justifiaient l’impossibilité pour l’État de financer des services publics sans hypothéquer l’avenir par une dette toujours plus importante.
Quels insensés ferions-nous de faire peser sur les générations futures nos folies dépensières d’aujourd’hui ? Quand votre famille est endettée jusqu’au cou, allez-vous courir les magasins pour faire des folies supplémentaires ? Ou vous retroussez-vous les manches pour travailler d’arrache-pied tout en vous serrant la ceinture pour renflouer les finances ?
La réponse est évidente, n’est-ce pas ?
Aujourd’hui, la crise du COVID-19 nous contraint à mettre l’économie du pays au ralenti. Nous n’avons pas le choix. Mais cette situation « devra se payer », nous explique-t-on. Sans travail, sans production, sans consommation, nous accumulons des dettes, et ces dettes, il faudra bien les solder un jour.
« Il n’y a pas d’argent magique », donc.
Sauf qu’il n’y a rien de plus faux que cette phrase. La création de la monnaie n’est, en réalité, que la résultante d’un choix politique.
Vous croyez peut-être que la banque qui vous prête de l’argent ne peut le faire que parce qu’elle dispose en réserve de celui de ses épargnants ? Rien de plus faux. Cette banque *fabrique* l’argent dès qu’elle en a besoin, le créant à partir de rien. « Comme ça ».
Oui, l’argent se fabrique « comme ça », sans qu’il ne corresponde à quoi que ce soit de particulier.
La seule chose qui distingue les banques de vous, c’est qu’elles, elles en ont le droit. Alors que vous, non.
Pour le ménage lambda, « l’argent », c’est quelque chose d’extérieur, sur lequel nous n’avons qu’un contrôle secondaire. Nous pouvons en gagner, en dépenser, mais c’est tout. Les banques elles, en ont un contrôle presque total : elles peuvent en créer quasiment autant qu’elles le veulent.
Pratique, n’est-ce pas ?
Si vous n’êtes pas familiers avec ce sujet, vous vous demandez sans doute comment cela est possible. Et c’est bien normal.
En fait, la vraie question derrière tout ceci est de savoir d’où vient l’argent ; et à quoi correspond-il.
Depuis 1976, et la fin des accords de Bretton-Woods, chaque monnaie n’est plus corrélée à une quelconque « réserve » de richesse, d’or, ou de dollars. La monnaie n’a de valeur que celle qu’on lui accorde et que l’État qui l’émet a comme garantie qu’elle représente quelque chose.
L’argent est un outil, un outil dont dispose chaque État, et qui permet de fluidifier les échanges de biens et de services.
Pour mieux l’illustrer, racontons une petite histoire…
C’est l’histoire de quatre personnes qui habitent dans un petit village : le patron d’un hôtel, un livreur, un garagiste et un médecin.
Un beau matin, un voyageur arrive à l’hôtel, demande au patron s’il lui reste une chambre pour la nuit à venir, et règle sa note à l’avance en lui tendant un billet de 50 euros.
À peine payé, le patron de l’hôtel se souvient qu’il devait 50 euros au livreur de fruits et légumes venu le ravitailler la veille. Sans plus tarder, il va le trouver et lui tend le billet.
Le livreur quant à lui devait 50 euros au garagiste, qu’il s’empresse de rembourser dès qu’il a été payé.
Le garagiste, à qui le médecin avait fait l’avance de 50 euros lors de sa dernière visite, se précipite chez lui pour régler sa dette.
Enfin, le médecin, qui avait réservé une chambre pour ses parents à l’hôtel en fin de semaine passée, passe voir le patron de l’hôtel pour lui payer les 50 euros qu’il lui devait.
En fin de journée, le voyageur revient à l’hôtel, et annonce au patron qu’il ne souhaite finalement plus passer la nuit ici, et exige un remboursement. Le patron accepte, et lui rend les 50 euros qu’il avait avancés.
Amusé, le voyageur remarque que le billet qu’il lui tend est le même que celui qu’il lui a donné le matin même. Il annonce alors au patron d’un ton ironique « Encore ce billet ? Je pensais pouvoir m’en débarrasser, c’était un faux ! » Et devant ses yeux, il le déchire en petits morceaux.
De la fausse monnaie ! Qui ne valait donc rien du tout !
Et pourtant… même une fois ce billet déchiré, 200 euros de dette ont été remboursées lors de cette journée. 200 euros de dette que personne ne remettra en question. L’économie a fonctionné. À partir d’une création ex nihilo, 200 euros de dette qui pesaient sur les économies de quatre personnes ont purement et simplement disparu. Et sans la création de cette monnaie « magique », le village aurait accusé une dette, pesant sur les finances de ces personnes, les contraignant probablement à travailler davantage ou à renoncer à leurs jours de congés pour rembourser leurs emprunts.
Le voyageur, ce sont les banques centrales, et les volontés politiques des États de s’en servir de telle ou telle manière.
Bien sûr, cet exemple est simplifié et ne représente pas l’intégralité du système financier actuel, mais il donne un aperçu clair et intelligible de ce qu’est en réalité l’argent, et de comment il fonctionne à un niveau supérieur de celui d’un ménage.
Aujourd’hui, les banques centrales, et en particulier la Banque Centrale Européenne, créent cet argent magique, en quantité qu’on peine à se représenter.
Nos décisions politiques ont laissé la quasi-totalité de la création monétaire aux banques privées. Ce sont à elles que revient la responsabilité de mettre en circulation suffisamment d’argent pour assurer des échanges de biens et de services de plus en plus nombreux.
Des agents, privés, dont le but est par définition même de s’enrichir et d’enrichir leurs actionnaires, sont à la barre de la création monétaire, notre outil commun avec lequel nous vivons tous.
Mais qu’est-ce qui pourrait mal tourner !
En 2008, à force de spéculation à outrance, la crise dites « des subprimes » a plongé ces banques, et avec elles toute l’économie dont nous faisons partie, dans le marasme.
Comment a-t-il été possible d’en sortir ?
En réalité, nous y sommes toujours. En guise de « soin », plusieurs milliers de milliards d’Euros, tous les ans, sont créés par la BCE pour ces banques afin de leur racheter leurs produits financiers véreux et insolvables.
Mais ne rêvez pas, vous ne toucherez pas un centime de cet argent. Cet argent ne sert qu’à renflouer ces banques un peu trop voraces qui, une fois remises à flot, pourront reprendre leurs activités spéculatives.
Si vous avez la chance de boursicoter ou d’avoir investi dans des fonds de pension : félicitations ! Vous faites partie des heureux élus. Mais si vous êtes un citoyen lambda… tant pis pour vous.
Car si cet argent magique a bien été créé « gratuitement », les banques, elles, vont ensuite le revendre aux États, à vous tous, qui allez devoir vous endetter pour en profiter. Et qui dit dette de l’État, dit austérité.
Et qui dit austérité, dit « Il n’y a pas d’argent magique ».
La boucle est bouclée.
Ce système est-il une fatalité ?
Bien sûr que non. Oh, bien sûr, on trouvera toujours les prophètes néolibéraux de l’apocalypse économique pour dénoncer la « planche à billets », la menace de l’hyperinflation, brandissant les prix des matières premières qui flambent jusqu’à la déraison, pour justifier l’inexorabilité de leur système censé nous en protéger.
Mais de quoi nous protègent-ils, au final ?
De quelle hypothétique pénurie qui ferait flamber les prix parlons-nous ? Notre productivité n’a jamais été aussi grande, à tel point que nous peinons à refourguer tout ce que nous produisons, à grand renfort de publicité et de neuromarketing.
Peut-être pourrait-on envisager à la place de moins produire, et de moins consommer ?
De l’argent, il y en a, concentré en de moins en moins de mains. Et si une fois la chasse aux évasions fiscales lancée il en manquait toujours pour assurer les échanges entre les vrais acteurs de l’économie, les vraies gens, ceux qui se lèvent, qui travaillent, qui rendent un service indispensable à la collectivité et qu’on applaudit tous les soirs à 20h, il suffirait alors de fabriquer ce qui nous manque. À partir de rien. Par « magie ».
Ceux qui prônent le statu quo, le « retour à la normale », sont précisément ceux qui ont mis un tel système en place, dont nos entrevoyons aujourd’hui les failles béantes. Pour eux, pas d’inquiétude, l’argent magique coule à flots. Et il se transforme en richesse concrète. 99% des richesses, d’ailleurs. Concentrées en 1 tout petit pourcent des mains.
Mais si le coronavirus est une vraie crise, à laquelle nous devons faire face comme nous le pouvons, la crise économique n’est en revanche en rien le fruit du hasard. C’est une crise qui trouve son origine dans nos choix et notre organisation politique. Aucun mort qui en serait la conséquence ne peut être excusé par le destin, ou par une quelconque inéluctabilité.
Pour changer de système, il suffit simplement de le vouloir. Tous ensemble.
En reprenant la main sur notre économie, et en premier lieu, sur notre démocratie.
Les prochaines élections nationales sont en 2022.
À bon entendeur…