Trente, quarante, cinquante mille, nous entendons chaque semaine égrener ces chiffres entre les frasques américaines et les prévisions météorologiques.
D’aucuns rétorquent qu’il ne s’agit que des chiffres de l’organisation terroriste du Hamas, quand l’ONU confirme les milliers de femmes, enfants, êtres humains morts sous les bombes, ou de n’être pas ou mal soignés.
Nous pouvons finir par nous faire à ce bruit de fond, ronron macabre du décompte de ces cadavres si abstraits et lointains.
Mais, « dignité, conscience, indépendance, probité et humanité », ou le serment prêté par les avocats qui embrassent leur profession, ne sommes-nous finalement pas tous tenus à cette ambitieuse déclinaison ?
Dignes, en refusant la barbarie, quelle que soit la main qui la répand.
Conscients, en acceptant de regarder en face les excès, abus, négations de l’être humain épuisé qu’on affame, déplace, isole et bombarde.
Indépendants, en ne cédant pas aux intérêts économiques, stratégiques, diplomatiques, en dénonçant unanimement les violations gravissimes et répétées du droit de la guerre et du droit international humanitaire, le manque de cran et de fermeté des grands ce monde et le consensus médiatique.
Honnêtes, faisant preuve de probité, en ne faisant pas mine de confondre l’antisémitisme abject et nauséabond avec l’occupation coloniale nécessairement abusive et la soumission de sous-citoyens aux droits réduits à néant.
Humains, en étant incapables de détourner le regard face à une population, exsangue, désespérée et sans avenir.
Humains, en ne pouvant rester sourds et indifférents aux enfants affamés, aux familles aux deuils quotidiens, aux regards vides si pleins de nos manques de courage, aux opérations à vif et aux ruines amoncelées.
Humains, en n’oubliant pas les otages dont les familles ont perdu le sommeil depuis le 7 octobre, en n’opposant pas les souffrances, en ne pesant pas le malheur et en fustigeant le cynisme d’un gouvernement qui revendique le prix différencié de la vie humaine.
Humains, en n’ignorant pas l’histoire d’une région née au siècle dernier sur l’autel d’une Europe pétrie, à raison, d’une culpabilité assumée loin de ses territoires.
Humains enfin, en gardant le sens de nos mausolées, musées et livres d’histoire, en faisant mentir Hegel pour qui « l’histoire nous apprend que nous n’apprenons rien de l’histoire ».
L’acceptation aveugle et sans conscience ou l’absence de pensée, l’inhumanité ordinaire, insignifiante d’êtres ni supérieurement intelligents, ni terriblement machiavéliques, ou la « banalité du mal ».
« L’être humain ne doit jamais cesser de penser. C’est le seul rempart contre la barbarie » disait Hannah Arendt.
Ne jamais cesser de penser et de plaider. Soyons tous avocats.
Sofia SOULA-MICHAL
Avocat au barreau de Lyon
Présidente de la Commission Accès au droit du barreau
Présidente de l’Association des Défenseurs de la Justice