Radicalisez-vous !Ou comment se préserver des extrêmes.
Un spectre hante le monde : le spectre de l’extrême. Comment alors exorciser cette possession vicieuse de l’enveloppe intellectuelle contemporaine ? Je n’y vois qu’un seul moyen, se radicaliser.
Au terme radical, il faut aller y prélever « la racine » ; penser non plus en termes d’étoffe et d’esthétique conforme à la férocité du lieu-commun et d’un certain dictat moral inconscient et variable mais en termes de forage, de solidité et de cohérence. Or, s’il est bien une valeur réappropriée par les pensées extrêmes, c’est bien celle de la cohérence. Un remaniement vulgaire et vulgarisé de la notion de cohérence, en prélevant l’aspect solide tout en y excluant les matériaux intellectuels adéquats. L’extrême bâtit alors sur des maladies axiomatiques et des biais logiques un édifice de cohérence simplifiée qui sait, par sa saisissabilité, communiquer efficacement avec une perfidie commerciale au plus profond de notre intellect.
Aussi s’il est bien un déplorable abandon, c’est encore celui de la cohérence face à la modération entêtée, elle qui, succombant dans un « mais en même temps » létal qui paralyse littéralement les rouages de création d’idées, devient un puits où se meurt peu à peu l’éclat des pensées aiguisés et où se stockent dangereusement et stagnent les sources de l’innovation et du développement intellectuel humain.
Le monde vit des bouleversements majeurs. Comme il en a toujours vécu, certes. La civilisation humaine a rarement été célèbre dans l’histoire pour son immobilité. Notre cycle actuel se démarque néanmoins par une redistribution importante des pouvoirs globaux, une crise forte de la démocratie et de ses mécanismes en Occident et une autre crise, de dimensions certainement plus identitaires ou « spirituelles » en Orient. Voici donc comment se créé un terrain énormément propice à l’excentricité en tous genres.
Les habituelles dichotomies politiques et intellectuelles vacillent. Droite, gauche, état, entreprise, libertés individuelles, cohésion sociale, ces termes à visée structurantes dans nos sociétés se font malmener par une évolution civilisationnelle qu’ils n’arrivent plus à suivre. Un flou qui, bien qu’utile à une certaine caste trouvant plus d’aise à diriger dans la confusion, Prenons comme exemple de cela les consignes patronales de France Télécom entre 2006 et 2011 prônant expressément l’imprécision des directives aux personnels afin d’exploiter au mieux les salariés sans se soucier aucunement des impacts psychologiques qui aboutiront tristement à une vague de suicide dans l’entreprise. En voilà un modèle de pensée extrême qui fait du « flou » la pierre angulaire de sa démarche de destruction.
L’ancrage aujourd’hui de toutes ces notions dans le réel se fragilise et pour cause le mouvement du référentiel de la pensée se meut de manière inédite.
La sagesse, si l’on suit une célèbre et ancienne doctrine Arabe, se trouve dans les médians. De là nous pouvons dire que les compromis sont les meilleurs outils de réconciliation et de démarche de recherche de la vérité. Néanmoins les compromis par définition n’englobent jamais entièrement la satisfaction. C’est ainsi que la frustration devient une nième vague sur laquelle surferons aisément les abusifs et une corde sensible qui serrera le cou de l’esprit devant les yeux du bourreau "populisme".
Notre modération, ainsi que la clairvoyance et l’empathie qui l’accompagnent et que nous chérissons tant, se vieillit car, trop pressés à réconcilier, à être maniaques de fédération, à transformer nos processus philosophiques en stratégies publicitaires, ne se rend compte que trop en retard du fort mouvement environnant et ne trouve plus le temps de poser clairement les bases solides de sa fondation ; ce à quoi devraient s’atteler urgemment tous les intellectuels prétendant vouloir réellement faire changer les choses au lieu de s’attarder mollement sur une division futile et perpétuelle des notions mêmes de milieux et se perdant dans une complaisance toxique. Pensons sérieusement la modération…
Radicalisons la modération ! Le fait d’observer une contradiction dans cette dernière formule montre encore à quel point nous en avons besoin. Pourquoi trouvons-nous bizarre ce caractère incisif à cette même doctrine appelée pourtant, par la mesure qu’elle représente, à trancher ?
Ôtons cette lâcheté qu’ont affublés les extrêmes à la sagesse et récupérons nos concepts dévoyés. Retrouver un frisson et une saveur dans la mesure est possible dès lors que l’on peut outrepasser la synthétique épice extrémiste qui n’attire plus qu’à cause de la mollesse et la redondance de la soupe intellectuelle et morale froide qui nous est servie par les intellectuels, politiques et journalistes de grande audience.
Osons être sages, osons être radicaux.
Benhabiles Sofiane