Vendredi 15 Mai 2020.
L’Algérie, touchée lourdement par la pandémie de CoVid-19 et prônant depuis prés de deux mois une stratégie de gestion de crise changeante et tatillonne : pas de confinement général, un couvre-feu dont l’horaire changera plus de trois fois en quelques semaines, des annonces d’ouvertures puis de fermetures de commerces à quelques jours d’intervalles, certains citoyens peu enclin à respecter les règles d’hygiène et de sécurité, etc. ; a tout de même miraculeusement réussi à éviter le pire et à contenir modestement la propagation du coronavirus sur tout le territoire.
Le bilan à déplorer aujourd’hui reste tout de même conséquent : 536 morts pour 6629 cas confirmés fixant ainsi le taux de mortalité à plus de 8%, un des plus élevés dans le monde.
Parmi ces décès, plus d’une vingtaine sont des médecins morts dans l’exercice de leurs fonctions, au front, en tentant de combattre l’épidémie. Dr. Tilmatine, praticien généraliste à l’hôpital de Sidi M’hamed fût le premier d’une tristement longue liste à succomber à cette maladie, suivi quelques jours plus tard par Pr. Si Ahmed, Dr. Kebali et Dr. Djama Kebir qui décéderont à la wilaya de Blida, épicentre de l’épidémie. A eux s’ajoute également, et il ne faut pas l’oublier, un personnel soignant et hospitalier engagé vaillamment dans la lutte, chauffeurs d’ambulances, infirmiers et agents de sécurité.
Cette vague de décès dans le corps médical suscite inévitablement des interrogations sur la manière avec laquelle sont protégés les praticiens de la santé, avec laquelle nous leur garantissons des moyens de protection et la possibilité de prodiguer leurs soins sans exposer leurs vies ou celles de leurs proches au danger.
Ces interrogations ne sont malheureusement pas inédites. En effet, en 2018 s’enclenchait en Algérie un mouvement de grève nationale des résidents en médecine, rapidement suivi par les étudiants en sciences médicales, qui dénonçait déjà vigoureusement, entre autres revendications, la vétusté de la gestion des hôpitaux ainsi que les conditions de travail n’offrant que trop peu de garanties et de décence aux praticiens. Ce mouvement de grève connaîtra alors une forte répression, violente parfois, ainsi que des résultats trop peu satisfaisants, laissant donc encore dans le cœur des grévistes des blessures encore fraîches…
Ce sont alors ces blessures qui se mettent à démanger aujourd’hui avec le décès du Dr. Boudissa W., praticienne à l’établissement public hospitalier Chaghoub d’Ain El Kebira situé à une vingtaine de kilomètres au nord du chef lieu de la wilaya de Sétif, alors seulement âgée de 28 ans et poursuivant son septième mois de grossesse…
Des professionnels de la santé Algériens avaient pourtant, durant les derniers mois, alerté les populations et les autorités sur le fait d’octroyer exceptionnellement des congés durant ce mois de Ramadan aux femmes enceintes, sujets immunodéprimés et donc beaucoup plus enclins aux infections. Une note ministérielle relative aux mesures de protection en milieu de travail face à l’épidémie stipulera alors : « les femmes enceintes au troisième trimestre sont dispensées des services dédiés au CoVid » annonce Lyes Merabet, président du syndicat national des praticiens de santé publique.
Il est clair qu’aujourd’hui pourtant, et malheureusement comme trop souvent, les règles ne sont pas respectées et l’inconscience primera une fois de plus pour faire aujourd’hui une victime, déjà une victime de trop.
Véritable tragédie pour la population, les hommages, condoléances et pensées se multiplient envers cette jeune médecin urgentiste, son enfant et sa famille sur les réseaux sociaux et suscite l’émoi, notamment chez le personnel hospitalier et leurs proches qui iront travailler demain, une boule encore un peu plus lourde au ventre.
En réaction à cela, le Ministre de la santé Algérien, Abderrahmane Benbouzid, annonce le jour même l’ouverture d’une enquête : « Je présente mes condoléances à sa famille […] J’ai ordonné aussi l’ouverture d’une enquête administrative pour connaître les circonstances du décès et si cette médecin avait vraiment été obligée de travailler malgré son état de santé. » « S’il s’avère vraiment qu’elle a été contrainte de travailler, le directeur de l’hôpital sera sanctionnée ainsi que son responsable direct. » ajouta-t-il.
Cette réaction rapide du gouvernement était nécessaire. Aujourd’hui encore, et pour de nombreuses raisons, le manque de confiance et la méfiance entre les praticiens de la santé pèsent et empêchent les systèmes et infrastructures de santé de fonctionner de manière fluide et efficace et atteignant donc tous les citoyens. La réactivité et le dialogue seront d’autant plus de démarches nécessaires à la construction de mécanismes meilleures, et cette crise aura tout du moins le mérite de révéler le rôle charnel des systèmes de santé dans une nation.
De charnel nous avons aussi cette perte aujourd’hui….
Reposez en paix Dr. Boudissa, nous maintiendrons le flambeau !
Benhabiles Sofiane