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Billet de blog 4 mai 2012

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Les vendredis de Sokolo " Premier mensonge..."

Vous est-il jamais arrivé de vous relever la nuit, de tendre la main dans le vide en recherche de l’interrupteur, pour vous rendre compte, passé un  instant de confusion, que vous êtes à l’hôtel, chez des amis.

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Vous est-il jamais arrivé de vous relever la nuit, de tendre la main dans le vide en recherche de l’interrupteur, pour vous rendre compte, passé un  instant de confusion, que vous êtes à l’hôtel, chez des amis. Repères perdus, en un fragment de seconde, l’espace s’est transformé, soudain menaçant avec des embûches, et parfois il vous en reste une douleur au tibia qui vous a tiré un cri dans le noir.

Lucile venait de vivre un tel réveil avant que son hôte ne surgisse de sa chambre au rez-de-chaussée, n’allume le couloir en bougonnant. Bon dieu, que foutait-elle là, chez ce mec qui la dégoûtait. Il l’avait logée dans le grenier, avec une mise en garde concernant la trémie sans rambarde, et elle avait eu du mal à comprendre ce terme désignant le trou de l’escalier. À présent, immobilisée à la verticale de la première marche, elle imaginait la chute, quatre mètres avec pour s’étaler un carrelage crasseux. Bon dieu, je vous avais prévenue ! Et la lampe de chevet, c’est pour les chiens... En slip, il était encore plus hideux. Avec ce ventre vu du dessus qui dessinait comme une flaque, trépidant sitôt qu’il vociférait.

Quand elle avait sonné, sans illusions,  les autres de la rue de la Douve ayant fait la sourde oreille à cette heure, elle avait failli s’enfuir à sa vue, à sa façon de questionner d’un hein proche du beuglement. Ce type dégageait quelque chose d’animal, mais une porte s’était ouverte et elle avait pénétré dans cette maison. Épuisée, Lucile n’avait pas fait la difficile, et discrètement avait entrebâillé la borgnote du grenier, pour chasser la puanteur. Pourtant, comme pris en faute, son hôte s’était donné la peine d’un coup de balai, sans deviner que seule l’odeur incommodait sa visiteuse d’un soir. Un relent de pourri, et dont elle avait identifié la source, une poubelle dans la cuisine, triée par une ribambelle de chats, les uns se disputant des arêtes, les autres un emballage. L’appréciable ici, c’était l’absence de curiosité. Sinon, elle aurait fait demi tour, se serait endormie sur le même coin de plage.

Une fois descendue du train au terminus, elle s’était demandée si elle reconnaitrait Pornic, déjà surprise de la taille de la gare. De suite, elle n’avait eu qu’une envie, accéder à la mer en longeant le vieux port. Mais parvenue sous le château, elle s’était accordée une pause sur un banc, et les larmes avaient coulé, se revoyant à la sortie de l’intercommunal, à un mois de la retraite, comme si les emmerdes n’avaient pu attendre... C’était marée basse, des bateaux étaient posés de travers sur le sable et elle pensa, c’est fou comme l’odeur du varech vient de loin, pénètre profond.

 Les ombres s’étiraient, le soleil sur l’eau brûlait les yeux. Comme quand elle était petite, que sa tante la précédait de la rue de la Douve jusqu’au manège planté non loin des restaurants, quai Leray, avec leurs panneaux en travers du passage, et elle se souvenait d’une grosse écrevisse qui la contraignait à un détour. Combien de fois sa tante lui avait-elle promis de pousser la porte, mieux, de s’installer en terrasse, comme les touristes, de manger avec les doigts en public. Lucile était trop effrayée à l’idée d’un tel crustacé dans son assiette et il lui avait fallu patienter bien des années avant d’en goûter un, aux côtés de Lucien. Confusément, elle l’avait toujours su, jamais la promesse de la tante ne serait tenue, se demandant si s’attabler ici ne briserait pas un rêve, si dans son enfance à Pornic on ne lui avait pas fait miroiter de la même manière un plat d’écrevisses. N’était-ce pas une occasion de parler, lui secouant la main. Si on t’envoie le jour où je touche ma paye, tu choisiras sur la carte. Ensuite, elle approchait son nez pointu du panneau à l’écrevisse, commentait les tarifs usant d’un charabia, comme rue de la Douve, quand elle croyait Lucile dans le jardin.

Le jour de la paye... Comme si Lucile avait son mot à dire. Tout juste si elle était prévenue. On la poussait dans le train en la recommandant au contrôleur, avec une bande dessinée pour compagnon de voyage. Pourtant, elle adorait les séjours à Pornic, et quand elle apercevait sa tante sur le quai, elle abandonnait son bagage de gamine pour prendre son élan. Saute pas comme ça, tu vas me renverser, à mon âge. Et puis t’es trop grande à présent. Les séjours rue de la Douve avaient duré combien ? Le temps que ses parents se séparent pour de bon, mais combien... Ils avaient été si longs à se décider, et puis ensuite, s’étaient brouillés chacun de leur côté avec la tante de Pornic. Ce que Lucile avait pleuré...

Là-bas, rue de la Douve, un Sans famille illustré patientait, connu par cœur, avec les mêmes personnages d’Hector Malot, Rémi et Vitalis qui lui tiraient des larmes à l’approche des dernières pages. Des instants de bonheur jamais retrouvés. Avec personne. Lucien n’avait jamais compris. Comment pouvait-il être jaloux de la tante avec son nez pointu. Il avait toujours refusé de se rendre à Pornic, prétextant la distance, le train pas pratique, plus de trois heures et demi de trajet, une d’attente à la correspondance, toujours sa mauvaise foi, les locations inabordables, même le camping le rebutait. À cause des radios, des mômes qui couraient en zigzag et puis tout était trop cher. Sans le savoir, il reprenait les critiques de la tante envers les touristes, mais lui n’avait pas le nez pointu et ses objections n’étaient pas recevables...

Pauvre Lucien. Il devait tourner en rond dans l’appartement de Villejuif, dans le regret de ce qui s’était passé, après tout, c’était sa faute. Un premier voilier se redressait sous l’effet de la marée quand Lucile s’était inquiétée de l’heure. Elle avait grignoté un sandwich tiré de son sac, s’était mise en recherche d’un coin sur la plage, en vue d’y passer la nuit. L’air était tiède et son duvet serait sans doute trop chaud. Elle avait imaginé ce scénario de sa banlieue parisienne, une fois rentrée de la consultation à l’hôpital, sans savoir combien elle serait oppressée, une fois les derniers badauds dans l’eau jusqu’aux chevilles en allés. Un homme à casquette de marin l’avait contemplée de loin, le temps d’une cigarette, puis s’était éloigné avec une démarche de canard en remontant vers la corniche. Le soleil disparu lentement dans la mer, elle avait tiré la fermeture éclair de son duvet, persuadée que le type à la casquette assurerait à sa femme avoir surpris une sans domicile installée sur la plage.

Alors, elle avait pensé en premier à sa tante dont elle n’était pas sûre de reconnaître la maison rue de la Douve, ensuite, l’image de Lucien s’était imposée, penaud, si maladroit en apprenant la nouvelle. Au réveil, elle avait buté dans le fond de son duvet, descendu la fermeture et tendu la main vers sa tante, ne rencontrant que du sable. Un jour, la tante lui avait proposé une nuit à la belle étoile à ses côtés, une lubie, et Lucile avait voulu à toute force revivre ça, sur un coup de tête, à cause de Lucien, et son refus de comprendre ce qu’elle ressentait. Mais, contre toute attente, ces fois-ci, elle avait eu froid jusqu’à l’aube avant de réaliser. Sa tante était bien morte, tout comme ses parents, alors qu’ils s’étaient réconciliés, trop tard, alors que la petite Lucile devenue grande vivait depuis vingt ans avec Lucien. Ici, rue de la Douve, elle espérait au mieux des fumeroles, un lambeau de son passé auquel s’accrocher, à cause de Lucien et ses réflexions idiotes...

Au petit matin, elle fut réveillée par un bruit de casseroles, de placards claqués, une odeur de café, quand elle entendit le gros type crier du pied de l’escalier. Elle est réveillée, la pimbêche ? Elle roula son duvet, méticuleuse comme toujours, troublée par la ressemblance de son hôte avec cet abonné de la bibliothèque de mathématique. De quelle nationalité déjà ? Un russe, sans doute, et elle se souvenait qu’il avait frôlé le Nobel. Un gros aussi, qui maltraitait ce mot, soudain curieux avec son accent. La pimbêche... Si elle avait pu, elle l’aurait foutu dehors, mais tous à la bibliothèque semblaient le craindre, et puis un jour, on avait appris sa mort à la sortie d’un bar. Un coup de pistolet qui une semaine durant hanta d’un bureau à l’autre, les collègues colportant des détails d’articles de journaux.

Une fois, elle avait été tentée de compter sur ses doigts, ceux de ses confrères dont elle avait suivi le corbillard, puis, les dix doigts tendus avait haussé les épaules. À quoi ça rime, se faire peur... De Villejuif, la ligne 7 du métro la conduisit directement à la fac durant des décennies, et c’est Lucien qui avait fait la remarque au moment du déménagement de la bibliothèque de mathématique. Ce sera moins pratique pour te rendre à Chevaleret, avec le changement. De plus, Place d’Italie, bonjour les couloirs... Moins pratique, voilà tout ce qu’il concluait de ce bouleversement.

Comme elle s’en doutait, le café était infâme et le gros type avait passé une robe de chambre par-dessus son slip, un modèle démodé qu’il ne prenait pas la peine de maintenir avec la ceinture, et elle s’était demandé si c’était un vicieux. Il avait frappé la table d’un crouton. C’est tout ce qui reste, je vous l’ai réservé, autrement, il filait aux lapins. L’aurait fallu frapper avant la fermeture de la boulange. Son œil brillait et il semblait satisfait d’avoir de la compagnie. Alors, elle lui demanda depuis combien de temps il était installé rue de la Douve , s’il avait connu sa tante. J’suis né là, ma p’tite dame, et je compte bien y mourir aussi. Lucile frissonna. Ben quoi, on y passe chacun son tour, pimbêche ou pas.

Nez dans son bol, elle l’écouta décrire un à un les habitants de la rue de la Douve qu’il avait connus, traçant dans la motte de beurre une croix pour chacun du bout de son couteau. J’les remets tous. Elle était comment, la tante, parce que les noms, j’retiens jamais ? Puis, il ajouta malicieux. Vivant seul, j’en vois qu’une, avec un nez pointu... Elle avait hésité, avouer qu’il était tombé pile, de peur d’une grossièreté, mais subitement rêveur il baissait d’un ton. Tiens, si vous n’étiez pas si pimbêche, je vous en apprendrais sur elle. Lucile avait tenté de changer de thème, mais il était lancé. Figurez-vous, c’était la fille de la roulure de Pornic. Oh, elle ne s’en cachait pas. Lucile sentait son cœur battre, suppliant en secret qu’il cesse ses ragots, elle en était certaine, dans le regret de ne pas s’être pliée aux injonctions de Lucien, se reposer à Villejuif. Comme si le repos lui ressemblait !

Le gros type farfouilla dans le frigo, en tira un pot, ôta le moisi, fendit le crouton en deux, étala la confiture. Tenez, trempez dans le café, ça va ramollir... Puis, il poursuivit. Et vous savez comment elle s’en est tirée, la gamine ? En devenant la maîtresse du marchand de bois. Oui ma belle, du marchand de bois, qui lui a offert ses études d’infirmière. Une femme respectable votre tante, qui recevait de temps à autre une petite môme. Des souvenirs lui revenaient, il avançait la lippe, aspirait du café, reprenait. Oui, une enfant qu’elle récupérait au train, et j’ai toujours imaginé qu’elle était sortie d’elle en cachette un beau matin, introduite neuf mois plus tôt par le marchand de bois. Une petite voyageuse avec des couettes et des allures de  parisienne, déjà à son âge. Il la fixa avec insistance. Un peu pimbêche, si vous voyez ce que je veux dire...

Avant qu’elle ne quitte la rue de la Douve, le gros type lui confia sur le  trottoir. Vous savez ce dont elle rêvait, votre tante ? D’écrevisses. C’est ballot à Pornic ! Et ben, c’est moi qui les lui ai payées, sur le quai Leray, l’année de sa mort, exactement.

Lucile fit un détour par la plage avant de regagner la gare, préoccupée par ce qu’elle avait appris, aussi par ce qui l’attendait à l’Intercommunal de Créteil. Comme avait dit Lucien, ce serait encore moins pratique que de se rendre à Chevaleret. Dans le wagon qui la ramenait à Paris, elle se demandait si elle avait été bien inspiré de revoir Pornic, de sonner chez ce gros lard rue de la Douve.  

Le paysage défilait à l’approche de Nantes, et lui apparaissaient des visages de collègues, en suspension dans une sorte de brume, les locaux de Jussieu, les pots de départs en retraite, les retours par la ligne 7 en hiver, le désespoir de ceux de l’équipe lors du projet de transfert à Chevaleret, persuadés que ce serait moins bien, forcément.

Et puis, les premiers cas. Un, puis deux, puis dix, ensuite on ne compta plus... Pourtant, la première fois qu’elle avait entendu ce mot, mésothélium, elle l’avait trouvé... élégant. Mésothélium... Réflexion transmise à Lucien, qui avait tout gâché dernièrement, avec son déni, hostile à l’idée de l’accompagner à Pornic. Tu t’es toujours tirée de tout, alors, le cancer de l’amiante, tu n’en feras qu’une bouchée. La première fois qu’il lui mentait.

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