Inutile de le préciser, Pépito déteste l’idée d’être enfermé, dans une salle de classe ou ailleurs. Ce qu’il préfère, c’est courir, sauter, partir en vrille, mordre, griffer ceux qu’il aime, quand ce n’est pas dégringoler du haut de l’escalier, rien que pour effrayer, simuler le coma à la réception sur le carrelage, pattes en croix et mou comme une nouille, museau pointé vers la charpente du grenier. Un gredin, un saltimbanque, une graine de bagnard ne méritant pas d’apprendre à lire et écrire, un futur ministre.
Aussi ne lit-il pas de journal d’investigation, se moque-t-il de la rentrée, de la marelle sous le préau, de chat perché, ces jeux idiots qui ne valent pas une boule de papier froissé poursuivie sans relâche, un bouchon au bout d’une ficelle, à lui rebondir sur le museau et enchaîner les tourbillons. Ceux qui n’ont jamais connu ça ratent leur vie, se consacrent à leurs études, au théorème de Pythagore, au chat, la belette et le petit lapin, et essaiment dans leur froc au moment de la récitation sur l’estrade.
Pépito, lui, n’a jamais peur. Il escalade, dévale le cerisier, plonge de la cime, se rattrape à une feuille, se balance tel un acrobate poursuivi par le rond d’un projecteur, rêve aux moyens d’enrager son maître, chute, se ramasse avant de se propulser comme une bombe dans le potager, laboure les plants de salades, y laisse une flute ou une noix, et vous fixe de ses mirettes à émouvoir une lentille d’eau. À l’occasion, d’un coup de patte, il clique sur le clavier, ajoute une faute sur l’écran, comme s’il en manquait. Nigaud !
Excité toute la sainte journée, il lasse l’entourage, et il arrive parfois d’entendre murmurer. si j’avais su, je l’aurais laissé dans sa grange en Auvergne. Oui, Pépito est originaire d’un lieu-dit, un entonnoir qui n’a rien de réel et sans valoir le détour, auquel on accède par un semblant de route qui serpente, un raidillon qui déclenche l’inquiétude à la vue de trois toitures, que va-t-on découvrir derrière les sapins ? Discerner qui ? Pépito, bien entendu, pointant le museau d’une grange abandonnée, car tout dans cet endroit est désolation et serre le cœur, mon dieu, pas de Mammouth en vue pour s’alimenter...
C’est la seule attraction, ce condamné à mort par une voisine, préférant protéger sa chatte des mâles et leur fornication, nouveaux nés compris, plutôt que de recourir à l’opération pratiquée ordinairement par un vétérinaire. N’y voyez pas malice, faute de pouvoir couper les géniteurs, cette habitante opte pour l’extermination avec la complicité d’un soupirant, qui à force d’occire tous les félins à la ronde obtiendra le droit de soupirer encore et encore. Jusqu’à plus soif, épuisement du stock, raison pour laquelle est née dans l’esprit d’un vacancier stupéfait de tant de cruauté en notre bonne contrée auvergnate, la volonté farouche de sauver un individu, celui qui à l’heure du repas à l’ombre d’un saule, s’approchait à distance de l’échelle, celle positionnée en vue de lui mettre la main au collet.
Vain espoir, tant ce sauvage était leste et méfiant, auvergnat dans l’âme, et qui imposa l’usage d’une cage, celle-là même qui devait le conduire au trépas. L’approche nécessita maints écuelles de lait, et une fois trompé par la rouerie du juillettiste en vadrouille avec comme unique occupation sauver une vie, la dite cage fut positionnée au haut de l’échelle, et tout craintif qu’il fut, un bruit de ferraille ne tarda pas à alerter le braconnier d’opérette. Le chaton pris dans la nasse, pas content du tout, furieux de se heurter aux barreaux, déclenchait un raffut épouvantable.
Mais cesse donc de t’affoler ainsi, tu vas réveiller tout le quartier ! Vu son entêtement, une explication s’imposait, les raisons de ce kidnapping, les six cents kilomètres en voiture, et septembre approchant, la rentrée scolaire. On n’allait pas se satisfaire d’un trublion mal dégrossi, l’école laïque et républicaine allait le caler dans le moule, de gré ou de force, l’assagir puis le discipliner, lui entrer dans le crâne les règles élémentaires de la vie en société. Ne pas griffer, ne pas mordre, parler correctement, dire bonjour et lever l’index avant de prendre la parole, les petits devant, les grands derrière, ne pas se lécher les fesses à la moindre occasion, ensuite le nez de la maîtresse, ne pas grimper partout, ne pas jouer sans autorisation, devenir un bon chat, présentable, dont on est fier et qu’on prend en photo.
À observer le lascar dans sa cage, sa folie furieuse d’être soudain en captivité, du pain restait sur la planche, un doute s’insinua, réduisant les objectifs, n’allait-on pas se contenter de l’apprivoiser, enfiler des gants en cuir pour les caresses, le tenir à distance, se dire qu’après tout, faute de mieux dans ce coin reculé, une bonne action avait été accomplie, favoriser la vie n’est-elle pas la plus belle des réalisations, la plus honorable, et qu’un tigre en profite n’enlève rien à la beauté du geste.
Tigre ou panthère, la fourrure ventrale laissait un doute, l’avenir le dirait, les morsures aussi, la directrice en maternelle imposerait son avis, décernerait à la longue un prix de la bonne humeur, comme à son maître au siècle dernier, unique distinction dont il sera fier sa vie durant. Fier comme un chaton qui dépose sa première proie sur les marches du jardin, une souris moribonde avec des soubresauts. La vie est cruelle. La rentrée des classes aussi, le cordon ombilical manque d’élasticité, et la panse à pleurs s’est gonflée comme « une loutre » tout l’été, en prévision...
Comme la rentrée approchait, la permission de minuit avait été accordée à Pépito, faiblesse certainement, mais comment tourner les pages d’un roman, harcelé de mille piqûres par ce moustique surexcité et infatigable, décidé à faire devenir chèvre le plus stoïque des maîtres. Une telle décision de l’expatrier dans le jardin n’est pas prise après réflexion, surtout avec le portail grand ouvert, auquel on pense sans le courage de le pousser, mais sur un coup de tête, excédé, avec l’envie de faire tournoyer l’animal par la queue, le propulser au diable vauvert. Vite fait, bien fait, obtenir la paix ! Celle des lecteurs à l’approche des douze coups de minuit et, quand la pendule entama sa déclinaison sonore, il fut décidé d’oser un dernier chapitre, pressé d’en apprendre encore et encore, de couper la chique à ce suspens agaçant, tout en sachant quels regrets sur l’oreiller hanteront nos rêves, d’avoir soulevé ce voile trop tôt.
Sous des aspects fanfarons, avec ses pattes grêles et son museau pointu, Pépito n’a pas quitté la petite enfance. S’il poursuit sa boule de papier froissé, ses acrobaties sont ponctuées d’accidents multiples, bénins uniquement en fonction de l’élasticité de son squelette. S’il fallait prêter attention à chaque collision, on y passerait sa journée et viderait le flacon de mercurochrome. Habile à dribbler un adversaire imaginaire, il oublie la présence d’un mur, d’un pied de table, se rétablit comme un patineur exécutant une figure imposée, dans l’hésitation à saluer le public, car Pépito s’invente un monde, aussi est-ce une imprudence de l’abandonner dans le jardin portail ouvert passé minuit.
Il est des faiblesses passagères aux conséquences imprévisibles, ou plutôt existe-t-il une paresse suscitant des regrets, de la peine quand ce n’est pas une mortification imbécile, tant il eut été facile soit de rentrer cet animal avant le douzième coup, soit de cadenasser le portail. Pour cela, il aurait fallu être moins cossard, non victime d’un livre qui n’en finit pas, bref, au matin le chaton n’avait pas donné signe de vie. C’est donc qu’une bande de renards s’était mise en tête de ratisser le village par une nuit de pleine lune, et la petite victime étant plus légère qu’une poule et non protégée par un grillage, les chasseurs auraient été bien couillons de ne pas happer au passage un être innocent et le vider de son sang. N’est-ce pas la loi de la nature ?
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La journée suivante fut un vrai supplice et l’on vit au village un drôle de pistolet hanter les rues, fouillant les sorties de drainages, y enfournant la tête agenouillé, tambourinant d’une porte à l’autre, dans une éternelle quête suivie d’un même étonnement. Des cartons firent leur apparition sur les poteaux téléphoniques, avec leurs lettres, cette écriture fébrile réclamant qu’on restitue l’objet de son désir, si affectueux, doté de la douceur des agneaux, à la patte douce et si reconnaissant de sa vie sauvée in extrémis, un chérubin qu’il serait cruel de s’approprier frauduleusement, séduit par tant de vertus.
Coincée par une jambe plâtrée, sa voisine directe lui fut de peu de secours, sinon qu’elle l’autorisa à inspecter sa grange, activité qui l’occupa à maintes reprises tout au long du jour, enfiévré par des miaulements lointains, venant d’une improbable direction, un mur doté de la parole, sons confondus avec des cris d’enfants dans son dos. Que la douleur se joue des malheureux, leur indiquant des chimères auxquelles se rattacher, des faussetés, des mirages vers lesquels se précipiter et y laisser sa dernière énergie, des miroirs aux alouettes, des radiesthésistes, des protocoles médicaux, des expériences fomentées par des laboratoires pharmaceutiques, précédées d’une signature au bas d’une décharge. Du rêve en boite, de l’illusion, un sacrifié en slip sur une croix, et au final le coup de grâce.
Une échelle fut trimballée d’un bout à l’autre du village, tous les bâtiments visités, les recoins examinés, les empreintes grossies à la loupe, pauvre maître désespéré dans la peau d’un cheyenne sur une piste, à la poursuite de quoi, d’une mauvaise conscience travestie en certitude, Pépito attend d’être libéré par son sauveur, celui qui l’a tiré des griffes de cette femme aux intentions troubles, liquider les mâles, le maître enjôlant le chaton à l’aide d’une promesse, le fourrer à l’école, lui apprendre les bonnes mœurs, celles des hommes. Parlons-en...
Ce qu’il ignorait, c’est que la plus tenace des tortures est celle infligée à soi-même. La fin du week-end approchant, tous les scénarios possibles avaient été passés au crible, ceux élaborés dans son cerveau dérangé par la douleur, convaincu d’une disparition définitive, restait à comprendre de quelle façon une vie avait pris fin, et cette fin-là méritait d’être ressassée pour mieux l’évacuer, conjurer la mort en se frappant la poitrine. N’était-il pas coupable de la tragique aventure, avec ce portail béant sur l’inconnu, sur les renards en vadrouilles, les voitures peu nombreuses mais néanmoins promptes à se jeter sur un chaton qui du coup manquerait la rentrée des classes, baisserait les paupières sans avoir connu la douceur des salles de classe surchargées, sur ces bâtiments peu visités et aux portes vermoulues étouffant des miaulements plaintifs, une semaine durant, un mois peut-être avant de s’étonner d’un cadavre desséché, avec des griffes accusatrices plantées dans le bâti, les joies mais aussi les danger de la campagne.
Ah, les appâts empoisonnés et destinés aux souris, une probabilité jusqu’ici négligée, lesquelles souris amoindries sont cibles toutes trouvées pour Pépito, prêtes à être émincées, comme l’autre jour quand il roulait des épaules à sa première prise. Pauvre de lui, trop éveillé pour son âge, ne vaut-il pas mieux être retardé au fond de la classe à bayer aux corneilles, hors de portée des embûches rencontrées à chaque respiration ? Faut-il vivre dangereusement, au risque de s’éteindre avant d’avoir vécu, ou alors filer doux, toujours transparent au risque de battre des records de longévité, mais sans gémissements de plaisir, sans faire entendre des râles de satisfaction ?
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" class="media-left" src="https://static.mediapart.fr/etmagine/default/https://static.mediapart.fr/files/imagecache/770_pixels/photo-non-disponible.png" width="100" height="100" alt="" data-mediapart-media-id="" data-insert="options%5Blegend%5D=&options%5Bformat%5D=100&options%5Bfloat%5D=left&options%5Bhighlight%5D=0&options%5Buse_percent_width%5D=1&options%5Bwidth%5D=100&options%5Buse_percent_height%5D=1&options%5Bheight%5D=100" title=""/>" class="media-left" src="https://static.mediapart.fr/etmagine/default/https://static.mediapart.fr/files/imagecache/770_pixels/photo-non-disponible.png" width="100" height="100" alt="" data-mediapart-media-id="" data-insert="options%5Blegend%5D=&options%5Bformat%5D=100&options%5Bfloat%5D=left&options%5Bhighlight%5D=0&options%5Buse_percent_width%5D=1&options%5Bwidth%5D=100&options%5Buse_percent_height%5D=1&options%5Bheight%5D=100" title=""/>S’il intégrait l’école ce mardi, cet animal serait armé pour aborder un premier cours de philosophie, tirer des théories de la pratique, et non le contraire, la plus dangereuse façon et qui conduit aux dictatures, imposer un comportement conformiste en fonction d’un missel, d’un petit livre rouge, d’une chapelle. Que n’allait-il rater, ce Pépito, se lamentait son maître à la nuit tombée, alors que minuit approchait. Quel désastre, un si beau chaton, louper sa rentrée scolaire. La certitude que plus jamais le nez de l’un et le museau de l’autre ne se frotteraient, comme à chaque fois qu’ils se croisaient, anéantissait un maître au bord du précipice. La nuit était plus épaisse, le silence plus lourd, et la pendule paresseuse. Le monde s’arrêtait et il n’osait se glisser entre les draps tant ceux-ci figuraient des suaires, prêts à l’empaqueter vers des abîmes aux allures de train fantôme.
Quarante huit heures d’absence, les carottes étaient cuites, il faudrait affronter une existence désormais sans charme, une nourriture fade et des conversations chargées d’ennui, une compilation chagrine. À l’extrémité du couloir, il ne parvenait à prendre une décision, s’affaler en pleurs sur le canapé, ou vaillamment gagner la chambre, plier ses vêtements sur la chaise, enfiler son pyjama, prendre ses gouttes et fixer le plafond.
Tout à coup, il poussa un cri stupide devant une apparition, deux oreilles à la porte-fenêtre et surmontant un museau, des yeux exorbités, son Pépito, semblant dire, alors, tu l’ouvres cette porte, bon dieu, depuis le temps que je m’impatiente... Minuit sonnait, son chaton rentrait de week-end, frétillant, filant en ronflant telle une locomotive vers les croquettes. Un Pépito affamé, en mal de caresses au pied d’un maître interdit, pantois et tremblant. Mon Pépito, fais ce qu’il te plait, mon gamin, vas-y goinfre-toi, tiens une larme de lait... Vas-y, régale-toi, oui, tout ce que tu veux, vas-y gratte le canapé...
Les sens basculent si vite parfois, ce qu’on croyait définitivement perdu vous est redonné, et l’on oublie dans l’instant les mauvais moments, les hivers maussades à compter les secondes. Le fond du puits se change en calanques sillonnées de sirènes, et de l’océan monte des oratorios à rendre stupides et béats une brochette de généraux. Mon Pépito... Après-demain mardi, fièrement, il le conduira à l’école, où le petit nouveau épatera la galerie avec son odyssée, son expérience, celle qui ne se transmet pas mais se savoure. Lui, le maître ne saura jamais le dessous des cartes, mais qu’importe, puisqu’il est de retour, l’enfant prodigue, autorisé à griffer, mordre, le faire tourner en bourrique. C’est beau, l’amour...