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Billet de blog 10 juin 2011

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Les vendredis de Sokolo: «La parabole des aveugles...»

La dernière fois que nous, les Joussard, avions vu l'abbé Colin, il portait soutane, et qu'il quitte mon bureau en vêtements civils me donne l'impression d'avoir changé de siècle.

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La dernière fois que nous, les Joussard, avions vu l'abbé Colin, il portait soutane, et qu'il quitte mon bureau en vêtements civils me donne l'impression d'avoir changé de siècle.

 Pourtant, de nos jours, les occasions sont rares d'en croiser fendre la foule à grandes enjambées et l'air préoccupé, mais l'abbé Colin, me concernant, ne pouvait m'apparaitre autrement. Le raccompagnant sur le seuil, j'ai observé une fois de plus Ninette, notre bonne, épousseter le cadre accroché au mur, jouxtant la patère, une gravure reproduisant La parabole des aveugles, de Bruegel l'ancien.

Un cadeau justement de ce bon abbé, et qui remonte à loin, si loin... Ce n'est qu'une copie d'un illustre inconnu, Émile Sulpy, mais à laquelle toute la maisonnée est attachée, y compris notre brave Ninette qui ne cesse de caresser le verre du cadre de son chiffon, regard mouillé, mais ne l'avons-nous pas un peu adoptée, depuis le temps qu'elle vit à demeure sous le toit des Joussard...

Ce jour est à marquer d'une croix blanche, et le rapprochement entre La parabole des aveugles, cette brave Ninette, et le dos désormais voûté de l'abbé disparaissant dans la cour sous l'orage menaçant me pousse à m'isoler dans mon bureau, en condamner la porte. Menton en appui sur les mains jointes comme pour une supplique, je me sens tout à coup si bouleversé qu'il me faut ouvrir le cahier sur lequel il m'arrive de prendre des notes depuis des décennies et que je nomme pompeusement mon journal. J'ai entendu dire qu'en cas de malheur, de graves perturbations intérieures, il était possible avec des mots sur une feuille d'empêcher que le sol ne se dérobe tout à fait. Par quoi commencer ?

Aujourd'hui, notre père, nous ayant quittés après de longues années de solitude suite au départ prématuré de notre mère, a eu droit au plus bel enterrement auquel il m'a jamais été donné d'assister. Le chapelet de voitures s'étirait hors du village, débordant des bas-côtés, jusqu'aux grilles du cimetière, embouteillage qui restera dans les annales de Villegruis. Il y avait là, les notables, bien entendu, mais aussi les humbles, les ouvriers agricoles en retraite dont nombre de polonais débarqués après guerre, leurs enfants, et j'ai même reconnu certains de leurs petits-enfants. Jamais je n'avais serré autant de mains, entendu de si nombreux messages d'affections.

Ralentis par la foule, des véhicules se suivaient encore au pas, en quête de place à la sortie de la messe, et lorsque l'abbé Colin se présenta sur le parvis, j'ai cru qu'il bénéficierait d'une ovation des anciens. Ceux qui l'ont connu jeune, dans son éternelle soutane, fougueux et exalté, alors qu'il nous enseignait le catéchisme. Et qui ne se souvient à Villegruis des sermons au cours desquels il fustigeait l'égoïsme des grands propriétaires aux premiers rangs, et qui baissaient la tête. Notre père était de ceux-là, et de prendre un soufflet ainsi, en public sans avoir l'occasion de relever l'insulte, équilibrait un peu sa charité chrétienne, un vain mot pour beaucoup, hélas.

À la ferme, le patriarche des Joussard régnait sans partage, à l'office religieux, c'était l'abbé Colin. Et comme ce représentant de l'église se vantait de sa condition de prêtre ouvrier, on faisait avec, sans manquer l'occasion de solliciter sa présence, en invité d'honneur à chacune des communions des cinq frères et sœurs. À l'époque, je trouvais l'invitation toute naturelle, son assiette étant réservée à la droite de mon père, sans soupçonner cette manière de s'attacher la conscience divine, comme osait le chef de famille en trinquant avec ce bon abbé, aimant à le taquiner, mais uniquement sur sa propriété.

Tout à l'heure, avant la messe d'enterrement, si j'avais osé, je lui aurais proposé d'enfiler la vieille soutane oubliée lors de son départ, et que ma mère avait soigneusement lavée et repassée, avant de la remiser dans la grande armoire réservée aux effets usagés des uns et des autres, mais desquels nous ne nous résoudrons jamais à nous défaire, même aujourd'hui. Je n'ai pas osé. Et je dois avouer, après une heure passée en tête à tête dans ce bureau avec notre ancien curé, je m'en félicite. Jamais je n'avais encore vu un prêtre pleurer et j'en suis tout retourné.

Je donne un coup de buvard sur mon texte avant de tourner la page, et bien qu'écrivant au stylo bille, je suis incapable d'empêcher ce geste. C'est aussi un moyen de réfléchir à la suite de mes notes, mettre de l'ordre dans mes souvenirs. Je n'aimerais pas qu'un jour quelqu'un s'y introduise, après ma mort, à cause de ce qui va suivre. Le village est bâti autour d'une église, comme souvent par chez nous, mais celle-ci semble veiller sur ses paroissiens, telle une poule sur ses poussins, tant ses dimensions ne cessent d'étonner les nouveaux venus. Les Joussard ont été considérés longtemps comme des seigneurs à Villegruis, un village en Seine et Marne, dont le nom provient sans doute des grues qui y faisaient étape lors de la transhumance.

Combien de fois ai-je entendu, qu'en prolongeant la toiture de l'église, ce serait comme un auvent extensible ombrant notre ferme qui la jouxte, et cette extravagance paternelle a souvent fait rire les grandes tablées lors des moissons, avant que les engins monstrueux dont nous nous servons tous n'envahissent les hangars à la ronde. Ces éclats de rire sous la chaleur accablante de juillet m'apparaissaient faire corps avec les plaisanteries de notre père, toujours les mêmes d'une année sur l'autre, et jamais je n'ai croisé une employée de maison, un ouvrier agricole ou un trimardeur indifférent à ses réparties.

Nous sommes quatre frères, moi prénommé Mathieu, et dans l'intimé de ce récit je me permets de me citer en premier, ne suis-je pas l'aîné, Pierre venant ensuite, devançant Paul et Jacques, des noms d'apôtres. Armelle, la petite dernière et seule fille porte ce curieux prénom, en raison d'un caprice de notre mère, alors qu'elle était prête d'accoucher et jamais nous n'en avons su plus. Peut-être un personnage croisé dans une lecture. Jamais nous ne nous serions permis de manifester la moindre indiscrétion envers les coulisses de leur couple. Dans notre famille, et quelles que soient les générations dont il est encore possible de témoigner, il y a toujours eu un enfant, disons différent, et sitôt parmi nous, Armelle accusa un retard, comme une difficulté à nous suivre, je veux dire, qu'elle resta petite fille, naïve et charmante. De devoir évoquer le départ de notre sœur, dont nous ignorions qu'il serait définitif, provoque chez moi un malaise. Avec le recul, je me demande, comment avons nous pu, nous les Joussard, fermer à ce point les yeux. Comment ?...

Je délaisse quelques instants mon journal, suite à un besoin de marcher, comme j'en ai toujours ressenti la nécessité chaque fois que je dus prendre une décision importante. Si les conseils de famille ont pratiquement disparu, il arrive encore de nous réunir, d'échanger nos points de vue, même si nous n'utilisons plus ce terme désuet. Mais comme par les siècles passés, en fin de séance, tous attendent une opinion, celle qui fera pencher la balance, celle de l'aîné de sexe mâle, la mienne en l'occurrence. Habituellement dans ces occasions, j'effectue de longues sorties dans les champs pour peser le pour et le contre, la plupart du temps sur les chemins communaux, avec parfois un regard sur les cultures. Je me baisse, mâchouille un grain de blé pour tester la maturité, comme mon père l'a toujours fait, alors que de nos jours nous envoyons par la poste des échantillons à un laboratoire.

Aujourd'hui, ce que m'a appris l'abbé Colin ne me laissant aucune latitude, je déambule dans mon bureau trop étroit, soulève le rideau en soupirant, projette un regard circulaire sur la cour battue par la pluie, sur les hangars où sont rangés tous les engins monstrueux sur lesquels nous nous hissons quelques jours par an. Je regrette de ne pouvoir m'extraire discrètement de la ferme, de ne pouvoir m'enfoncer dans les bosquets isolés en plein champs, comme jadis, poser mes mains sur l'écorce des charmes et des hêtres, ceux que nous avons déracinés pour éviter un détour au volant de nos machines. Les oiseaux ont disparu, faute de pourvoir y nicher. Je me revois petit, ma main dans celle de mon père, tandis qu'il s'agenouillait pour m'instruire des us et coutumes des animaux. Il aimait cette expression, us et coutumes des animaux...

On frappe à la porte de mon bureau, trois coups d'index, discrets, et je sais que Ninette va passer la tête, susurrer comme toujours avec son air mutin. Tout le monde vous attend... Une fois de plus, je soupire. Je sais, dis-je, avant d'ajouter, transmets-leur de m'accorder une petite demi-heure... Depuis qu'elle loge chez les Joussard, elle me vouvoie, tandis que de mon côté je préfère le tutoiement, une règle avec les domestiques. Ça m'a toujours semblé naturel et je pense que, de son côté, s'adresser à son employeur comme à un ami déclencherait en elle une sorte de confusion. C'est un être sensible, et je réalise que nous n'avons rien compris, nous, les Joussard.

De nouveau affrontant mon journal, je me demande une fois de plus si j'oserais écrire les lignes supposées soulager ma conscience. Comment tout cela a-t-il été possible... Il est nécessaire de remonter à mes 20 ans, alors que mes parents m'avaient déjà présenté ma future épouse, lors d'un mariage. Une pratique courante. L'abbé Colin cherchait une aide, quelqu'un de confiance, honnête et brave, je me souviens de son expression, pour le ménage, la lessive, le repassage et quelques coups de mains dans la sacristie. Il devait frôler les trente cinq ans et pourquoi ne pas le dire, ce n'est un secret pour personne chez les gens de ma génération, s'il avait rempli l'église, la plupart des femmes du pays s'y entassant telles des dévotes, c'était plus en raison de son élégance que du charme de ses sermons sur la charité chrétienne. Tous ici à Villegruis s'en amusaient ouvertement. Certains même en plaisantaient avec l'abbé lui-même qui, il faut le reconnaître, possédait une belle largesse d'esprit.

Il avait choisi ce jour, ce mariage d'un cousin, pour demander à mon père si la petite Armelle âgée de seize ans ne pourrait le suivre dans sa nouvelle paroisse, le semestre suivant, tout près de Carcassonne. Le bout du monde. J'avais été stupéfait, autant de cette requête que du manque de surprise de mes parents, et surtout de l'intéressée elle-même, notre chère Armelle. En plein mariage, cet espoir de faveur semblait une mise en scène, et je réalise combien notre sœur, restée si enfant, inquiétait mes parents de plus en plus soucieux de son avenir à mesure que les ans passaient, sans aucune amélioration tant sur le plan de la réflexion que sur le plan émotionnel, sans qu'elle ne se départît de cet éternel sourire, qualifié par un journalier de crétin, ce qui lui avait valu d'être mis à la porte séance tenante.

L'agrément parental ne se fit pas attendre et tous semblaient heureux comme devant un dénouement inespéré. Ma mère en profita pour embrasser l'abbé, mon père lui tapota le dos, oublieux de ses tirades socialisantes, et Armelle dont les yeux brillaient plus qu'à l'ordinaire rosissait comme dans ses plus intenses moments d'émotion. Qu'il m'est pénible de consigner sur mon journal la suite, d'une écriture tremblée, et je dois m'accommoder d'une boule dans la gorge, de plus en plus douloureuse. Je suis sous l'emprise d'une grande lassitude, redoute de devoir rejoindre la fratrie dans l'attente d'une sorte de discours, afin de ressouder les rangs suite au départ de notre père. Afin que la famille Joussard n'éclate, crainte légitime dans ces moments, une fois le patriarche disparu.

Mes paroles vont irriter, je présume, et certains dont je connais d'avance les sentiments vont condamner mon point de vue, tout en respectant un silence de mise en la circonstance. Je sais aussi qu'à la longue, ils se plieront, même contre leur gré, obéiront comme ils l'ont toujours fait à la loi, celle de notre père, de notre grand-père et de ceux qui les ont précédés. La mienne, à présent... Je ne trouve rien d'autre à écrire dans l'instant, sinon qu'une fois Armelle partie, nous tous l'avons oubliée... Nous recevions des nouvelles, des lettres longues et détaillées de l'abbé Colin, vers Noël, auxquelles nous répondions par d'autres nouvelles, des naissances, parfois un décès, des mariages, dont certains obtenus de haute lutte, faisant date, en désaccord avec la famille et non plus arrangés.

Il y avait peu de chaleur dans ces courriers dictés par le devoir d'un côté comme de l'autre. Était-ce l'incapacité de notre sœur à intégrer l'alphabet qui nous incitait à nous en remettre à l'écriture élégante de notre ancien l'abbé, rien chez lui n'étant disgracieux? Avant que ce vieillard voûté ne quitte ce bureau les yeux rougis, défait par la vie, jamais je ne m'étais demandé, pourquoi aucun d'entre nous n'était descendu près de Carcassonne ?... Pourquoi !

Une année, nous reçûmes un faire-part annonçant la fin prématurée de notre chère Armelle, enterrée en catastrophe en raison de la chaleur qui accablait tout le Sud de la France cet été là. Afin de nous recueillir, nous avions assisté à une messe en l'église de Villegruis, abasourdis tout de même par la brutalité de l'évènement, et un oncle, diacre à ses heures, palliant la défection des prêtres dans le canton, tendance qui ne fit que s'accentuer jusqu'à nos jours, avait lu un très beau texte, suivi par d'autres, puis les enfants de la famille élargie s'étaient avancés les uns après les autres jusqu'à l'autel, leur papier en main. La dernière, une nièce de six ans, ânonna un très beau poème qui tira bien des mouchoirs.

Aujourd'hui, j'ai honte. J'ai honte en repensant à la demande de l'abbé Colin, quelques années plus tard. Ce coup-ci, il avait décroché le téléphone, avait tenu à me parler en personne. De suite, j'avais compris son émotion, son impuissance à dire des mots, à révéler les vrais raison de son appel. Enfin, une partie, car la seconde tombant à pic empêcha la moindre interrogation. Depuis quelques temps, nous cherchions à remplacer une petite bonne prête de se marier et qui s'apprêtait à émigrer dans le Pas de Calais d'où était originaire son fiancé. C'est toujours une contrariété que de devoir introduire une étrangère dans son intimité et, tout comme ma femme, aucune des prétendantes ne me satisfaisait.

Quand l'abbé Colin évoqua une certaine Ninette dont on lui avait confié l'éducation, en âge de travailler, et qu'il répugnait à lâcher dans la nature sans des garanties irréfutables, de suite j'ai proposé de la prendre dans la maison des Joussard. Je me souviens d'un long silence qui m'avait fait penser que la ligne avait été était coupée. J'avais secoué le combiné, avec des allo répétés. J'étais prêt de raccrocher quand curieusement l'abbé m'avait précisé d'une drôle de voix. Je ne pensais pas à vous, mais plutôt à une de vos connaissances, quelqu'un de recommandable... Puis, il avait revendiqué un temps de réflexions. C'était tout de même étrange et je m'étais demandé quelle mouche l'avait piqué, et pourquoi donc notre maison, ma femme et mes enfants ne seraient pas dignes d'accueillir la jeune Ninette. Me sentant offensé, j'attendis son nouvel appel avec l'intention de lui signifier ma façon de penser.

Il composa notre numéro alors que j'étais absent et c'est ma femme qui m'apprit l'arrivée de notre nouvelle bonne par le train de 6h 30 à la gare de Lyon, après une nuit en wagon couchette. Dans ses bagages, je trouvai une reproduction de la Parabole des aveugles, de Breughel l'ancien, ainsi qu'une lettre coincée dans l'emballage. L'abbé, après m'avoir remercié de la générosité mon geste, me remettant la vie de Ninette entre mes mains, expression que j'avais trouvée excessive, m'indiqua que cette parabole des aveugles avait été très appréciée par notre regrettée Armelle, qui souvent la contemplait avec ce regard qui lui était propre et que nous connaissions si bien... Aussi, proposais-je à la jeune Ninette de choisir l'endroit où l'accrocher, bien en vue, avais-je insisté. Sans hésiter, elle désigna l'entrée, à côté de la patère, ajoutant. Comme ça, chaque fois qu'on entre et qu'on sort, on ne peut pas la louper. Puis, elle ajouta, comme au presbytère...

Quand avant-hier l'abbé débarqua pour célébrer l'enterrement de notre père, Ninette lui sauta au cou et, spontanément, tous nous sommes écartés, les laissant à leurs émotions. De repenser à tout çà prend sens à présent, et je sais que le tableau dans l'entrée ne cessera de me hanter à l'avenir. La parabole des aveugles...

Tout à l'heure, j'ai poussé la porte dans l'intention de nous isoler, impressionné par la gravité de l'abbé Colin, traquant dans son regard une lueur qui me rappelât celui qui m'avait enseigné le catéchisme. Je lui ai indiqué silencieusement le fauteuil qui me fait face et dans lequel personne ne s'assied jamais. Je pense que vous avez deviné, commença-t-il, la voix cassée... J'avançai les lèvres en signe d'ignorance, dans l'attente de la suite, cherchant en vain une explication du côté de mon pauvre père. Si j'ai quitté Villegruis, poursuivit-il, c'est que j'y étais trop attaché. Trop attaché à votre père, à votre famille, et vous avez pourtant été témoin de mes diatribes en chaire...

Après une hésitation, il balbutia, et je compris qu'il poursuivait la conversation téléphonique remontant à une dizaine d'années, celle qu'il n'avait pu achever. Vous savez, pour un jeune prêtre, le célibat est une torture inhumaine. Et je ne suis qu'un homme... C'est là qu'il s'est mis à sangloter comme un enfant. Immédiatement, j'ai eu la crainte que Ninette ne frappe la porte de l'index, de ses trois coups habituels avant de passer sa tête, de me fixer avec son regard mutin, et c'est seulement que j'ai compris...

Une dernière fois, je soulève le rideau, indifférent à la pluie qui raye le paysage au loin, à la cour de ferme avec ses flaques d'eau. J'ai froid. Je me rends à la cuisine, ôte le tablier de Ninette et lui dis viens après lui avoir embrassé le front. Viens...

La porte refermée, ils sont tous là, Pierre, Paul et Jacques, leurs épouses à leur côté, qui se contenteront d'écouter comme chacun mon discours annonçant un prochain rendez-vous avec le notaire de famille. Pierre, le plus âgé, consulte sa montre et je sais qu'il exprime une impatience partagée, me désigne la bonne d'un coup de menton, dans l'attente qu'elle retourne à ses fonctions. Dans ce genre de réunion, jamais le moindre témoin n'est admis. Alors, je me racle la gorge, et pour me donner du courage, je presse la main de Ninette, qui je crois a deviné mes mots. Je débute par cette drôle de réflexion, que je n'avais pas prévue, que je crois adressée à ma femme.

Tout d'abord, nous allons nous mettre en quête d'une autre bonne. Ninette, ici présente, connue et appréciée de tous est la fille de notre sœur, notre regrettée Armelle... Je lis la stupéfaction, mais ne leur laisse pas le temps de s'échanger des coups d'œil inquiets, je vais droit au but. Évidemment, dès demain, je contacterai le notaire afin qu'il en soit informé et rédige un acte précisant la part d'héritage auquel elle a droit. Je ne les vois plus, j'entends comme un murmure, mais je poursuis, haussant le ton. Son père, l'abbé Colin, a préféré ne pas être présent et je pense que vous comprendrez son départ lié à un trouble profond, pardonné par nous tous, il ne m'est pas possible d'en douter. Alors, sachant qu'ils n'auront pas le choix, avant de leur tourner le dos, j'ajoute. Je vous invite dans la grande salle à trinquer au Champagne à l'arrivée de notre nièce parmi nous. J'ajoute, que je servirai moi-même, bien entendu... De nouveau, je saisis la main de Ninette qui pleure, doucement, comme une enfant.

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