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Billet de blog 14 octobre 2015

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Il encule tout à la fois les voyageurs, le TGV, la loco et même la SNCF!

Je t’encule, elle, et puis toi aussi, connard ! J’encule le wagon, tout le TGV ! J’encule aussi la SNCF et même la loco, faites pas chier je téléphone si je veux !!! Ça, il a des poumons, le gars, des lunettes noires et un téléphone dans lequel il braille depuis qu’il a intégré sa place. Face à moi, à quelques dizaines de centimètres, aussi les postillons, c’est pour ma pomme.

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Je t’encule, elle, et puis toi aussi, connard ! J’encule le wagon, tout le TGV ! J’encule aussi la SNCF et même la loco, faites pas chier je téléphone si je veux !!!

Ça, il a des poumons, le gars, des lunettes noires et un téléphone dans lequel il braille depuis qu’il a intégré sa place. Face à moi, à quelques dizaines de centimètres, aussi les postillons, c’est pour ma pomme.

Et il en a de la salive, qui déborde en pagaille. À mes côtés, la femme en remet une couche. Je vois que monsieur est poète en plus d’avoir la santé... J’avoue, j’adore ce type de spécimen  du sexe opposé qui n’a pas froid aux yeux, et qui ricane en réponse à la colère du nouveau passager. C’est vrai, déjà sur le quai je l’avais remarqué qui causait comme un sourdingue dans sa saloperie de téléphone portable, ces engins qu’un jour je foutrai par la fenêtre, en rêve du moins, vu le manque d’ouverture dans ces trains. Peut-être dans les chiottes, ce serait plus farce... Avec l’autre sur mes traces à beugler au voleur. Tant pis, mieux vaut parfois oublier ses pulsions.  

Seulement ce jour-là, le téléphoneur mobile me casse les oreilles, et le reste. Comment me laisser guider par Balzac dans ses Contes Drolatiques tout en étant distrait par les vociférations de l’importun aux lunettes noires. Déjà que les Contes Drolatiques façon Rabelais exigent une belle attention : Sur ce, les sœurs s’esclattèrent de rire tant et tant que l’une d’elles fit ung pet en la-dièze, si durement attaqué qu’elle en lassa cheoir de l’eaue, et la sœur Ovide la leur montra sur le plancher, disant : Voyez, il n’y a poinct de vent sans pluye... Avec ça en tête, les histoires de l’inconnu me les brisent menu, comme dirait Chirac.

Afin de soutenir ma voisine dans l’adversité, je l’appuie d’une remarque. Sans doute monsieur fait-il la cour à une jeune demoiselle... La femme ricane et le type se dresse, brandit son maudit engin, renouvelle ses menaces, vu que, pour l’instant, sans passer aux actes, il se contente de vantardises. Je t’encule, toi aussi, compris ? Je téléphone si je veux, où je veux. Et pour conclure il monte la sono : Je t’encule, comme la SNCF, le TGV, le wagon et toutes la première classe !!! Même manœuvre que précédemment, mais en sens contraire, cette fois il préfère s’échauffer avec le conducteur pour finir avec les passager. Pour varier le plaisir. Oui, nous sommes en première, billet Internet, un euro de plus.

Ma voisine veut partager une saillie de son cru, et je sens qu’elle hésite, évalue le braillard, me consulte en silence, puis lâche tout à trac. En fait, monsieur, glousse-t-elle d’un coup de menton en sa direction, est un vantard. Si ça se trouve, il n’a rien dans le calbar, une limace, à la rigueur... Ensuite elle vire à la pivoine, contente de sa sortie, me fixe avec une intensité qui me met mal à l’aise et je fais semblant de me replonger dans les Contes Drolatiques. Dans l’instant, mes tympans sont victimes d’un barouf qui alerte tout le wagon, il brame, éructe, se dresse en dépit du roulis, menace de s’exécuter en tendant le bassin et tripotant sa braguette mais c’est du chiqué, un dégonflé.

Elle a raison, rien à craindre, que de la gueule, mais il finit par instiller un climat d’insécurité, les visages se crispent, un silence suit, lourd, quand un quatrième larron bondit qu’on n’avait pas prévu et qui se plante tout contre notre agresseur. Qu’est-ce qu’y a, tu veux quoi, tu vas la fermer, tu veux mon poing dans la tronche ? Je délaisse Balzac, ça tourne mal, et suis les péripéties avec attention. Dans un espace si réduit, le moindre affrontement physique engendre facilement des blessures, les leurs, mais aussi les miennes, je suis trop près, mais coincé par ma voisine qui observe bouche ouverte la suite du scénario. Zorro et le braillard se défient du regard, soufflent comme des taureaux. Je regarde s’il est possible de m’écarter, même en enjambant la voyageuse, que dalle, c’est riquiqui et les mouvements désordonnés des lutteurs me menaceraient au passage.

Comme le corps est vulnérable, j’use de l’esprit. D’un coup et ne voyant d’autres perspectives, je me dresse à mon tour. Un réflexe de survie. Eh, vous deux, vous n’allez pas vous battre ici !!! J’ai, non pas hurlé, mais parlé d’un ton autoritaire qui leur coupe la chique. Et puis, il y en assez d’un, pas besoin d’un second à nous casser les oreilles. Ça, c’est pour notre défenseur qui, je m’en apercevrai plus tard, ne doit pas apprécier. Mais il a l’air aussi teigneux que l’autre, plus même, prêt à interrompre le scandale d’un coup de boule. Ça suffit, vous vous rasseyez tous deux et la ferme jusqu’à Paris !!!

Et c’est alors qu’apparait... le contrôleur. Raide tel un piquet avec une barbichette, il questionne. C’est ici qu’on crie ? Quel est le problème... Ma voisine intervient aussi sec. Oui, c’est ici, monsieur ici présent, poète à ses heures, nous encule, tout le wagon, le TGV et comme il est insatiable la SNCF au grand complet. Vous de même j’imagine. Le nouvel arrivant triture sa barbichette, se tourne vers le braillard qui, c’était prévisible, ne se dégonfle pas. Je t’encule, toi aussi, comme les autres !!! Mais c’est un bon contrôleur qui parle posément, sans doute a-t-il été formé pour calmer les fous furieux. Voyez-vous ça... Vous pouvez répéter, s’il vous plait ?... Et je vous prie de ne pas me tutoyer.

Une forme de dialogue s’engage qu’on souhaiterait dans les relations syndicat-patron plutôt qu’entre gens de basse condition. Toujours planqué derrière ses lunettes de soleil, le braillard joue son rôle jusqu’au bout, jusqu’à l’absurde, victime de son numéro. Je te tutoie si je veux. Et puis, je t’encule !!! Ma voisine que je pense l’avoir vue passer le témoin au représentant de la SNCF glisse d’une voix fluette, non par timidité, mais en vue d’exciter le téléphoneur mobile et ayant pressenti la fin du film, les flics sur le quai à Paris et la paire de menottes. Tiens, c’est nouveau, et sans vaseline évidement... L’homme lié à la SNCF par contrat indéterminé ignore la répartie et reprend le contrôle de la situation, tandis que notre défenseur regagne son siège, le brailleur préférant la position debout, prêt à mordre, enfin ce n’est pas le verbe utilisé jusqu’alors...

Le contrôleur conserve une voix étale, et je me demande comment il vit la scène. Je vous rappelle que vous risquez une condamnation pour insultes au chef de train. Votre billet, s’il vous plait. J’admire comment il a changé de registre et son interlocuteur fouille ses poches, silencieux d’un coup. Tenez... Le ton n’est plus le même, mais je me méfie, ce type n’a pas abattu toutes ses cartes, m’étonnerait qu’il ne se ressaisisse pas en manifestant encore son envie sexuelle démesurée. Vous êtes en règle... Le désormais chef de train entame un sermon et comme l’autre se remet à beugler, enculant au passage tout ce qui se trouve à portée de voix, la tournure change. Bon, vous continuez à me tutoyer, à m’insulter, comme vous vous obstinez, je n’ai qu’un coup de fil à donner pour prévenir la police...

Il sort de quoi contacter les flics et c’est alors que j’interviens pour la seconde fois. Non, s’il vous plait, rangez ça, nous n’en avons pas besoin... Le chef de train semble me découvrir et tend l’oreille, intrigué à mes propos. Je parle comme dans mon salon, désigne le type d’en face d’une main molle, l’agresseur et insulteur. On va régler cette affaire entre nous, lui va se calmer et tout ira bien jusqu’à Paris... Trois heure de route, tout de même. J’ignore si les gens alentours qui suivent la scène m’approuvent, mais j’insiste, développe une musique rassurante. Regardez, il s’apaise... C’est vrai, l’excité derrière ses lunette me fixe, mais je sais qu’en disant ça je lui coupe la chique, en effet comment désirer enculer le gars d’en face contre son gré, celui qui le sauve d’une garde à vue et certainement d’une amende salée.

Le chef de train, lui, réagit de suite à mon propos et nous laisse en plan, disparait dans le wagon suivant. En fait, mon intervention le tire d’affaire, la réaction à la menace des flics était imprévisible. Allait-il aussi les menacer de les prendre de force, avec leurs képis ?

Le calme revenu, je me replonge dans Balzac. Tous ces courtisans entrepris de choliques, piétinoyent pour faire pacienter leurs matières importunes, lorsque ladicte dame reparust en la salle... Impossible de poursuivre, je me sens observé. Je lève le nez et mon regard croise enfin les yeux du type d’en face qui a glissé sa monture de lunettes sur son nez. Et, je l’entends chuchoter. Je m’excuse, monsieur, c’est pas à vous que j’en voulais... J’en demandais pas tant ! Je lui indique qu’entre gens de bonne compagnie l’usage veut que l’on use de propos courtois et non de mot si gras qu’ils collent en bouche. Puis, il demande, c’est quoi votre livre, c’est bien ?... J’éclate de rire, rassuré que les heures à suivre seront sereines. Il ébauche un sourire avant de se cloitrer derrière ses verres noirs puis se tint coi jusqu’au terminus, jusqu’à Paris où il lui est si urgent de se rendre qu’il s’éclipse du compartiment avant l’arrêt du train, devant déranger une jeune fille venue entre temps et tombée du ciel, et c’est d’une voix d’ange qu’il s’adresse à elle. Pardon mademoiselle de vous ennuyer, je voudrais passer... Tout juste si, influencée par ma lecture, une auréole ne lui a pas poussé, laquelle tournoyant sans savoir où se poser choisit finalement le plus sage d’entre nous. Par gourmandise, je plonge au hasard sur un dernier passage avant que les portes ne s’ouvrent sur la capitale.

Ces paroles furent accompaignées de grosses larmes ; son très vertueulx cueur s’esvanouit, et elle tumba vrayment pasmée...

Lavallière, tout espouventé, la print, et lui mist sa main sur le cueur au dessous d’ung sein d’une beaulté sans seconde ; et, à la chaleur de ceste main aymée, la dame revind, sentant de cuysantes délices à en perdre la cognoissance de nouveau.

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