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Billet de blog 19 octobre 2012

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Les vendredis de Sokolo " Futilités d'automne..."

Aérant la chambre le matin, j’entends les corbeaux. Leurs cris proviennent de la lisière des bois, à l’extrémité du jardin d’à côté, sans clôture et qui vient d’être retourné à la bêche.

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Aérant la chambre le matin, j’entends les corbeaux. Leurs cris proviennent de la lisière des bois, à l’extrémité du jardin d’à côté, sans clôture et qui vient d’être retourné à la bêche. Un soleil pâle succède aux pluies de ces derniers jours, et l’on attend de lui qu’il sèche l’atmosphère, dilate l’alcool dans le canal du thermomètre extérieur. Les ombres s’allongent de jour en jour, des feuilles couvrent peu à peu la pelouse, des taupinières narguent les jardiniers, l’automne s’impose.

Ce week-end, au détour de champignons, un ragondin surpris hésitait à s’enfuir, contournait maints débris organiques qui ralentissaient sa course. Il pleuvait à seaux sur les bois déserts et le feuillage des chênes, plutôt que d’abriter, s’égouttait, de grosses larmes s’insinuant sous le foulard, tout contre la peau frissonnante. Des cuisses aux chevilles, le coton du jean adhérait, de même que les sous-vêtements plaqués au ventre glaçaient le sang. Les pieds pataugeaient dans des chaussures imbibées, la route était longue jusqu’à la voiture, si bien que je l’imaginais interminable quand apparaissait la pyramide, signalant la dernière ligne droite.

L’automne. Les sentiers s’évaporant dans le brouillard, le face à face avec les sangliers, les chevreuils, et même hier un écureuil déconcerté d’une présence humaine en ce lieu. Les feuilles bruissaient, les branches craquaient, et tout en progressant, je pensais aux dix stères de frêne, de charme avec l’obligation d’en fendre une grande part, d’empiler la livraison sous l’auvent. En tête, Chet Baker à la trompette, jouant The Autumn, fredonné sous l’averse.

Toujours à la fenêtre, je contemple les arbres, le mur du fond pas consolidé comme prévu cet été, le peuplier que jamais je n’aurais imaginé croître ainsi en dix-sept ans, sentinelle visible dès l’entrée du village, et qui signale l’emplacement de la maison. Tâche sombre au loin, le tuyau de plomb en appui sur l’enceinte, là où est enterré Sokolo, ce chat noir et blanc qui m’a légué ce pseudo, tandis que son successeur, Pépito, multiplie les cabrioles, les sauts de carpes et les poursuites compulsives de boules de papier au grenier. Son terrain de jeu. Au jardin, il se propulse pour un brin d’herbe agité par la brise, reste interdit pour un objet quelconque déposé là, sans raison, par flemme, et qui hier n’y était pas. Interdit, yeux dilatés, il progresse du bout des pattes, prêt à s’enfuir, pour finalement se ruer sur un reste de chou-fleur balancé par la fenêtre.

La toux qui s’est manifestée au début de la semaine m’anéantit, la respiration se fait difficile, et je suis reconnaissant à ce corps pour sa résistance, à tant d’agressions depuis ma naissance. Les défenses immunitaires en alerte, la bataille fait rage, et moi qui concentre tout cet attroupement ai quelque mal à endurer l’offensive. Le nez pâtit, les yeux pleurent, la gorge et le larynx s’irritent de cette incursion, des microbes insistent, s’acharnent, et parviennent à m’infliger une vraie fatigue, aussi les mouvements sont ralentis, mes pensées floconneuses, et l’écriture ne parvient à naître comme il conviendrait de cet organisme malmené. C’est l’automne.

Contrairement à mes espérances et sous l’assaut de ces dernières pluies, la pelouse a encore poussé, si bien qu’une ultime tonte s’impose alors que le tracteur a pratiquement rendu l’âme. Je lorgne le semblant de potager, envisage de virer les pieds de courgettes, retourner la terre, voire d’agrandir. Le tout sans conviction, gagné par une paresse insidieuse. Je mesure ma langueur au cadran du réveil qui, intraitable, affiche ma paresse.

Pépito revient d’expédition, pattes trempées de rosée, saute sur l’appui de fenêtre, ronronne, mord, m’adresse un coup de griffe, vise le nez. Je recule, trop tard... Il m’a touché, une égratignure, et je file dans la salle de bain où le miroir renvoie un visage bouffi de sommeil, pas rasé, des cheveux dans un désordre... Une douche s’impose pour rincer la sueur de la nuit, échapper aux mauvais rêves, à l’automne installé dans le cerveau, comme une gangrène, à prospérer sans trêve, entrave à accoucher d’un personnage de fiction, doté d’un nom, d’un passé qui lui colle aux galoches, d’un décor dans lequel il se traîne, se débat, avec en vue la phrase finale qui le libérera d’une obligation à figurer dans un billet sur Médiapart. Pauvre personnage, je compatis, avec insistance, moi qui dans la vie ai tant de mal à me frapper la poitrine, à faire acte de contrition.

Les nuits étant froides, d’un coup, je réalise, je vais devoir sous peu rentrer l’oranger en pot après les beaux jours passés dans la cour. À l’aide d’une couverture, il me faudra le glisser sur le carrelage, et puis restera l’ascension jusqu’au grenier. 51 kg, dix-huit marches à escalader avec ce fardeau, avec la crainte qu’il ne pique le visage à l’instant d’enlacer le pot ! Attention au cœur, au tour de reins. Bien sûr, les voisins me prêteraient main forte, suffirait de demander... Mais depuis ma solitude imposée par la vie, j’ai décidé de m’en sortir par moi-même, d’être solide, d’affronter, aussi un jour j’en crèverai, après un effort insurmontable, mes multiples imprudences ! Un bon petit soldat, à marcher au centre du trottoir, à regarder droit devant, avancer d’un pas ferme. Vas-y, avance Sokolo, vers je ne sais où... mais sans défaillir.

Les tâches restées en suspens s’imposent en tourbillon, ranger la grange, nettoyer l’atelier, un vrai foutoir dans lequel je ne me rends plus que par obligation et dans l’urgence, mais dans lequel est remisé le sèche-linge, alors, bien obligé du même constat à chaque lessive, un lieu à l’abandon... La lecture, c’est pareil. Les livres en vrac sur une coiffeuse dans la chambre attendent leur tour, tandis que ceux bénéficiant d’un marque-page patientent sur le chevet, à la droite du lit. Il m’arrive de me violenter. Ce soir, je termine ce gros-là, sinon, je vais perdre la trame, confondre les personnages.

Ah, les personnages ! Ils sont si nombreux, si volatiles et, en vieillissant, je trouve souvent que tout ça lambine, manque de rythme, l’auteur fait du remplissage, se perd dans des détails dont on se fout du tiers comme du quart, a collé à un premier texte un second qui à l’évidence n’a rien à faire là, puisé dans ses essais de jeunesse, pour remplir un contrat, que le bout de scotch est visible comme le nez au milieu de la figure, que ça sonne faux, comme un bourdon fêlé un dimanche de Pâques.

Existent aussi les cas où ceux qui tiennent la plume sont complètement étrangers au sujet choisi, à la classe sociale, des bobos en incursion chez les pauvres, ces rustauds examinés du haut du Marais sitôt qu’ils quittent leur nombril, et que ça suinte, d’improbabilité, c’en est criant, ça heurte l’entendement et fait regretter le prix de l’ouvrage sur l’étiquette en quatrième de couverture. Ah, si les critiques littéraires payaient leurs livres, s’ils étaient contraints seulement de les lire sans sauter une ligne, ils changeraient de vocabulaire !  

Ce que je déteste le plus, c’est l’habileté de certains à nous conduire au bout de 400 pages et plus, dans l’attente d’un évènement. On referme le volume, se demande ce que l’auteur veut dire, ce que cache ce flot continu de phrases, pour admettre à contrecœur qu’on s’est fait rouler, avec en prime une perte de temps.

Il est des jours comme ça, à maronner, imbibé d’une météo gluante, à pester en triant le courrier, les factures, à l’écoute de ces informations toujours aussi orientées, ces commentateurs partisans venus défendre les intérêts des puissants, nous les faisant passer pour inexorables, le monde n’a-t-il pas toujours tourné dans le même sens ?... Des banalités finalement, sans vraiment d’utilité, sinon à saper le moral d’une fois sur l’autre, et auxquelles il suffit de tourner le dos.

Heureusement, Pépito est là pour une diversion, prendre en grippe le canapé peu après sa livraison, grimper aux rideaux, aligner les âneries, celles auxquelles on n’avait pas pensées et qui, parfois tellement ahurissantes, nous tirent un sourire. Pas toujours... Hier, embrumé par une nuit trop courte, agitée, je me brûlais en avalant le café, distrait par la pluie battante. Le jardin ruisselait, les branches gigotaient, et le double-vitrage ne parvenait à étouffer le souffle du vent.

Pépito a trouvé un nouveau jeu, un parcours du combattant, avec escalade de mes cuisses, avant de dégringoler vers sa gamelle, reniflée du bout du museau, puis le sprint vers le canapé, un coup de griffe pour s’assurer de la vigilance du maître, un drible avec la balle de papier, retour aux genoux, et ainsi de suite. Hier donc, au troisième passage, je tentai de l’intercepter, il s’agrippait à la nappe, et hop, tout par terre, le bol, le miel, la chemise y passa, le pantalon. Je hurlai. Pépito !!! Nom de dieu de merde ! Je m’en voulus de suite de cet écart, de plus à portée d’oreilles d’un chaton, utilisant une variante de ma mère, qui elle chérissait ses merde fait chier à répétition, sorties qui me hérissaient le poil. Comment peut-on s’exprimer ainsi, disais-je à l’époque ? Oui, comment...

Pépito réapparut. Dis, tu m’en veux pas, c’est pas grave ? Je ne suis pas licencié ?... Conciliant, je confirmai l’existence du code du travail, du droit des chats à baguenauder dans la cuisine de bon matin, de déraper, à exécuter des figures maladroites avec des conséquences... désastreuses pour  leurs maîtres, qui n’ont qu’à prendre leurs précautions, faire appliquer le règlement intérieur. Comme il le constata, c’est une bonne maison, aussi pencha-t-il pour la réconciliation avec des ronronnements, rapporta un bout d’écorce dans la gueule, tiré du panier à bois devant la cheminée. Il le posa à mes pieds, leva le museau, dans l’attente que je lui lance son jouet. Je l’ignorai un instant, histoire de montrer combien je suis rancunier, puis sans prévenir shootai dans l’écorce. Il bondit comme un beau diable, sachant que sa période d’essai était reconduite. Puis, il s’entortilla dans la serpillière, signe de grande jubilation.

Maugréant, je remis de l’eau à bouillir, saisis la serpillière sitôt qu’il s’en désintéressait, effaçai les dégâts au sol. Comme les gamins, Pépito est versatile, incapable de concentration plus de deux minutes sur une même bêtise. De plus, un besoin d’être stimulé ne le quitte jamais, avec la nécessité d’un moniteur, d’un partenaire social avec lequel entrer en conflit pour de la rire, comme on disait à la communale, et il me suit, où que j’aille, dehors, dedans, sans cesse réclamant, me lacérant, se jetant dans mes jambes, singeant une attaque au visage, un vrai chat de cirque, enfin le plus agréable du département une fois anéanti par la fatigue, sur mes genoux paupières tombantes. Ainsi je le préfère, à l’agonie, rares moments avec la possibilité de saisir une de ses pattes sans qu’il ne réagisse, la laisser choir telle une feuille morte. C’est l’automne.

Ce que je retiendrais de sa jeunesse, c’est cet étonnement, jamais rencontré sous une telle forme chez ses nombreux prédécesseurs. C’était alors que ce minus se prenait pour un félin, roulait des épaules en rond le long du buis, démarche devenue habituelle, et qui indique la méditation d’une attaque, avec le maître pour cible. J’y suis habitué, et parfois il m’arrive d’esquiver tel un toréro, amusé de ce saut pour rien, de sa réception flasque. Mais ce jour-là, il aperçut son premier avion qui de suite le stoppa dans sa course. Museau pointé vers les nuages, rien n’aurait pu le distraire de sa découverte, pas plus une souris qu’une ration de croquettes.

La fascination dura le temps que cet étrange volatile effectue sa course d’un bout à l’autre de l’horizon, avec ce sillage blanchâtre si caractéristique des temps modernes et que l’on retrouve partout, où que l’on aille sur cette planète. Une stupéfaction réelle, comme s’il lui semblait tout de même étrange qu’un oiseau se meuve si haut, si rapidement, sans bouger un cil. Oui, un cil, je suis certain qu’il avait cette interrogation, car je sais combien il raisonne, se pose maintes questions à mesure qu’il explore son univers, lui issu d’un lieu-dit en Auvergne. Mais cet avion, c’est plus fort que le Roquefort ! Sans un frémissement, comme tiré par un attelage nébuleux... Il a de ces idées, de ces images, issues on se demande d’où ! Parce que tout de même, les herbes se ploient sous l’action du vent, les branches se tordent si le temps se gâte, le maître se déchaînant suite à une infraction se déploie tel un démon en vue de le corriger, et les croquettes se fractionnent sous la dents. Se déplacer sans rien faire, c’est pas raisonnable, avec un de ces ronflements...Dans ces moments, je suis contraint de lui changer les idées, je n’aime pas s’il plisse le front, l’air absent.

L’autre particularité de Pépito, c’est sa prédilection pour les radiateurs, couché dessous. Même éteints, comme pour se positionner avant les grands froids, avec la peur de manquer de place. Tantôt l’un, tantôt l’autre, en fonction des activités de son maître, suivi pas à pas. C’est un chat affectueux, y a pas à dire, mais plutôt à redire s’il devient collant, incapable de vivre sa vie sans une ombre où se réfugier. Pauvre Pépito, s’il savait comme il me casse les pieds !

L’avantage d’un tel animal, c’est d’occuper l’esprit, de chasser l’automne frappant à la porte, soufflant son humidité, ses pluies battantes et incessantes, ses ciels plombés étirés une semaine durant, rythmés par les coups de fils des amis dans le besoin de transmettre leur blues. C’est comme si ces derniers se secouaient une fois entrés, frottant leurs godasses sur le paillasson, se délivrant de leurs tourments avant de raccrocher, légers et rassérénés, babillant tandis qu’en tête leurs histoires à se foutre à l’eau vous harcellent jusque dans votre sommeil. Passons, c’est chacun notre tour de désespérer de tout, sans oublier le reste, et l’inconnu à venir qui guette au lever du jour, aussi une oreille attentive est la bienvenue.

Si Pépito se love sous les radiateurs, il agit de même sur le carrelage, tout près de la braise devant la cheminée, et je vous assure, du jamais vu. Fauteuils et canapés sont à sa disposition, mais il préfère rôtir, et quand je passe, je glisse la paume sur le poil afin d’évaluer la cuisson. On ne sait jamais, des fois qu’il se soit endormi, avant de carboniser. Finalement, ce chat est merveilleux, je le concède, lui qui m’a permis de remplir mes six pages hebdomadaires, du futile, bien venu en cette saison.  

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