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Billet de blog 27 avril 2012

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Les vendredis de Sokolo " Gardien de nuit..."

Depuis qu’Amélie est immobilisée, le chat ne quitte plus la couverture. Chaque fois qu’elle s’éveille, hop, il soulève les paupières, la sonde pupilles dilatées, combien de temps s’éternisera cette comédie... C’est un chat noir et blanc, obstiné et au regard niais, dans une perpétuelle attente. Mon pauvre chat, si tu savais... Elle-même est maintenue dans l’ignorance, bouge peu, comme recommandé, obéissante et au sourire contraint. Une bonne petite fille, Amélie.

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Depuis qu’Amélie est immobilisée, le chat ne quitte plus la couverture. Chaque fois qu’elle s’éveille, hop, il soulève les paupières, la sonde pupilles dilatées, combien de temps s’éternisera cette comédie... C’est un chat noir et blanc, obstiné et au regard niais, dans une perpétuelle attente. Mon pauvre chat, si tu savais... Elle-même est maintenue dans l’ignorance, bouge peu, comme recommandé, obéissante et au sourire contraint. Une bonne petite fille, Amélie.

Parfois, le chat s’absente, et elle reconnait le crissement des griffes dans la caisse, alors que la litière est éjectée sur le carrelage, comme pour enrager les humains accourus avec pelle et balayette. Un rituel, comme celui de transiter par la cuisine d’où parviennent des bruits feutrés. Sitôt de nouveau dans la chambre, ne s’éclipsant que le strict nécessaire, hop, il atterrit sur le lit, reprend le creux de la couverture, et... fixe Amélie. Quand donc se lèvera-elle ?

Dans l’appartement, c’est le seul à émettre une protestation, un miaulement unique dont Amélie s’enorgueillit. Quand Céline, une copine de classe, lui rend visite, c’est la petite maîtresse qui imite ce miaou bien à lui, et le chat répond, comme entre eux à échanger des mots doux. Amélie rit, et Céline de même. Dernièrement, on l’a débarrassée de tout un tas de poulies et ficelles, et du coup il lui est possible de se reculer, s’avancer sur les draps selon les exigences, elle a mal aux fesses, à force d’être assise avec ce gros oreiller. D’elle, Amélie n’aperçoit que le bout des doigts, hors du plâtre, et qui ne lui servent à rien, surement pas à tourner les pages de ce drôle de livre étudié en classe. L’histoire de Grégoire Samsa qui se réveilla transformé en véritable vermine.

Céline pose toujours le volume sur la table de nuit avant de rentrer chez elle, le retrouve la fois suivante, ôte le marque-page et reprend la suite, une lecture laborieuse, en dépit de ses efforts. « Maintenant Grégoire ne mangeait presque plus ; quand il passait par hasard devant sa pitance, il s’amusait à en prendre un morceau qu’il gardait dans la bouche pendant des heures pour finir en général par le cracher... » Tu suis, je ne vais pas trop vite, demande Céline ? Le chat s’est dressé, observe sa maîtresse, imaginant qu’on parle de lui. 

Depuis peu, il perd l’appétit, lui hier boulimique, à déchirer le sac de croquettes avant qu’on ne le serve. Sous ses phalanges issues du plâtre, Amélie bute sur les côtes de son animal, et l’histoire de ce Grégoire transformé en bête hideuse est malvenue. Ce n’est pas le moment de céder à la mélancolie. Oreilles dressées, il la couve des yeux et Céline a interrompu sa lecture. Il est beau, ton chat. Le mien n’est pas admis dans la chambre...

Le chat d’Amélie stationne en permanence, dans l’attente qu’elle se lève. Il ne comprend pas. Le matin surtout. Quand elle dort, lui veille, et les fois où la mère d’Amélie entrouvre la porte en pleine nuit, l’éclairage du couloir fait apparaître le félin tendu vers sa petite maîtresse. C’est sa mère qui a évoqué ce curieux gardien de nuit, qui d’après elle chasse les cauchemars de l’oreiller, d’un coup de griffe. Aussi, Amélie n’a pas peur.

La fois où elle fut effrayée, c’est lorsqu’elle a basculé pardessus le garde-corps du balcon. Le temps de souffler un ah d’étonnement, elle avait atteint le sol. En mille morceaux a-t-elle confié à Céline qui l’écoutait bouche bée, admirative. Et t’as eu mal, a demandé sa copine ? Si elle avait pu, Amélie aurait haussé les épaules. J’étais morte, mais on m’a recollée... En ce moment, la maison est emplie de tristesse, à cause d’Amélie, vous pensez bien, à cause du chat qui boude sa nourriture, mais aussi, selon sa mère, à cause d’un habitant du quartier sur deux à avoir glissé dans une urne un bulletin de l’un ou l’autre des deux candidats à la présidence de la république, habiles à propager la haine et le rejet de semblables.

Amélie a fait oui, du menton, sans vraiment comprendre, et c’est la première fois qu’un adulte la mêle à leurs histoires. À cet instant, sa mère a posé la paume sur son front, sa manière de traquer la fièvre. Un baiser, et elle l’a abandonnée à son gardien de nuit, fidèle au poste, scotché à la couverture dont les fils partent en tous sens, à force de pâtasser.

S’il fait beau, le chat demande à sortir, assis devant la porte, il miaule. Une fois dans l’escalier, il gagne le rez-de-chaussée, attend qu’un locataire lui ouvre. Amélie le devine, il court après les oiseaux, grimpe aux arbres et fouille les poubelles. Mais jamais longtemps depuis qu’elle est vissée sur son oreiller. De la même manière qu’il est sorti, il patiente jusqu’à ce qu’une bonne âme l’aide à accéder à l’immeuble, grimpe les étages et patiente encore. Quand il maraude trop longtemps, sa mère vérifie s’il n’est pas endormi sur le paillasson.

Il arrive que la concierge sonne, votre chat s’est trompé d’immeuble, je l’ai vu au bâtiment trois, mais à la même cage d’escalier, et au même étage qu’ici. C’est un chat malin, aime à rappeler Amélie. Seulement, avec sa bosse, il mange peu. Parce que le gardien de nuit est frappé de maladie professionnelle, selon sa petite maîtresse. Une protubérance entre les omoplates qui lui suce toute la moelle. C’est pour ça qu’il maigrit a confié Amélie à Céline. C’est son explication, et le vétérinaire lui a appris être impuissant, sinon attendre, que sa bosse enfle jusqu’à que ce ne soit plus possible de vivre avec une carapace sur le dos.

Les premiers temps, ce monticule a progressé en forme d’obus, avant de s’évaser et, à présent, Amélie ne voit que lui. Cet obus. Sa mère lui a reparlé des élections, a désigné le chat. Ton gardien de nuit est noir et blanc, tandis que toi, le blanc est discret, sur les dents, autour des pupilles, mais le reste est noir. Avec leurs bulletins dans l’urne, ces gens on rejeté le noir, sauf pour ton chat devant lequel ils seront indifférents. Puis, elle est partie subitement répondre au téléphone et Amélie ne saura jamais la suite. C’est vrai, sa peau évoque la savane, plus claire sur les paumes et la plante des pieds, mais le reste, impossible de le dissimuler. Jusqu’alors, elle ignorait qu’il était possible d’exprimer ses préférences de couleurs, dans une urne le jour des élections. Cet aveu l’inquiète, aussi a-t-elle interrogé sa mère. T’es certaine, il aiment mon gardien de nuit ? Ils ne vont pas lui indiquer une fausse cage d’escalier ?... S’il se perdait.  Sa mère a marmonné, c’est pas lui le soucis, pour eux...

Céline lui a désigné le portrait de l’auteur, au dos du livre, avec son drôle de chapeau et la main sur son gardien de nuit à lui. Ça doit pas être pratique au lit, il doit prendre toute la place, et puis, tu sais, je suis sûre qu’il ronfle, un gros chien comme ça. Dans l’introduction, les deux élèves ont appris que l’auteur, un certain Kafka, fréquentait des anarchistes à Prague, participait à des manifestations à leurs côtés. Alors, elle a questionné sa mère, c’est quoi, des anarchistes, C’est où Prague ? 

À l’aide du calendrier des postes, la mère a situé la ville à sa fille, mais concernant les amis de Kafka, elle a émit un pet avec sa bouche. Des gens contre tout, brandissant un drapeau noir. j’en sais guère plus, a-t-elle ajouté avant de s’est éclipser.

Sa copine de classe passe tous les deux jours, sauf le week-end. Le lundi, elle raconte ses occupations, détaille ses sorties, tandis qu’Amélie s’évade vers son gardien de nuit, son seul sujet de préoccupation. De plus en plus maladroit, il n’a pas réussi à atteindre l’évier dans lequel il s’obstine à boire en dépit de l’interdiction. Il a ripé, a tout fichu en l’air, et Amélie a perçu le vacarme des assiettes par terre, les cris de sa mère. Ordinairement, il file sous l’armoire s’il se fait pincer, mais à présent sa bosse l’en empêche, aussi s’éloigne-t-il piteusement vers la chambre, se hisse sur la couverture, tourne sur lui-même en grattant, jette un regard inquiet vers le couloir et s’affaisse en couinant. Il va pas bien, mon gardien de nuit, se dit Amélie qui s’interroge.

Elle se préoccupe de savoir s’il se rend compte de son état, lui qui ne cesse de veiller sur elle. Un chat, se dit-elle, est doué pour attraper les oiseaux, pas pour s’observer dans une glace, sinon, il y a longtemps qu’il aurait aperçu sa bosse et serait mort de trouille. Avant que Céline ne parte, Amélie a demandé, comme ça, un truc lui passant par la tête. Dis, ça te gène que mon chat soit noir ?... Prise au dépourvu, Céline a bafouillé, non, pourquoi tu dis ça, et d’abord il est noir et blanc, il est beau ton chat, et puis elle a rougi. Après un silence, elle a ajouté, c’est vrai les chats noirs, on dit ça porte malheur, mais là, y a beaucoup de blanc. Ensuite, elle est sortie et Amélie a recommandé à son gardien de nuit. Te trompe plus jamais de cage d’escalier, mon chat...

Amélie n’a pas dormi, sinon quelques instants entrecoupés de cauchemars, et chaque fois elle ressentait un grand vide, la pression du chat contre son corps lui manquant. Son gardien de nuit a découché, alors, forcément c’est pas pareil. L’obscurité est plus inquiétante, le silence plus épais et, elle pense... Elle pense à son chat dont la bosse s’est étendue subitement, et qui oscille à chacun de ses pas, un peu comme un ballot mal arrimé sur un chameau. Elle n’a jamais vu de chameau autrement qu’en photo, dans des reportages télé, mais cette nuit une ribambelle accrochée par les naseaux a défilé dans sa chambre après avoir aspiré l’eau d’un puits à l’oasis. En fait, derrière l’armoire où son chat se cache avant de lui mordiller les arpions.

Amélie l’a entendu dire, ces animaux gonflent leur bosse comme une loutre, une outre elle a oublié le vrai mot, afin de se désaltérer en cercle, à papoter comme à la récré. Alors, la bosse diminue et elle s’est demandé pourquoi son gardien de nuit n’a plus soif. Quand elle se réveillait en sueur, elle avait mal partout, là où on l’a recollée. Et elle l’appelait dans le noir, comme toujours elle fait, en sifflotant. Elle n’a jamais réussi à vraiment siffler et c’est plutôt un chuintement, mais son chat arrive immanquablement, roulant des épaules, l’air de dire, pourquoi tu me déranges... Depuis qu’il promène sa bosse, il est encore plus drôle, surtout qu’elle grossit de jour en jour.

Ce matin, sa mère la débarbouille de fond en comble, du moins ce qui est apparent, trempant le gant dans une bassine, sans oser la retourner. Comme les chameaux, elles papotent autour du point d’eau et sa mère en profite. Tu sais, un jour, avec ton gardien de nuit, ce ne sera plus possible. Puis, elle ajoute en soupirant, faudra bien prendre une décision... Amélie fait semblant de pas entendre, mais sa mère insiste, tordant le gant, comme elle a vu faire les femmes africaines dans un film, pour le linge. Tu comprends ce que je te dis, ma chérie ?...

Non, elle assure ne rien comprendre, et sa mère aurait préféré une petite fille plus fine, qui ne la contraigne pas à plus de précisions, alors elle appuie sur les mots, comme on s’adresse à une imbécile. Un jour, Amélie, quand sa bosse le gênera trop, quand il ne pourra plus se déplacer, qu’il souffrira trop, on le donnera. Un cri résonne dans la chambre, alors que la sonnette retentit du palier. C’est la gardienne, suivie du chat qui lui file entre les pattes. Il s’est laissé enfermer dans une cave. Il miaulait comme un perdu... Sans sa bosse, il aurait filé direct à sa gamelle, mais là, il stoppe devant la chambre, se rend au pied du lit, estime la hauteur, des griffes s’accroche à la couverture, se hisse comme un alpiniste, en recherche de prises, et s’affale, dans son creux avec une plainte. Son endroit préféré.

Sa mère disparait avec la bassine, revient border la couverture, et puis la sermonne, au sujet des préoccupations des adultes. Ma chérie, promets-moi... Amélie est ailleurs, oui, maman. Mais sa mère lui saisit le menton. Si tu retournes à l’école et qu’on t’embête, tu me le dis, promis ?... Amélie trouve ça ridicule, alors que son chat risque d’être adopté contre son gré. Elle sait bien, par le vétérinaire, qu’il connait à peine et chez qui il va s’ennuyer, privé de chambre, de couverture à pâtasser. Alors, elle proteste. Mais maman, pourquoi on m’embêterait ? Sa mère lui caresse le bout des doigts, pensive, les yeux sur les gribouillis de sa copine Céline qui cochonnent le plâtre, se lève, et s’en retourne après avoir murmuré. Pour rien...

Sitôt seule, Amélie s’adresse à son gardien de nuit. T’étais où, voyou ! Des chameaux n’ont pas arrêté de tournicoter. Et d’abord, tu pourrais dire bonjour... C’est vrai, de retour d’escapade, il remonte toujours le long de la couverture, comme une limace, griffes rentrées tend la patte jusqu’au nez d’Amélie, pour signifier sa présence. Mais là, rien, juste un miaulement, comme à regret, paupières baissées comme les lamelles du store vénitien, dans la salle à manger. En chat fainéant. Et puis, poursuit sa petite  maîtresse, t’as mauvaise mine, t’es tout chiffonné, les poils en bataille. Tu pourrais te lécher, tout de même... Elle réalise d’un coup, sa langue n’est plus assez longue pour atteindre le haut de la bosse, aussi se reprend-elle. Maman va faire ta toilette, comme pour moi, et si tu te rebelles gare à toi...

Une semaine s’est écoulée, et comme sa mère l’a exigé la veille, Amélie va feindre. Feindre de n’être pas triste, sinon son gardien de nuit va se débattre. Pour être plus forte, Amélie a exigé la présence de Céline au moment du grand départ et, quand la cage apparait dans la chambre, le chat se dresse péniblement sur ses pattes arrières, les yeux exorbités.

Tout se passe très vite, il n’a plus la force de résister, comme du temps des vaccinations. Il se cogne le dos en entrant, sa bosse énorme entrave tout mouvement. La grille se rabat, et comme promis, la mère rapproche la cage de la petite maîtresse qui fait la leçon à son animal. Faudra être sage, et dès que j’irai mieux, je te rends visite. Elle enfourne l’index  entre les barreaux, atteint péniblement le museau de l’animal rétracté, tout au fond. Et sa mère confirme, oui, sitôt que tu iras mieux, d’une drôle de voix et détournant la tête.

La porte de l’appartement claque et Céline reprend un peu vite la lecture du livre de Kafka. « De cette place toujours si calme et si soigneusement tenue, ils ont fait une véritable écurie. » Amélie l’interrompt. Dis, tu crois toi aussi qu’on va m’embêter à l’école ? Après avoir glissé le marque-pages, sa copine pose le livre sur ses genoux. Elle a déjà longuement évoqué tout ça, avec ses propres parents qui ont abordé ce sujet, sous un autre angle, aussi la rassure-t-elle, répétant comme un perroquet ce qu’elle a entendu à la maison. Papa m’a dit, oh, elle n’a rien à craindre. Ta copine est noire, c’est vrai, mais ses parents sont blancs, c’est différent... 

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