REPONSE A LA TRIBUNE DU MONDE DU 22 MARS 2025
La tribune parue dans le journal le Monde « Pour que l'antisionisme ne serve plus de
prétexte à l'antisémitisme » est un symptôme. Ce texte , mal écrit et mal argumenté, traduit
une peur panique dont l'objet a pour nom le sionisme. Le sionisme est en grand danger,
exhorte le texte, il faut donc sauver le soldat sioniste.
Sur le premier point, le texte n'a pas tort. Le sionisme est en crise depuis le 7 Octobre
2023. Ses fondamentaux ont explosé en plein vol. La notion de « refuge-sanctuaire pour
les juifs du monde entier, » mantra du sionisme s'effondre. D'autre part, le contrat de
confiance entre l'armée et les citoyens, autre mantra sioniste, est rompu. On accepte de
faire le service militaire, en retour l'armée doit nous protéger. Où était-elle le 7 Octobre ,
où sont les otages, demandent les Israéliens. Une commission d'enquête interne sur les
causes des nombreuses impérities de l'armée et des services de renseignements voit sa mise
en place bloquée par les autorités actuelles.
Sur le second point, il n'y a rien à sauver. Au contraire. Il faut renforcer le processus de
décomposition du sionisme tant du point des consciences que du point des structures
étatiques. C'est la seule voie qui autorise à penser qu'une autre voie, un autre pays est
possible en Palestine Israël , pour les Palestiniens et les Israéliens.
La tribune veut donc convaincre du bien fondé du sionisme. Pour ce faire, elle établit une
liste à la Prévert d'affirmations tranchées, toutes en déni ou fable du réel.
Déclarer que le sionisme, je cite, est un « idéal d'émancipation , un ancrage durable , un
barrage à la haine et un avenir pour les enfants juifs » est une fable historique et
idéologique. Incommensurable. On relit la phrase pour s'assurer qu'on a bien lu !
Au Congrès sioniste de Bâle en 1897, l'objectif est l'installation d'un foyer juif en Palestine
contre la montée de l’antisémitisme européen. Il s'agit bien, dans les textes, d'un projet de
colonie de peuplement sur une terre arabe.
En 1947, l’État sioniste est créé sous la férule du monde occidental qui a assisté à
l'extermination des juifs d'Europe sans l'ombre d'un frémissement ontologique.
Ce même monde occidental dont l’État d’Israël revendique le testament « éclairé » face
aux « ténèbres » du monde arabe(sic).
Depuis 1948, le projet de peuplement s'édifie sur un archétype colonial « un peuple sans
terre pour une terre sans peuple », tout colon considérant que la terre qu'il occupe est une
terre vierge. La « terre promise » du message messianique n'est pas vierge. Il y a les
autochtones, il y a le peuple palestinien.
Le film du cinéaste israélien Amos Gitaï « Kedma » sorti en 2002, déjà 23 ans, raconte le
piège qui se referme sur les survivants des camps de la mort venus en 1948 accoster au
rivage de la terre de la promesse et qui sont pris entre deux feux, -tués
aussitôt mis le pied sur la terre- ceux de la Haganah, l'organisation paramilitaire sioniste et
ceux des mouvements nationalistes arabes et palestiniens.
La logique sioniste veut donc éradiquer le peuple palestiniens par tous les moyens. D'abord
il a été dit, -la Palestine fut ottomane jusqu'à la première guerre mondiale- que les
autochtones étaient jordaniens, syriens, égyptiens. Puis, fut nommé, la négation du fait
historique palestinien. « Les Palestiniens çà n'existe pas » disait publiquement la Première
Ministre israélienne Golda Meir en 1969.
Que B. Smotrich, ministre des finances du gouvernement Netanyahu, chef de file de
l'extrême droite israélienne, vienne, en 2024, déclarer à Paris « Il n'y a pas de palestiniens,
il y a juste des arabes » ne devrait scandaliser personne, sauf hypocrisie, puisque cette idée
est l'alpha et l'oméga de la réalisation du projet sioniste. C'est cette logique qui légitime la
poursuite ininterrompue, avec un cynisme sans faille, du projet d'occupation de toute la
Palestine, appelé Eretz Israël.
Depuis 1948, ce sont les guerres, les expropriations, l'arrachage des cultures, la destruction
systémique des maisons, les violences et les harcèlements quotidiens des colons sous
forme de ratonnades, -gardons ce mot, il nous permet de ne pas en employer un autre- les
prisons où s'entassent des jeunes de 13/14 ans, sans accusation ni procès, - les Israéliens
appellent çà la « détention administrative », la durée en est illimitée et n'est soumise à
aucun contrôle, le droit international est bafoué...
En 2025, le monde occidental assiste sans broncher (bis répétita) au « génocide » du
peuple palestinien, -le mot est retenu- dont Gaza serait le versant ultime. Une infinie
immensité de destructions, plus un édifice debout, à perte de vue. Des humains de tous
âges, visages de fatigue et de colère mêlées quand ils regardent l'appareil photographique,
errant parmi des monceaux de gravats, portant les derniers ballots de chiffon qui leur
restent... Comme si Gaza figurait la perte de l'humanité du monde.
Depuis 2023, 50.000 morts dont une majorité de civils et plus de 9000 enfants tués.
Nous savons que plus le mensonge est gros, plus il a des chances de passer.
Mais que signifie écrire en 2025 « le sionisme est un idéal d'émancipation » si pour exister
le peuple israélien procède à l'effacement du peuple palestinien qui habitait la Palestine.
J'ai écris le peuple israélien parce qu'il ne s'agit que de lui. Le « peuple » juif n'a rien à
voir dans cette histoire. Ou plutôt, il nous faut désosser l'articulation des mots juifs et
israéliens. Tout juif n'est pas forcément sioniste comme voudrait le faire croire le texte, et
tout sioniste n'est pas forcément juif ou israélien, d'ailleurs.
Cette articulation israélien/juif est le produit d une forfaiture : un rapport falsifié à l'histoire
ou plutôt aux multiples histoires juives, niées, balayées ou transformées en une « fatalité
immémoriale » qui doit s'incarner dans un État. Du pur racket historique.
Là réside le symptôme. Car pour asseoir son projet de colonie de peuplement sur une terre
arabe qu'il savait difficilement défendable, - les signataires du texte pourraient lire ou relire
les textes des fondateurs du sionisme dans lesquels il est principalement question de
colonisation et de ses conséquences – le sionisme a eu recours au signifiant juif victimaire,
qu'il a, pour les besoins de la cause, placé hors temps de l'histoire, hors contexte, - le
sioniste honnit, vomit le mot contexte - .
Écoutez la rabbanit Delphine Horvilleur parler de la « contextualisation des événements de
Gaza » : le verbe vomir n'est pas de trop.
Or, le signifiant juif/victime est un réel historique. De l'anti judaïsme à l'antisémitisme, ce
n'est pas une fable. Ce réel est ancré dans l'inconscient collectif des populations juives et
israéliennes. Avec son vocabulaire inhérent- pogroms, extermination, antisémitisme - Le
nier serait ne rien comprendre à la situation.
Sauf que le sionisme a transformé ce signifiant des multiplicités juives en une « essence »
axiomatique au service d'un messianisme national étatique.
Toute attaque contre cette essence, cette figure de l'Un, cet identitaire premier est
sanctionné par le sionisme comme antisémite. Tout antisionisme du multiple est donc, pour
le sioniste de l'Un, antisémite. Or, la figure d'une « essence » juive suprémaciste promeut
un antisémitisme, qui, parfois, peut se confondre à de l'antisionisme.
Ceux qui désignent l'autre, -l'antisioniste- comme responsable de l'antisémitisme sont
ceux , -les sionistes- qui le promeuve. C'est pourquoi il est fondamental de séparer les mots
juif et israélien.
Cela l'est d'autant plus qu'il n'y pas de juifs en Israël. Il faut être clair là dessus.
L’État sioniste s'est construit contre les juifs historiques, contre les juifs diasporiques. La
diaspora a été déclarée par le sionisme, la cause et la raison de tous les maux des juifs
jusque et y compris leur extermination. Ben Gourion , Premier Ministre du nouvel État
Israélien, a raturé le judaïsme diasporique millénariste au profit d'un messianique biblique
renouvelé. Car il fallait construire « l'homme nouveau » dans un « sionisme musclé »
comme le nommait Max Nordau, grand sioniste des débuts. Un homme nouveau
débarrassé des scories de l'homme ancien de la « galout ».
Il y a en Israel, des Hébreux (le retour de la Bible) des Sabras (l'homme nouveau,
agriculteur et soldat) et des Israéliens (les autres). Pas de Juifs donc.
De ce point, il n' y a pas de conflit entre les juifs et les arabes. Il n'y a pas de conflit du
tout. Il y a la résistance désespérée et acharnée du peuple palestinien contre l'occupant
sioniste.
De ce point, l'antisionisme est une histoire juive. Le Juif historique n'a rien à faire avec un
État identitaire , des frontières, une « normalité juive » qui ne peut se réaliser que dans le
sionisme. Il est le frère d'arme de ses compatriotes, les Palestiniens.
Déclarer antisémite l'antisioniste est une insulte à l'intelligence de l'humanité.
Il est amusant de constater que tous les vocables dont l'antisionisme est affublé dans le
texte des signataires sont de fait les caractéristiques du sionisme.
Le sionisme est essentialiste, révisionniste, suprémaciste et l'obstacle principal à la
possibilité d'une autre voie, d'un autre pays possible, là bas, entre Palestiniens et Israéliens.
C'est à ce titre que nous le combattons avec rigueur et fermeté. Sans jamais rien laisser
passer.
Sol V Steiner
Serge Pecker