Le journal Valeurs actuelles a publié le 10 mai un nouveau texte, écrit par des militaires d'active, jeunes, précise le journal, en soutien au premier texte de leurs aînés, paru quelques jours auparavant. Rhétorique à l'identique : décadence de la France, ennemi intérieur musulman, guerre civile qui menace, s'il le faut, disent-ils, ils interviendront pour restaurer l'ordre républicain, un et indivisible.
Les choses sont dites, une nostalgie putschiste saisit des militaires qui se sentent en position de la déclarer haut et fort.
LA SITUATION
Ces assertions martiales viennent soutenir une campagne idéologique, d'une rare violence, lancée par le gouvernement, contre « l'islamogauchisme ». Notion floue, sans définition précise, dont le seul enjeu est idéologique.
La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Frédérique Vidal, vient parler sur les chaînes de télé du groupe Bolloré, - impliqué dans les guerres de rapine coloniale des ports africains - pour désigner un état des lieux de la société française (dont les universités) qui serait « infestée » par la « gangrène » islamogauchiste qu'il faudrait « éradiquer ».
Un langage repris avec vigueur par l'extrême droite et par les intellectuels défenseurs de l'identité nationale, de la Nation et de la République. Des mots qui rappellent les heures, pas si lointaines, de la France coloniale pendant la guerre d'Algérie. On peut remonter plus loin dans le temps, les années 30, avec l’appellation judéo-bolchévique.
Qu'on ne s'y trompe pas.
Dans l'appellation judéobolchévique comme dans celle d'islamogauchiste, le signifiant maître est celui de gauchiste et de bolchévique. Les judéobolchéviques étaient à l'époque fréquemment appelés judéocommunistes.
Les gauchistes seraient une appellation fourre-tout qui recouvre, ceux, revendiqués marxistes ou pas, qui se battent pour l'égalité et l'internationalisme.
Le signifiant religieux n'intervient pas, comme certains le proposent, pour aiguiser un conflit de rivalité théologique entre les religions monothéistes, il est le drapeau réactionnaire et raciste qui claque pour coiffer le combat contre le marxisme et l'émancipation.
Le nom change, de juif à musulman, mais la fabrication de l'ennemi intérieur procède des mêmes rouages.
LA FABRICATION DE L'ENNEMI INTERIEUR
L'expression islamogauchisme, « a émergé parmi les intellectuels avant de passer dans l'univers de la communication, pour, finalement, être récupérée par des politiciens empressés. Pierre André Taguieff, futur conseiller du CRIF fut, semble t-il le premier à recourir à la formule « islamo-gauchisme « (dans le sens actuel du terme), déjà en 2002, Caroline Fourest, Elisabeth Badinter, Alain Finkelkraut et Bernard Henri-Lévy s'emparèrent du terme et veillèrent à lui assurer une diffusion à longueur d'interviews et d'articles » écrivait Schlomo Sand, professeur d'histoire contemporaine à Tel Aviv dans le Nouvel Observateur, daté de... Juin 2016 .
Ces intellectuels, nous les retrouvons en 2021, - parangons du dispositif de propagande étatique, mis en ordre de meute - jappant pour désigner « l'ennemi intérieur » : les arabes et les musulmans.
Désigner un ennemi intérieur est une vieille baderne qui autorise un gouvernement et ses affidés à glorifier, à peu de frais, les ors de la république et du nationalisme.
Après les intellectuels, les hommes politiques. C'est toujours dans cet ordre que la fabrication de l'ennemi intérieur opère. Les intellectuels « chiens de garde » ont une responsabilité majeure dans l'élaboration de ce processus.
Ensuite, on se souvient de Manuel Valls, premier ministre du gouvernement Hollande, désigner clairement après les attentats de Charlie Hebdo, d'une part, les musulmans, « ennemis de la République et de l'entité nationale » la cinquième colonne disait-il, et d'autre part, les intellectuels critiques qui voulaient penser la situation des attentats.
La pensée engagée, au sens de com-prendre, analyser, comparer, tirer bilan et conséquences pratiques, la pensée, tout court, était, à l'instar des musulmans, désignée par Valls, « ennemi de l'intérieur ». De ce point, toute pensée engagée est, dans ses attendus et ses conséquences, idéologiquement violente pour le système nationaliste et colonial.
Aujourd'hui, l'affaire est encore plus grave avec le projet de loi sur le séparatisme.
Il s'agit, rien moins que, d'inscrire dans le marbre de la loi, « au nom du respect des principes de la République », un système d'apartheid, pour une large partie de la population, nommée musulmane et arabe, qui serait soumise, de façon systémique, à des interdictions, des humiliations et des sanctions tous azimuts.
Un projet de loi aux relents colonialistes à peine cachés. L'extrême droite jubile et sort de la boite de Pandore. La population musulmane et arabe est, en France, suspecte structurellement.
Depuis la sale guerre d'Algérie. Que la population musulmane/arabe, autrefois colonisée, vive sur le même sol que les ex colons, représente pour une large part de la société française, coloniale et raciste, une situation jamais admise. Le projet de loi séparatisme, sous le prétexte fallacieux de lutter contre les communautarismes, veut donner quitus aux nostalgiques – nombreux - du « bon temps des colonies ».
Marine le Pen et le Rassemblement National n'ont pas grand-chose à ajouter. Le gouvernement et ses chiens de garde font le job pour... le fascisme qui vient.
Les élections de 2022 sont jouées. Il n'y aura de « choix » - si choix il y eut jamais dans le processus électoral - qu'entre fascisme et... fascisme.
LA RÉPUBLIQUE COLONIALE
Sur cette situation, les dites « gauches » ne protestent pas. Elles sont silencieuses.
Pour dire mieux, elles avalisent. Et c'est logique.
La IIIe République, celle de Jules Ferry, la République de l'école laïque et obligatoire pour tous, est historiquement identitaire et coloniale. C'est un trait particulier de la France. Sa laïcité est raciste et réactionnaire.
Dans son discours de Juillet 1885, devant l'Assemblée Nationale, Jules Ferry, père de l'enseignement public, - qui fit tirer sur les communards de la place de l’Hôtel de Ville en 1871, défend l'expansion de la politique coloniale - dont il est l'un des initiateurs depuis 1883, au nom de trois arguments. Qui seront repris comme une antienne tout au long de la politique impériale française et qui légitimeront l'expansion de son très vaste empire.
D'abord l'argument économique, - la France a besoin de débouchés pour ses produits industriels, ensuite l'argument civilisationnel, - les civilisations supérieures comme la France, doivent éduquer les races inférieures, (dixit dans le texte) et enfin - des motifs politiques et patriotiques qu' Ernest Renan résumait fort bien dans un texte , écrit après 1871, intitulé Réforme intellectuelle et morale.
Il faut toujours se méfier d'un texte qui prétend parler au nom de la « réforme intellectuelle et morale ». Et pour cause ce qui suit.
« Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche et du pauvre. La conquête d'un pays de race inférieure, par une race supérieure, qui s'y établit, n'a rien de choquant...Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures par les races supérieures est dans l'ordre providentiel de l'humanité. »
Finalement, tout est toujours dit, explicitement, dans les textes. Il n'y a que les aveugles qui ne veulent pas voir.
Une définition à deux étages du colonialisme.
Le colonialisme, constituant de la formation de la nation, est, présenté d'abord comme une opération de diversion politique pour parer les guerres civiles de classe, - argument pérenne - et d'autre part, pour assurer une mission de civilisation, en éduquant les dites races inférieures.
Ceci est une particularité française dans la mesure ou la « mission civilisatrice » de la puissance coloniale est inscrite, depuis le 19eme siècle, dans les fondamentaux de la formation de la Nation et de la République. Dans les formes de conscience de la représentation de la République Française.
La permanence jusqu’à aujourd'hui de telles notions n'est plus à démontrer, mais ce qui est à souligner, en gras, c'est combien elles sont intrinsèquement liées à l'idée que les Français se font de la République et donc ne sont pas spécifiques à l'extrême droite.
L'esclavage colonial fait histoire nationale.
C'est le fondement de ce qui est nommé institutionnellement la République. Dans beaucoup de familles, il suffit d'une génération pour re-trouver des parents ayant participé, de quelconque manière, à l'Empire colonial (Indochine, Afrique, Maghreb, etc...)
Cette histoire générationnelle est l'humus des formes de conscience de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie française.
De ce point tenu, l'alternance au pouvoir des partis politiques est le théâtre d'ombres d'une imposture sur le « changer les choses ». On ne change rien sur la base d'un consensus historique colonial partagé . (Ce principe est valable pour beaucoup de pays dans le monde)
La petite bourgeoisie a intérêt à penser le contraire parce qu'elle y voit un différentiel dans la répartition des miettes - et des places - que le colonialisme autorise, encore.
Comme il y aura de moins en moins de miettes - et de places - à distribuer, - le carré impérial français a réduit sa voilure – les temps à venir s'annoncent très difficiles pour ces populations.
Les manifestations violentes des gilets jaunes en sont la première démonstration. Ce n'est qu'un début... L'extrême droite y voit « le déclin de la France ». De son point de vue, elle n'a pas tort.
Dans ce contexte particulier de l'affaiblissement de la puissance impériale, on voit réapparaître à la une des journaux, des anciennes figures, - Michel Sardou, Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Michel Onfray, convoquées pour parler du passé glorieux - et bafoué - de la France, du « bon vieux temps des colonies » comme le chantait Sardou, de l'identité nationale à protéger, de l'ennemi intérieur à éradiquer.
Avec la campagne contre les islamogauchistes, ces retours en force des nostalgiques du passé colonial français entérinent les conditions pour le fascisme qui vient.
LA POLITIQUE, UNE IDÉE NEUVE
On ne peut donc rien attendre de l'Etat, ni des partis politiques qui consolident, les uns après les autres, la politique du même.
La misère politique actuelle, tient au fait que c'est l'Etat, et ses chiens de garde, intellectuels et médias aux ordres , qui ont l'initiative, sur le terrain de l'idéologie comme sur celui du politique.
Ils font voter les lois iniques, ils organisent les campagnes racistes et désignent, ce faisant, le champ idéologique dominant, à savoir le nationalisme républicain colonial et identitaire.
Il y a des mouvements de colère, des révoltes, des manifestations nombreuses, des mots d'ordre dé-gagistes et défensifs.
« Macron t'es méchant, dégage » « On défend nos acquis » « A bas les violences policières » Avec çà, on ne va pas loin. On ne va nulle part, en fait.
Depuis quelques années, les manifestations, les cortèges, dans les rues, nombreux, volontaires, affrontant la police, n'ont rien proposé sinon leur propre existence.
Être contre, ça rassemble, ça rassure, ça fait foule, c'est aussi très paresseux, parce qu'on se place exclusivement du point du calendrier et de la temporalité de l’État. On ne fait que riposter et réagir sous l'idée stagnante « L’État, le gouvernement, Macron, sont méchants » à supposer qu'ils furent, un jour, « gentils ». Ça ne dit, surtout rien, de ce que nous voulons.
Parce que être pour quelque chose, ça ne fait plus ensemble, ça divise en deux et les gens n'aiment pas l'idée que, pour avancer, il faut que un se divise en deux. C'est-à-dire que sur chaque question, chaque point, chaque proposition, il y a deux lignes ; on présente ses idées, ses théories, on les dispute comme on parlait de la disputatio - un usage public de la raison, on dialectise les arguments et on choisit ; choisir, c'est trancher dans une direction, c'est un pari, une hypothèse, une anticipation, sans assurance aucune. Le pari, c'est dire l'impossible est possible.
Le lieu de ces choix, c'est la réunion. C'est le lieu de la pensée en acte.
La politique, c'est la réunion, le lieu où les gens du peuple se parlent à eux-mêmes, sans recettes préétablies et choisissent de présenter, en leur nom propre et en situation, leurs propositions, les traduisent en mots d'ordre (tract ou banderole) les distribuent à d'autres gens pour en mesurer la justesse ou l'incorrection- toute intervention est une enquête - sur les marchés, dans les manifestations et les meetings.
C'est la seule façon pour le peuple de se servir lui-même et construire sa politique.
LA FIGURE DU MILITANT
Le militant, c'est l'artisan de ce travail minutieux, anonyme, régulier qui prend du temps et qui n'est pas payé. Ça peut paraître fatiguant et lourd. Ça l'est. Ça se passe en général après le travail de la journée et après le temps de la vie familiale. Chaque militant est tributaire de sa volonté et de sa pensée. De son courage et de sa discipline. De l'idée, en situation, qu'il veut « disputer », qu'il apporte en cadeau au collectif de la réunion. Sans quoi rien ne se fait. Avec enthousiasme.
En grec, enthousiasme veut dire « du divin en soi ».
Dans la conjoncture actuelle, le militant a besoin, plus que jamais, de ce divin en lui.
Le militant dépasse ses intérêts immédiats pour une idée dont il est sûr de ne pas la voir se réaliser de son vivant. Peu lui chaut. Il ne cherche pas « des places » à faire valoir pour un futur proche. Il ne cherche pas à s'octroyer un pouvoir, aussi local soit il. Il propose à lui-même une transcendance immanente. Celle d'un combat collectif pour une idée, une théorie, une politique au service du peuple dont il est partie prenante. Dont il mesurera, au fur et à mesure des points tenus, les victoires et les échecs. Nous revenons à Rousseau, pourquoi pas.
Il nous faut inventer et travailler à ce nouveau.
Une théorie et une pratique qui s'opposent radicalement au consensus historique raciste partagé.
Nos premières propositions.
Pour l'égalité, l'internationalisme et l'émancipation.
Seuls mots d'ordre opérant une rupture radicale avec l'idéologie de tous les fascismes.
Trois points à définir, forcément, à partir de quoi nous pourrons convenir de ce qui est juste à dire et à faire et de ce qui ne l'est pas, en situation, toujours.
Produire nos analyses, nos mots d'ordre autour de ces trois points. Pour commencer.
CONCLUSION OUVERTE
« Quand le philosophe Alain Badiou, le géographe Emmanuel Todd et le journaliste Edwy Plenel transforment les musulmans quels qu'ils soient en prolétaires ou en juifs du XXIe siècle, - ce qu'on appelle communément l'islamo gauchisme - ...». Extrait du journal Challenges du 22.05.2015.
Cette phrase saisissante de vérité - il est toujours intéressant de lire les journaux de nos ennemis - autorise une conclusion ouverte sur l'avenir.
Explication.
Les « musulmans » seraient le nom, en figure de cache, du nom politique de l'alliance intellectuels/prolétaires/juifs du XXIe siècle. Si les bolcheviques étaient le nom du communisme avant-guerre, les juifs du XXIe siècle seraient le nom d'un communisme nouveau, et l'islamogauchisme, le nom de l'alliance des intellectuels communistes avec les dits « migrants » ceux qu' Alain Badiou préfère nommer les « prolétaires nomades » du XXIe siècle, cette alliance portant allègrement le nom d'un communisme...qui vient. Cela nous va très bien.
Remarque.
La bourgeoisie et les fascistes ont toujours une longueur d'avance sur le peuple pour désigner leurs vrais ennemis. Ils n'ont pas peur du mot communisme ; Bolsonaro au Brésil et la candidate de la droite espagnole qui vient de remporter haut la main les élections à Madrid, ont fait leur campagne sur les thèmes explicites « le communisme ou la liberté » « le communisme c'est l'ennemi » et de leur point de vue, ils ont eu raison.
Si le mot communiste est, hic et nunc, au service des campagnes fascistes, il est le seul qui serait en position de les contrarier. Mais ce mot de communisme ne semble pas intéresser ceux qui prétendent se battre contre les fascistes. On se rend compte , alors, de ce qui s'est joué, autour de ceux, désignés du sigle des « nouveaux philosophes », - encore une de ces nauséabondes spécificités françaises, qui, dans les années 70, ont conjugué leurs diatribes dans la diabolisation du mot marxiste « communiste » Ils ont opéré un vrai désastre de la pensée, visible dans le champ académique et politique, laissant béance ouverte aux vents mauvais de tous les fascismes identitaires et réactionnaires.
Responsables en amont de celui qui vient .
Sol. V. STEINER
Le 14/05/2021 10:05
Revu et corrigé le 20/06/2021 17:34