Cher·es ami·es,
Il y a presque un an jour pour jour, j’ai décidé d’ouvrir un blog, pour y déposer des bouts de moi. Des trucs que j’avais écrits, le long du chemin. Je m’étais confrontée à la censure - la censure économique plus que politique d’ailleurs, au fait que quand tu ne possèdes pas les moyens de diffusion des idées et des mots, tu finis souvent frustrée, tes piles de travaux sous le bras, à regarder celles et ceux qui brillent dire un peu n’importe quoi et beaucoup de vide. Ça ne dérange pas. C’est bien comme ça.
Sauf qu’il y a la marge, à côté. La marge qui s’étouffe à côté.
Quelqu’un que j’admire beaucoup, dit souvent que la création, c’est une marge et un centre. Que le centre est pourvoyeur de moyens, d’infrastructures, de logistique. Que la marge est le pas de côté dans lequel peut s’inscrire la création, la folie si nécessaire des artistes, cette hérésie qui fait « l’éternel ferment de la vie » comme le dit si bien Zamiatine. Mon ami m’a dit aussi qu’à force de se soucier du comment davantage que du pourquoi, du pragmatisme et de ses règles et de ses courbes et de ses chiffres, la marge a été grignotée par le centre, les moyens sont au centre de toutes les réflexions, et alors l’uniforme, la pensée normée, sont souvent la seule voie(x ?) pour se faire entendre.
Pourtant la marge est indispensable. On ne peut pas créer du neuf sans ces cervelles qui pensent différemment, qui ne sont pas contaminées encore par la médiocrité dans laquelle notre siècle se vautre, qui n’ont pas le souci de l’efficace mais du sensible. Ces cervelles existent, elles sont partout où l’on s’autorise le hors norme, elles œuvrent dans les interstices de liberté, elles se déploient là où la culture est encore quelque chose qui compte.
Il est plus important que jamais, pour le centre, de rester pourvoyeur de moyens généreux, large, protecteur. Car quand les artistes ont le souci d’avoir les pieds sur terre parce qu’ils ne peuvent se permettre la tête dans les nuages, c’est toujours mauvais signe. Il faut préserver les îlots où le différent peut être exploré, étalé, découvert. Donner la possibilité de parler, indifféremment du flot contemporain, de la nécessité de plaire, de correspondre ou tout simplement d’être vus. Ces préoccupations, le centre doit faire en sorte de les effacer, de les résoudre, pour qu’il ne soit plus question que de culture. Les artistes, les créateurs, les auteurs ne sont pas des managers. Ceux qui créent et imaginent, les chérir, les choyer. Ils se lancent. Ils essayent. Ils ratent et ne trouvent pas cela important. Ils seront ployés sous la vague, défigurés par les lois du marché. Mais pour l’instant, ils sont là, bruts. La culture est là, encore. J’y vois tellement d’espoir, de reprise de pouvoir, d’illuminations. Toutes ces voix qui, en s’autorisant leurs chemins propres, travaillent de concert pour une bataille culturelle qui se joue et dont je crois l’importance sans commune mesure.
Dire les choses, leur trouver une justification d’exister. Rapporter des paroles muettes. Ouvrir les imaginaires pour créer de nouveaux possibles. Nouer nos récits pour mieux cohabiter. Raconter les vraies choses pour être de vrais humains, pour pouvoir se dire : « c’est moche, mais tu le racontes comme moi ».
Alors voilà, j’avais envie de partager avec vous ce projet qui est né avec ce blog et les réflexions qu’il a provoquées en moi, cette jeune femme de vingt-deux ans pleine de rêves qui bouillonnent et d’angoisses qui pulsent. En 2022, je mangerai beaucoup de pâtes mais j’ai pris la décision de me lancer à plein gaz dans Motus, le média culturel que je suis en train de créer et par lequel je continuerai de partager mes écrits au même titre que sur Médiapart, mais aussi des podcasts, des vidéos, de la musique, dans un même élan : celui qui résiste à l’ordre des choses. Je veux célébrer cette créativité si précieuse des gens qui s’engagent : les révolutionnaires ont avant tout de l’imagination, et de quoi la nourrir. Motus, c’est de quoi manger pour la bataille culturelle qui nous attend.
Au travers de sons, d’écrits, d’images, et de nos manières intimes de ressentir le monde, ramener la politique à nous. Voir la grande histoire dans la petite. Reprendre la main sur nos destins communs en les racontant.
Je continuerai de publier les billets hebdomadaires sur ce merveilleux espace de marge que constitue Médiapart, en même temps qu’ils seront publiés sur Motus. Quelle chance d’avoir ces refuges de liberté pour s’exprimer au service du monde nouveau. Et merci à vous, de me lire !
Et je vous invite, si vous le souhaitez, à nous rejoindre sur Twitter et Instagram, @motuslemedia et à aller explorer motusetlanguependue.fr.
Je vous embrasse et vous retrouve demain pour un nouveau billet,
Soldat Petit Pois