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Billet de blog 18 décembre 2021

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Je pense donc ne t'inquiète pas

Les réactions sont parfois plus intéressantes à étudier que l’action. La gauche réagit davantage qu’elle n’agit, de toute façon. Elle commente, et ces commentaires me mettent de plus en plus mal à l’aise. L’écart entre les paroles et les idées se creuse, et je nous sens dédoublé·es.

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Union de la gauche, avant même de la penser, on la trouve décevante, on la trouve ridicule, on en fait des blagues sur le ton passif agressif, on l’étouffe, on se sent plus haut qu’elle, on sort la dédaigne. On a bien le droit. Je voudrais parler de l'art et de la manière, si c'est encore possible.

            Une candidate soudain parle qui n’a rien précisé encore, une dame qui dit des choses à demi et dont on ne sait rien du dessein, précise simplement ses intentions, pose ses constats, et pointe le drame qui se joue politiquement. Qui semble vouloir un élan, dont le regard est tourné vers une démarche populaire. Rien de plus pour l’instant, rien de moins.

            Il suffit de trois mots pour que tout de suite l’aigreur envahisse l’espace, pour que tout de suite on pense que les autres ne savent pas penser, qu’il faut les éclairer. Au moindre signe de petite réjouissance, à la moindre respiration qui entrevoit l’oxygène en dehors du monde pesant, il faut allumer les lanternes, rappeler que personne n’est parfait comme si c’était facile de l’ignorer, accabler de doutes ceux qui se questionnent déjà et ont posé leur joie deux minutes sur une possibilité, réduire à néant l’espoir qui ne coche pas chaque case de la perfection dès la minute où il naît. On devient agressifs, on devient méprisants, on liquéfie dans nos actes tout ce que pourtant l’on défend.

            Et il devient possible d’être de gauche mais de prendre les autres pour des cerveaux creux que l’on peut bourrer à merci, de se prendre soi pour quelqu’un qui a pensé à tout, qui a vu les défauts, les écueils, la grande histoire, ses détails, et qui doit rappeler aux autres que rien ne va et rien n’ira. Leur dire qu’il ne faut pas croire à la Mère Noël, et pour autant sembler attendre un messie tant nos impératifs sont d’une intransigeance qui confine à l’intolérance, tant nos « humanismes » ont oublié ce qu’est un être humain. Il suffit de peu pour que l’on sorte les téléphones et les tweets, que l’on cherche comment être original dans le pessimisme, comment sortir de la mêlée grâce à l’acidité, comment gerber nos angoisses et les rendre reluisantes. On tape sur le premier qui n’est pas un Jésus ambulant, on lui tape dessus parce qu’il n’a rien dit ou parce qu’il a trop dit, on lui tape dessus parce qu’il a le malheur d’être un chouia en dessous de nos fantasmes utopiques. On exige de chacun une sorte de flottement dans la pureté idéologique, quelque chose d’idéal ou rien, l’utopie ou la mort tout au premier degré. L’attente a cédé la place à la rage, et tout d’un coup on tire de tous les côtés, on en veut à ceux qui s’abaissent à faire entrer la réalité dans l’équation, on ne comprend plus le sens du mot compromis qui nous semblent tout de suite des compromissions. On enterre vivant les partants des concessions, on confond radicalité avec pureté, on se vautre allégrement dans ce que la droite aime à nous reprocher et qu’on n’ose plus se dire entre nous.

            On anéantit le futur en le reprochant déjà à des gens qui essayent et qui tâtonnent, on dicte aux autres les espérances qu’ils ont le droit d’avoir ou non, on fait mine de ne rien comprendre mais de savoir tout, on dissèque le passé à la recherche de preuves de notre fuite vers l’abîme, on aimerait que le monde soit désolant si tant est qu’on l’ait prédit avant. On ne pardonne plus les erreurs, pas plus qu’on ne tolère les évolutions. On devient essentialistes sans sourciller.

            C’est dommage, car j’aimais être d’accord avec vous. Je partageais votre envie d’interroger les vérités, mais pour en construire de nouvelles, pas pour s’enfermer dans cette considération robotique de l’espace politique. Pas pour interdire toute tentative par peur d’un désastre qui est déjà là.

            C’est dommage, car je n’avais pas envie de concéder que ce sont mes amis, mes alliés, qui font du débat un lieu d’humiliation et de caricature, des conversations des discours binaires et manichéens, placardés partout où il était possible de réfléchir.

            C’est dommage, car je pensais que les tons paternalistes et pédants ne cadraient pas avec nos ambitions, que les moyens comptaient autant que la fin et que l’empathie est une valeur cardinale pour ma gauche.

            Je ne sais pas où nous nous sommes perdus, mais j’aimerais bien vous retrouver, camarades. Parce que même si l’union n’advient pas ou peu importe qui la porte, je crois que personne ne va bien, piégé par des exigences totalitaires et des déviances aux allures de plus en plus sectaires.

            Peu importe l’issue, je crois que nous sommes dans une impasse, et que cette impasse est souterraine : elle ne concerne ni Christiane Taubira, ni l’élection présidentielle.

            Elle raconte notre manière de plus en plus droitière de faire politique, et c’est elle qui m’inquiète.

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