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Billet de blog 19 janvier 2021

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Sur le tabouret - Chronique d'une pensée suicidaire

(TW suicide) Je voulais parler des étudiant.es qui morflent, de nos jeunesses qui nous crachent à la gueule, tout ça. Mais je suis trop égoïste. J’exige que ma souffrance reste mienne, qu’au moins on lui trouve quelque chose d’original, de particulier, qui ne se fonde pas stupidement dans le décor moribond. Qu’elle frappe. Qu’on la retienne.

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SUR LE TABOURET

Est-ce que les animaux se suicident, eux ?

Je me demande si ça se lit sur le visage des quais parisiens, quand une femme va se jeter dans le vide à l’instant qui suit.

Est-ce que celle-là, celui-ci, se sentira coupable, si jamais je meurs, si jamais je meurs après avoir écrit ça, si jamais je ne meurs pas mais que je me tue ?

Je me demande combien de temps le parfum restera sur mon corps, quand ce sera mon tour, est-ce que ça existe, les cadavres qui sentent encore bon la vie ?

         Je vous avais prévenu. Celui-là est hardos. Dis donc elle y va pas avec le dos de la cuillère. Moi aussi, j’aurais souhaité autre chose, pour les premières lignes de 2021. J’aurais pu souhaiter bonne année, pour être polie. J’en ai rien à foutre d’être polie, c’est ça le problème.

         Là elle va trop loin, tu penses. Mais attends, attends, reste cinq minutes, t’en vas pas. Reste avec moi, reste dans ma tête, là où ça cogne, là où on ne se relève plus.

         Je ne sais plus quand c’est arrivé, exactement. C’était au moment où la brosse était devenue trop lourde pour le bras. C’est lourd, une brosse à cheveux. Atrocement lourd, comparé à la vie qui coule dans le bras, comprimée comme l’eau qui filtre d’un barrage.

          C’était le jour où se brosser les cheveux est devenu insupportable. Fermer les volets aussi. C’était le jour où j’ai commencé à dormir avec les volets ouverts. A cesser de faire la vaisselle. À ne plus couper les oignons. A décaler nos entrevues. A danser jusqu’à l’épuisement, parce qu’avant, il y avait ce plaisir dévastateur. Que je le cherche, désespérément. C’était le jour où j’ai cherché, oui, comment me faire plaisir, comment être violentée par l’aise du délice et de l’euphorie, comment trouer le brouillard avec des péchés extravagants. C’était le jour où je me suis jetée à corps perdu dans ce parfum, pour satisfaire au moins les sens.

         Ce n’est pas tant être triste, tu comprends. Bien sûr, que je suis triste. Boulets intimes aux malheurs de l’humanité, misère sentimentale après la misère du monde, tomber, plus bas encore, plus bas toujours, en rire, en plaisanter, être imperméable.

         C’est être imperméable qui fait mal. Qui ne fait pas mal. Qui ne fait pas. Ce n’est pas quelque chose qu’on rajoute et qui pèse lourd, c’est un signe moins, un retrait, une soustraction. Qui supprime. Qui laisse béante. Qui m’annule.

         Ce n’est pas tant être triste. Mais être rien. Être vide, être le néant et l’ennui à la fois, c’est constater la vacuité de plaisirs déplaisants, c’est se résigner face à l’aspirateur d’énergie, le laisser faire, complaisante.

         C’est dormir tout le temps. Trouver fatigant, d’être épuisée sans cesse. Trouver épuisant, la lourdeur des minutes, le poids du calendrier des bras ballants.

         C’est attendre. Attendre qu’il arrive quelque chose, provoquer, devenir monstre de défi face au trou, et malgré tout, attendre toujours ce qui ne vient pas.

         C’est se refuser les pleurs alors qu’on pleure sans arrêt. C’est rire, se perdre dans les éclats, les bouches tordues, les respirations coupées par les hoquets nerveux. C’est être ridicule et en profiter pour parler de la mort, l’inviter, subrepticement, subtilement, à rire avec les vivants. L’air de rien.

         C’est cette chose qui écrase, cette chose désespérément immobile, qui ralentit mon cœur, qui fige les battements de la vie.

         C’est se convaincre qu’on ne veut pas mourir, s’accrocher au filet d’espoir, à la partie du jeu qui peut tout peut basculer au dernier moment, s’accrocher aux signes, aux jours qui vont mieux, au rayon de soleil sur le carrelage.

         C’estne pas vouloirmourir. C’est penser à la mort des autres, à ceux qui ont sauté, qui ont fait basculer le tabouret, ceux qui se sont laissé couler au fond de la baignoire. C’est craindre, se craindre soi-même, se demander s’il y a un jour où la main devient capable, où le corps s’arme et retourne les canons vers l’intérieur.

         C’est chercher des lignes d’écoute sans jamais appeler, c’est tomber sur de l’aide et constater l’inefficience absolue, remarquer avec effroi comme iels ne sauveront personne au jour de la grande décision, découvrir avec frayeur qu’en réalité, rien ne constitue la dernière rempart « avant ». Qu’il n’y a pas de sonnette d’alarme à tirer.

         C’est être incapable de décider. C’est vivre dans un désordre permanent. Le désordre de la pensée, le désordre des habits de la veille qui s’entassent.

         C’est parler morse. S’assurer que les autres entendent la rigolade, une broutille, une discussion. Bien vérifier les modulations de la voix et du ton, bien montrer la médaille alors que tout ton être se tend vers le revers. C’est saboter ses chances d’être rescapée, allégrement.

         C’est être en pourparlers avec moi-même.

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