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1. La première mondialisation (XV-XVI). Un monde entre colonialisme et libéralisme : le commerce et la colonisation vecteurs de la mondialisation
1.1. La construction réussie du commerce colonial
Le commerce du poivre, l’un des premiers commerces, débuta en 1498, lorsque Vasco de Gama atteignit Cochin, en Inde. La compétition au sein du marché, entre les Portugais, les Indes orientales anglaises et les Néerlandais, illustre la concurrence omniprésente entre les colonies. En effet, la découverte de nouvelles terres, a été l’occasion d’imposer sa domination. C’est pourquoi, les Portugais après de multiples batailles, édifièrent leur suprématie dans l’océan indien et en Indonésie, établissant sur leur chemin une série de colonies. Notons que les Moluques, dites « îles aux épices » et le Brésil, sont devenus leurs plus grandes colonies. L’Espagne, l’Angleterre, les Pays-Bas[1] et la France, ont été les quatre autres vainqueurs de cette quête territoriale. Les Empire Coloniaux ont grandement contribué à l’essor économique de l’Europe Occidentale. Quels sont les éléments déclencheurs du développement des colonies européennes en Amériques ? Quelle a été la place de la traite des esclaves dans leur essor économique ?
L’Amérique, voit son destin basculer lorsqu’une fracture durable et mondiale apparue entre un Nord riche et un Sud pauvre. Quels sont les facteurs d’une telle rupture ? Le premier facteur, géographique, agit sur la capacité de commercer avec l’Europe. Prenons le cas des Etats-Unis (colonie britannique) et de sa côte Est, géographiquement proche de cette Europe, principal marché pour l’exportation coloniale. Le second, la démographie joue également un rôle très important, puisqu’elle agit directement sur le rendement économique. La population de l’Est des Etats-Unis a été estimée à 57 millions en 1500, contre 5 millions en 1750. En 1890, les autochtones de la côte Est étaient environ 14 697. Une si forte diminution est directement liée à l’arrivée des Européens. D’une part, les maladies (variole, rougeole, grippe et typhus) et d’autre part, les mauvais traitements, les guerres et l’esclavage, véhiculés et commis par les colons, ont décimé tout un peuple. S’ajoutant aux facteurs géographiques et démographiques, deux stratégies commerciales. Une première stratégie s’est vue déterminante dans la réussite commerciale des colonies : les matières premières (blé, farine, fer, potasse, riz, tabac, etc.). Une deuxième stratégie adoptée par toutes les colonies d’Amérique, afin de développer leur rentabilité, fut l’esclavage. Les esclaves africains moins chers que les immigrés européens se sont révélés être une main-d’œuvre idéale. Quatre millions d’esclaves africains furent importés dans les Antilles britanniques. La Caroline du Sud, importait 2 000 esclaves par an en 1740. Le Brésil, connu une explosion de son marché, lorsqu’il remplaça les esclaves indigènes par des esclaves africains. C’est alors que « le commerce triangulaire », entre l’Europe, l’Amérique et l’Afrique, explosa. Notons tout de même, qu’à des milliers de kilomètres, sur le continent africain, l’esclavage débuta bien avant l’arrivée des colons en Afrique. L’intérêt pour le pouvoir et les loisirs, ont rendu très tôt l’attrait de l’esclavage fortement tentant pour les chefs africains. Malgré une culture itinérante ancestrale, certains chefs lancèrent régulièrement des raids afin de capturer des esclaves, dans le but d’augmenter la main d’œuvre du village. Ce n’est qu’ensuite, alors que le commerce tenait une part importante en Afrique, que les Européens sont arrivés avec une multitude d’objets nouveaux, comme des habits ou des bouilloires. Alors qu’en Amérique du Nord, les Canadiens décidèrent d’échanger leurs fourrures contre ces objets ; l’Afrique de l’Ouest, elle, décida au XVIe, de délaisser son exportation d’or en Méditerranée, pour un produit beaucoup plus rentable, l’esclave.
1.2. La première révolution industrielle : l'Angleterre, un modèle de réussite économique coloniale
Si la géographie (maladies, ressources naturelles), la démographie, la culture (lecture, calcul) et les institutions (État) sont les trois piliers d’une inégalité naturelle entre pays, l’évolution technologique, elle, associée à la mondialisation et à la politique économique, détermine les causes d’une inégalité de développement. L’un des résultats de la première mondialisation est la naissance vers 1760 de la première révolution industrielle, qui marque une longue période de prospérité économique. Comme dit précédemment, l’évolution technologique, entre autres, a pour conséquence l’inégalité de développement. Le cas de l’Angleterre illustre cette hypothèse, puisque la première révolution industrielle, débuta par son invention, la machine à vapeur. Utilisée pour la première fois par une usine de coton en 1784, la vapeur fut intégrée, l’année suivante, dans une filature de coton. Courant du XIXe siècle, se fut le tour des transports ferroviaires, puis maritimes de rencontrer un souffle de modernité.
« La clé est que les machines qu’ils ont inventées ont accru l’usage du capital pour économiser du travail. Il était donc rentable de les utiliser là où le travail était cher et le capital bon marché, c’est-à-dire en Angleterre. C’est pourquoi la première révolution industrielle fut britannique. »[2]
Le commerce de l’Angleterre et des Pays-Bas avec leurs colonies, a fait accroître considérablement leur économie. À la veille de la première révolution industrielle (1760-1850), l’Angleterre, en tête, est métamorphosée. Cette dernière, connaît la plus rapide et importante urbanisation d’Europe, puisque Londres passe de 50 000 habitants en 1500, à 1 million en 1800. La part de la population travaillant pour l’industrie a doublé. Quant au taux d’alphabétisation, il bat des records en atteignant 53% en 1800, contre 6% en 1500. Notons que le reste de l’Europe est à la traîne, puisque la mondialisation, dans un premier temps, a fait avancer l’Europe du Nord et reculer l’Europe du Sud.
2. La deuxième (1840-1914) et troisième mondialisation (1970-2008) : un monde entre globalisation et protectionnisme
2.1. Alliances politiques et pactes de paix : vers une paix stratégique mondiale ?
À la veille de la Première Guerre mondiale, l’Europe Occidentale a rattrapé son retard sur l’Angleterre, et les Etats-Unis sont devenus le leader technologique mondial. En effet, l’arrivée de la deuxième révolution industrielle (1830-1910), a réactualisé les industries avec la création de l’automobile, du pétrole, de la chimie et de l’électricité. Cependant, ces évolutions technologiques n’ont fait qu’accentuer le fossé entre les pays riches et le reste du monde. Prenons l’exemple de la Russie, du Japon et du Mexique, qui en dépit de l’adoption du modèle standard de développement, ont connu une croissance économique très lente, due à un faible marché du travail, créant un résultat mitigé. D’autre part, malgré une économie florissante, l’Europe voit se profiler une guerre éminente. La preuve étant avec le discours prononcé l’été 1914 par Jean Jaurès[3], homme politique français, rempli d’inquiétude et de désaccord face à un possible déclenchement de la guerre :
« […] Je veux vous dire ce soir que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de vous adresser la parole […] voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera consommé.» [4]
Malgré tant d’engagement, l’Europe, tout entière, tombe dans le conflit peu de temps après, par un jeu diplomatique qui voit s’opposer la Triple Alliance formée par l’Autriche-Hongrie, l’Italie et l’Allemagne. Le début du XXe siècle est une période chaotique en Europe, d’abord chahutée par la Première Guerre mondiale, puis par le génocide arménien en Turquie (1915-1916) et enfin par la révolution russe de 1917, mettant l’Europe hors course. Alors, loin de ces conflits, les Etats-Unis, décident dans un premier temps de ne pas intervenir. Cependant, le commerce international prioritaire en pleine explosion économique, oblige la construction d’un équilibre mondial. C’est pourquoi le président Thomas Wilson[5], présente en janvier 1918, son programme en quatorze points, qui pourrait permettre selon lui, de poser les bases d’une nouvelle diplomatie mondiale. Les cinq premiers points font référence au commerce international, aux accords de paix et à la transparence diplomatique. Les sept points suivants traitent des tensions présentes en Europe, et proposent de faire appel à la diplomatie de chaque pays, dans le but d’amorcer un début de paix[6]. Enfin, le quatorzième et dernier point, évoque l’idée de la création d’une instance internationale, lieu de débat et de négociation entre les États. Ce n’est qu’un an après, que le pacte de la Société des Nations (S.D.N) est adopté lors d’une conférence de la paix, à Paris, avec la France, le Royaume-Uni et l’Italie. Il sera, par la suite, intégré au traité de Versailles. Malheureusement, tout comme son prédécesseur le français Léon Bourgeois, le Président Wilson, est tenu en échec, et n’arrivera pas à maintenir la S.D.N en place[7]. En outre, nous observons un effondrement du commerce mondial à partir de la Grande Dépression des années 30.
Nous ressentons à travers le discours d’investiture du Président Franklin Roosevelt[8] en 1993, les conséquences de la crise de 1929. Ce dernier expose clairement les ambitions des Etats-Unis et du New Deal, qui consiste au redressement du pays en priorité :
« Par ce programme d’action, nous nous attaquons à la remise en ordre de notre maison nationale et à l’équilibre de nos revenus […] nos relations commerciales internationales, toutes importantes qu’elles soient, viennent, pour ce qui est de leur urgence et de leur nécessité, après l’établissement d’une économie nationale saine » [9]
Cette isolationnisme va durer une dizaine d’années, jusqu’au 14 août 1941, lors de la signature de la charte de l’atlantique, proposée sous forme d’alliance totale, par le Président Franklin Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill, faisant écho à la conférence de l’Atlantique. Cette charte, composée de huit points, a pour fonction de proposer une série de principes moraux, à destination des puissances démocratiques, dans le but de rétablir la paix durable. La présence du Premier ministre britannique, auprès du Président américain est tout à fait cohérente, puisque les deux personnalités partagent le même attrait pour la sécurité et la paix internationale. Le 1er janvier 1942, la Déclaration Universelle des Nations Unies est une nouvelle fois impulsée par les deux associés et signée très rapidement par vingt-deux pays représentants, engageant les gouvernements signataires « à contribuer de la façon la plus complète à l’effort de guerre commune et à ne pas signer de paix séparée » [10]. Cinq ans plus tard, sous la présidence d’Harry Truman[11], les Etats-Unis proposent un plan de redressement, appelé Plan Marshall et accordé aux pays européens, sous forme de prêts, pour aider la reconstruction des villes détruites lors de la Seconde Guerre Mondiale. Ce plan de redressement, proposé non sans intérêt, est jalonné de renégociations politiques de la part des Etats-Unis, à l’image du cinéma, où la doctrine de la libre circulation des idées (free flow information) américaines en Europe, est imposée, sonnant le début de la culture de masse[12] et la colonisation culturelle américaine (neuf semaines sur treize au cinéma américain, contre seulement quatre au cinéma français).
2.2. Nouveau système monétaire : vers une dépendance financière fragile
Alors que l’Angleterre a été l’épicentre économique mondial depuis des décennies, la crise de 1929 associée à la Seconde Guerre Mondiale a totalement paralysée le pays. L’économie ravagée par la guerre (plus d’or, débiteur, etc.), et la crise de 1929 a entraîné une hausse du chômage. Par conséquent, le rôle international de la monnaie anglaise, devient de plus en plus compliqué à endosser. C’est pourquoi, en 1943, les autorités britanniques demandent de réfléchir à une nouvelle organisation, à travers la mise en place du plan Keynes (John Maynard Keynes" [13]). A la même période, les Etats-Unis vivent une situation contraire. Ils ont survécu à la crise de 1929, leur monnaie, le dollar, est le premier rival de la livre et ils détiennent de très importantes réserves d’or. C’est pourquoi, aucun pays membre n’a été surpris, lorsqu’à travers un nouveau plan, appelé le plan White (Harry Dexter White[14]), les Etats-Unis proposèrent la création d’un Fonds de stabilisation, nommé par la suite Fonds monétaire. Le plan White a pour fonctions d’assurer la stabilisation des monnaies et d’accorder du crédit. Il est évident à la lecture de l’Article 1, que ce plan a vocation à développer le commerce international et non à restaurer l’ordre monétaire international :
« Faciliter l’expansion et l’accroissement harmonieux du commerce international et contribuer ainsi à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel […] promouvoir la stabilité des changes […], favoriser l’établissement d’un système multilatéral de règlements de transactions courantes et l’élimination des restrictions de change qui entravent le développement du commerce mondial ». [15]
A partir du 22 juillet 1944, le plan White devient les Accords de Bretton Woods et constituent les statuts du Fonds Monétaire International (FMI). Sans surprise, malgré cette volonté de relancer le commerce mondial, les années suivantes n’attesteront pas d’une intensification significative, au vu du contexte mondial. La Seconde Guerre Mondiale est toujours présente dans les mémoires et les stigmates de la colonisation se font ressentir ; à l’image de l’Inde, désormais indépendante, qui cherche à se déconnecter des économies colonisatrices, augmentant son droit de douane de 85%. Il faudra attendre la fin des années 1960 pour assister à l’explosion des échanges internationaux et s’engager dans la troisième mondialisation.
[1] Les Pays-Bas et leurs colonies : les Moluques, Malacca, Ceylan, Cochin, Brésil, construction du Cap et de New York.
[2] Robert C. Allen, Introduction à l’histoire économique mondiale, Grands repères (Paris: La Découverte, 2014), page 41.
[3] Jean Jaurès (1859-1914) est un orateur et un homme politique socialiste français.
[4] Christophe Boutin, Les grands discours du XXe siècle, Champs classiques (Paris: Editions Flammarion, 2009) page 8.
[5] Le président Thomas Woodrow Wilson (1856-1924) est le vingt-huitième président des Etats-Unis.
[6] Évacuation du territoire russe tout entier ; évacuation et restauration de la Belgique ; libération du territoire français tout entier en lui redonnant également l’Alsace-Lorraine ; rectification des frontières italienne ; possibilité d’un développement autonome à l’Autriche-Hongrie. Et pour finir, évacuation de la Roumanie, Serbie et Monténégro.
[7] Les Etats-Unis n’y adhérent pas. L’URSS, l’Allemagne et le Japon y sont exclus en 1933. L’Italie la quitte en 1937. La Seconde Guerre mondiale débute en 1939 ; sans oublier Pearl Harbor à partir de 1941.
[8] Le président Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) est le trente-deuxième président des Etats-Unis.
[9] Christophe Boutin, Les grands discours du XXe siècle, Champs classiques (Paris: Editions Flammarion, 2009), page 42.
[10] « 1942 : La Déclaration des Nations Unies | Nations Unies », consulté le 22 mars 2017, http://www.un.org/fr/sections/history-united-nations-charter/1942-declaration-united-nations/index.html.
[11] Le président Harry S. Truman (1884-1972) est le trente-troisième président des Etats-Unis.
[12] « En 1946, à l’occasion de la renégociation de la dette extérieure avec les Etats-Unis, un accord de commerce est signé sur les quotas d’importation de films entre le représentant français Léon Blum, et le secrétaire d’Etat américain James Byrnes ». In Armand Mattelart, Diversité culturelle et mondialisation, Repères (Paris: La Découverte, 2007), page 38.
[13] John Maynard Keynes est un célèbre économiste britannique. Son œuvre majeure « Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie ", a inspiré son plan dès 1941, qu’il proposa à la Chambre des communes en avril 1943.
[14] Haut fonctionnaire au Département d’Etat, Harry Dexter White a soutenu sa thèse en 1933 portée sur les comptes internationaux de la France pendant la période de l’étalon-or.
[15] Michel Lelart, Le système monétaire international, 8e édition, Repères (Paris: La Découverte, 2011), page 29.