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Atlanta, ville du sud des Etats-Unis, est un cas d’étude intéressant, dans sa volonté d’atténuer la ségrégation urbaine omniprésente, en développant un projet hors norme, la « BetLine Transportation ». Quels sont les enjeux ? Quelle sera la place du citoyen ? Quels changements quotidiens ce projet innovant prévoit-il ?
1. Atlanta et la ségrégation urbaine

Atlanta se situe en Géorgie, ancien Etat esclavagiste du Sud. Les conflits raciaux y sont encore très présents et visibles, entre autres, par l’organisation socio-discursive des populations. Le plan du « Metropolitan Atlanta Rapid Transit Autority » (fig. 1), que nous pouvons comparer au RER ou TER, est représentatif de ce problème. Sur la « Blue line », se trouve en majorité la population afro-américaine et les ghettos composés presque exclusivement d’afro-américains. Au nord des « Red line » et « Gold Line », se situe la population blanche. Nous trouvons tout d’abord au sud de la « Red line » et « Gold Line », les latinos, puis les afro-américains, puis la population blanche. Cette description semble très généraliste, néanmoins, cette dernière est fidèle à la réalité. C’est la raison pour laquelle les infrastructures, les commerces, les routes, les voitures, la végétation, etc., se modifient rapidement et radicalement lorsque vous êtes en mobilité :
« Quatre heures plus tard, nous sommes dans la voiture en direction du Nord de la ville. Nous allons chez Fred. J’ai passé des heures à déambuler dans Atlanta, mais pour la première fois un phénomène me frappe ; l’organisation de la ville :
— Esther, c’est incroyable. Tu as vu le changement d’atmosphère entre chez nous et ici ?
— Oui, je t’explique. Tu imagines une croix. Au centre de cette croix se trouve Downtown. Sur la ligne horizontale (ouest-est), on trouve les ghettos. Comme tu le sais, en général, aux Etats-Unis les ghettos sont habités par les noirs. Maintenant, tu prends la ligne verticale (nord-sud). Au nord se trouvent les blancs, et c’est là que nous allons. Du centre au sud, se trouvent d’abord les latinos, puis les noirs, puis les blancs.
— Donc, là on passe de noirs et blancs, de ghettos à résidentiels ?
— Oui, observe. Les routes ne sont plus les mêmes. Il y a des arbres. Ce sont des magasins haut de gamme ; et surtout Solenn, il y a des trottoirs ! Tiens, regardes le club privé sur ta droite. Il y a un terrain de golf, des voitures de luxe et il y a uniquement des blancs.
En l’espace de cinq minutes, j’ai observé la couleur de peau des conducteurs que je croisais. Huit blancs, pour un noir et un latino. Mais pourquoi une telle différence ? Dans les voitures plus de musique, fenêtres fermées. Une multitude de questions se bousculent dans ma tête. Pourquoi en 2013 encore et toujours séparer les races et les communautés ? Nous sommes définitivement plongées dans les travers de la Georgie, l’État du Sud par excellence. Je critique jour et nuit la France, mais je me rends compte que nous avons de longues années d’avance. »[1]
Cet extrait du récit citoyen (base de réflexion de la thèse en cours de construction), illustre cette ségrégation raciale omniprésente à Atlanta. Il faut également prendre en compte le manque d’efficacité des transports publics. MARTA n’existe que dans le centre de la ville, les arrêts de bus sont rares et de plus en plus absents, et les stations de trains, se situent pour la majorité d’entre elles, dans des zones désertées ou lointaines des Hoods (ensemble d’habitations privées). La raison de cette carence est explicable. Le gouvernement américain, accompagné des plus grands patrons et actionnaires du pays, ont décidé il y a maintenant plus d’une dizaine d’années, d’éloigner encore un peu plus les zones d’habitations et de supprimer petit à petit les transports publics, afin d’augmenter les ventes de voitures et donc d’accélérer l’économie automobile du pays. De plus, marcher, utiliser les trottoirs, faire du vélo est culturellement « honteux » en Géorgie, car ces actions dévoilent des problèmes financiers. Pourquoi marcher ou faire du vélo si l’on a une voiture ? D’ailleurs en dehors de « downtown et midtown » (centre et proche centre), aucun trottoir n’est construit. En définitive, pour pouvoir se déplacer, il faut absolument utiliser la voiture. Cependant, la ville d’Atlanta est représentative du territoire américain : peu importe la destination, le temps de circulation sera d’au moins quarante minutes. Il faut également prendre en compte la vitesse maximum sur les routes périphériques et principales : 65 mph, soit 105 km/h.
2. Le projet « Atlanta betline transportation »

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En 1999, Ryan Gravel, thésard de Georgia Tech University, décide d’atténuer cette ségrégation urbaine en proposant de lier plusieurs quartiers de la ville par le biais d’un nouveau système de transit, en réutilisant un ancien réseau ferroviaire de marchandises laissé à l’abandon. C’est à partir de sa thèse que le projet d’Atlanta BeltLine a vu officiellement le jour en 2014, avec l’appui des citoyens, ainsi que celui des dirigeants de la ville, dans une volonté commune de rendre Atlanta plus intégrée en termes de transports, espaces verts et croissance durable. À long terme, le rayonnement du tramway sera de 22 miles, soit 35,4 km et connectera 45 quartiers entre eux. Le long de cet élément principal, 53 km de voies piétonnes et cyclables verront le jour, rendu possible grâce aux 3 000 hectares de terrains, 1 100 hectares de friches industrielles réhabilitées et aux 1 300 hectares de forêts (fig. 2). Centralisés autour de ce nouveau réseau de transport, 5 600 logements sociaux seront également construits. L’objectif du projet est tout d’abord d’améliorer le quotidien des citoyens et décloisonner les communautés en reliant des quartiers et des zones géographiques délaissés ou très mal desservis, et ceci par l’utilisation du tramway. Les porteurs du projet ont également la volonté d’inscrire le paysage de la ville dans un développement durable en préservant le patrimoine de la région par la création et la rénovation de dizaine de parcs. Le développement de l’art est également devenu central à travers des événements publics quotidiens. À noter que 30 000 emplois permanents seront créés, ainsi que 48 000 emplois dans la construction pendant un an. La fin de ce chantier gigantesque est prévue en 2030. Jusqu’ici 4 parcelles ferrées et 6 parcs sont ouverts et certains logements sociaux sont déjà habités. La société Atlanta BeltLine (Inc. ABI), qui gère la planification, la conception et la mise en œuvre du projet, étant désireuse de progresser étape par étape, se voit dans l’obligation d’effectuer de nouvelles recherches de financements à chaque nouvelle avancée ; financements octroyés par le Gouvernement Fédéral, l’Etat, la localité et des sources privées. C’est la raison pour laquelle, lors du second tour de la campagne de financement de la « Federal TIGER II funds » (fondation TIGER) - faisant parti du département américain du programme « TIGER transport » - qu’Atlanta a présenté un dossier de financement à hauteur de 72 millions de dollars, afin de construire 4,6 km de voies ferrées.
“The beauty of the Atlanta BeltLine is that it offers not only modern conveyances and exciting new development, but it is a living, breathing part of our community; not simply a means of getting somewhere, but a destination unto itself.”[2] Comme l’illustre cette phrase provenant du site internet official d’Atlanta BeltLine, la communication est maîtrisée, le projet est lancé. Néanmoins, une question persiste. Les citoyens sont-ils réellement prêts à accueillir tous ces changements ?
[1] Solenn Tenier, « Experientia », Récit citoyen. 21 août 2013, Atlanta.
[2] «La beauté de l’Atlanta BeltLine réside dans le fait qu’elle offre non seulement des moyens de transport modernes et de nouveaux développements passionnants, mais qu’elle fait partie intégrante de notre communauté; elle n’est pas simplement un moyen de se déplacer, mais est une destination en soi ».