Entendu hier soir, lundi 3 juin 2024, sur le journal d'ARTE (de mémoire) : "à l'instar de la Stasi, le Hamas avait établi des listes d'homosexuels et de personnes pratiquant l'adultère".
Concernant la Stasi, cela est faux. (Pour le Hamas, cela correspond à son idéologie). La Stasi avait pour mission de surveiller les personnes faisant preuve - ou pouvant faire preuve - de "diversion idéologique", en bref les ennemis du pouvoir, réels ou potentiels, voire imaginaires. On le sait, on l'a assez dit, elle ne faisait pas dans le détail et ratissait large (les dossiers d'écrivains loyaux au régime comme Anna Seghers ou Stephan Hermlin ont l'épaisseur de dossiers d'authentiques dissidents.) Si, parmi tous ces "suspects" se trouvait un homosexuel ou un époux qui trompait sa femme/ ou l'inverse, cela était noté, mais un peu comme le reste: les rapports de la Stasi fourmillent de détails insignifiants, suivant en cela les principes de tous les services de renseignement, à savoir "qui sait? ça peut toujours servir un jour". Si on prend le cas du théoricien de la littérature Hans Mayer, ami du philosophe Ernst Bloch (Principe Espérance), dont la Stasi savait l'homosexualité, d'après son dossier elle aurait essayé de lui mettre un informateur dans les bras, mais il me semble me souvenir qu'il se serait méfié (j'ai travaillé sur son dossier il y a quelques vingt ans). Pour ce qui est de l'adultère, elle a pu s'en servir pour faire de la femme - ou du mari - trompé(e), son agent. On s'est beaucoup servi du cas d'un couple de dissidents célèbres ("IM Donald") pour répandre l'idée que les couples s'espionnaient etc, cela a été beaucoup exagéré comme on le sait aujourd'hui où le besoin de ragots croustillants, s'est un peu dissipé. De même l'histoire des "Romeo", ces fameux séducteurs/séductrices d'étrangers, pour avoir quelque réalité, n'en a pas moins été largement popularisé par le récit du chercheur britannique Timothy Garton Ash, qui découvre en lisant son dossier, que la fille avec laquelle il couchait dans le fameux hôtel-lupanar Berlin situé Alexanderplatz, avait tiré les rideaux pour informer la voiture balisée au pied de l'hôtel qu'elle avait pris le pigeon. Quel benêt!!! Il imaginait que la fille que l'entraînait dans cet endroit-là le faisait pour ses beaux yeux??? Son livre, pas bien gros et en anglais, est devenu livre de référence sur la Stasi... Je le dis, non sans amertume puisque celui que je publiais au même moment était écrit dans une langue rare - le français - et qu'il comprenait près de 300 pages, mais pour qui connait l'allemand, la production académique sur la question est considérable et bien supérieure aux aventures du malheureux/bienheureux TGA qui restent 20 ans après toujours en tête de liste!
Mais pour ce qui est de l'homosexualité, la Stasi n'a pu s'en servir qu'avec davantage de précaution que le MI5 et MI6 de Sa Majesté. Pour une raison très simple, c'est que la RDA hésitait à recourir au paragraphe 175 qui la criminalisait en Allemagne, avait été combattu par le Parti communiste allemand et fut à l'origine de la déportation/mort de nombreux homosexuels sous le 3e Reich. Cela aurait rappelé de mauvais souvenirs... Ce paragraphe a finalement été aboli en 1968, bien avant la RFA. Qui elle-même hésitait pareillement à s'en servir, mais non ses services secrets, dont les archives sont plus difficiles d'accès que celles de la Stasi. Le paragraphe 175 ne fut aboli qu'en 1994 lorsqu'il fallut harmoniser les lois sociales entre les deux Allemagnes.
Alors de grâce, ne mettons pas un signe d'équivalence entre les pratiques de fichage de la Stasi et celles du Hamas!