30 septembre 2027. Nous sommes là, tous les six assis dans l'herbe sous un arbre centenaire. On ne se parle pas, on contemple ce nouveau monde. Il fait doux. Il y a le silence et une forme d'apaisement, de quiétude mêlée d'une crainte quant à ce nouvel avenir incertain. En quelques mois, tout a basculé. Douze mois. Il n'avait fallu qu’un an pour observer la fin du monde, la fin de LEUR monde.
Avant cela, nous vivions dans un système qui avait normalisé la guerre, les génocides, le racisme, l’appropriation des moyens de production, la concentration des richesses au main de quelques milliardaires, l’exploitation infinie des ressources dans un monde fini. On avait appelé cela le Capitalisme. L'humanité pensait qu'elle était en dehors de la nature. Certains se pensaient supérieurs à elle, pouvant éradiquer humains, plantes et animaux au nom de la sacro-sainte croissance.
C’est dans ce monde-là que j’ai vécu. Alors, j’écris notre histoire pour les générations futures. Pour que l’on n’oublie pas qu’à un moment dans l’Histoire de l’humanité, certains Hommes ont voulu, par cupidité et vanité, dominer et anéantir le vivant. Mais ça, c’était avant. Avant que nous ne vivions un basculement aussi bénéfique que brutal. Les journalistes et les scientifiques de tous les pays ont appelé ça : l'Événement.
Chapitre 1 :
Au commencement.
Jour 1.
1er septembre 2026. Quartier Bastille. Je rejoins mon amie Betty dans un petit restaurant Libanais. Elle est assise au bar sur un tabouret haut perché. Je suis à la bourre et elle a déjà commandé pour moi une assiette de mezze. On parle de mon nouveau job, du gars qui lui plait et qu'elle aimerait bien revoir, du déménagement imminent d'Audrey et Stef dans le sud, de la dernière soirée où Fred a giflé un faf. On rit. Alors que nous sommes prises dans nos conversations ô combien passionnantes, un homme affolé entre dans le restaurant et gueule :
- Édouardo ! Allume la télé, il se passe un truc pas normal.
Il s'adresse au patron, ce dernier s'exécute dans la seconde. BFM - Flash spécial : « Javier Milei, président de l'Argentine, est mort foudroyé ». Je chuchote à Betty. « Moins d'une chance sur un million. Pour une fois la foudre frappe au bon endroit. » Elle éclate de rire. Je regarde Edouardo, qui m'a entendue. Il esquisse un sourire. D'un air moqueur, il balance à son interlocuteur :
- Putain tu m'as fait peur Christian, j'ai cru qu'il se passait un truc vraiment grave.
- Non non ! Tu ne comprends pas... monte le son.
La voix grave du dénommé Christian tremble. Il semble terrorisé. Nous ne sommes que six clients dans le petit restaurant et à ce moment-là nous avons tous posé notre fourchette et nous sommes massés devant l'écran plat. Edouardo monte le son. Flash spécial : « Nous venons d'apprendre que le Président des États-Unis, Donald Trump, a fait un AVC en plein direct, il a été transporté d’urgence en soin intensif. Nous n'avons pour l’heure pas davantage d’information à vous communiquer ». Je reste figée. Non pas que la nouvelle m'attriste mais quelle était la probabilité pour que deux Présidents facistes soient victimes le même jour d’accidents rares ?
- Attendez... c'est pas fini, je reçois des notifications en masse de nombreux médias ! s'exclame l’un des client.
La présentatrice de BFM est dépassée. « Chers auditeurs, je ne sais pas ce qu'il se passe, je reçois les dépêches les unes après les autres. Nous venons d'apprendre à la rédaction que le yatch de Vincent Bolloré a coulé en mer Méditerranée, emportant avec lui le milliardaire et ses convives. Seuls les membres de l'équipage ont survécu. D'après les témoignages des survivants, le bateau s'est fait surprendre dans la nuit par un terrible orage. » La présentatrice marque un temps de silence. Elle chuchote en tenant son oreillette : « non ce n'est pas possible, c'est une mauvaise plaisanterie ? » Après un silence – qui m’a semblé durer une éternité – et un teint ayant viré au blanc, elle annonce : « Crash du jet privé présidentielle, le Président est mort. Le jet effectuait un trajet Paris-Washington afin que le Président de la République Française s'entretienne avec Donald Trump sur les investissements immobiliers du projet colonial "Gaza Riviera". À cette heure, nous ne connaissons pas les raisons du crash ». Je m'assoie. Mes jambes ne me portent plus. Tout ceci me semble irréel.
- Ça va Clara, tu veux un verre d'eau ?
- Non. Là il me faut un shot de rhum Betty. Ça ne fait que commencer...
Je ne pensais pas si bien dire. En revanche, je ne sais pas pourquoi j’avais prononcé cette phrase. Ça ne fait que commencer. Le Président était mort. En France, conformément à l’article 7 de la constitution, si un président meurt, c'est le président du Sénat qui prend le relais jusqu'à l'organisation d'une nouvelle élection présidentielle. Elle doit intervenir au minimum 20 jours et au maximum 35 jours après le constat définitif par le Conseil constitutionnel de la vacance du pouvoir. Les hommages à Emmanuel Macron ont donc été de courte durée. Après les larmes de crocodile des leaders des partis et de leurs laquais, guidés par l’odeur du pouvoir, les politiques ont repris leurs vieux réflexes électoralistes. L’élection présidentielle aurait lieu début octobre 2026. Ça, c’est que l’on croyait tous… mais rien n’allait se passer comme prévu.
Une hécatombe. Jour 30.
Nous étions fin septembre et malgré les bouleversements survenus au début du mois, la vie suivait son cours. Le Capitalisme était résilient. Rien ne le perturbait, pas même la disparition de ses fervents défenseurs, il y avait toujours un trou du cul néolibéral pour prendre la place d’un autre trou du cul néolibéral dans le coma ou mort. L’élection présidentielle approchait à grand pas. Et sur toutes les chaines d’information c’était le défilé habituel : immigration, insécurité, ensauvagement, pouvoir d’achat, croissance, dette publique. Audrey éteint la télévision. Elle se retourne et me regarde d’un air consterné :
- Bordel ! Je ne comprends pas. Pourquoi les médias mainstream ne se posent pas la question de savoir ce qu’il s’est passé au début du mois ? Milei, Macron et Bolloré sont morts, Trump est dans le coma… et c’est comme si ça n’avait pas d’importance. C’est quand même bizarre qu’en même pas 24 heures des phénomènes météo ou des maladies aient décimé quatre des plus grands connards de la planète.
- Dédé, je ne vais pas t’apprendre à toi que les chaines d’information ne sont que des outils de propagande destinés à faire perdurer le système tel qu’il est. On ne saura jamais la vérité sur ce qu’il s’est réellement passé. Et le peu de scientifiques ou de journalistes indépendants qui se posent des questions sur les probabilités statistiques que de tels accidents aient lieu en un laps de temps si court sont traités de « complotistes ».
Elle avait hoché la tête, et nous nous étions levées pour finir de préparer le dîner. Le soir-même nous avions prévu un repas entre potes, alors nous nous affairions dans sa cuisine à terminer les derniers préparatifs. Betty était arrivée la première, suivi de près par Fred et Germain. Mais à 20h, alors que nous avions commencé l’apéro, Stef, le mari d’Audrey, n’était toujours pas arrivé. Étrange, il lui avait envoyé un texto une heure auparavant lui disant qu’il était sur le trajet. Elle l’appelle une première fois, échec… problème de réseau. Seconde et troisième tentative : échec. À la quatrième c’est la bonne, il décroche. Audrey met le haut-parleur pour avoir les mains libres pendant qu’elle dresse la table :
- Mais t’es où ? On t’attend…
D’une voix haletante, comme s’il tapait le plus gros sprint de sa vie, Stef lui répond :
- Audrey, ne pose pas de question, allume les infos, j’arrive le plus vite possible.
Germain se précipite vers la télécommande. Nous n’en croyons pas nos yeux, sur LCI, le bandeau affiche : « Le PDG de Total a été victime d’un glissement de terrain ». D’un air grave, le présentateur annonce : « Suite à des fortes pluies, la berline de l'homme d'affaire qui se rendait dans son chalet dans les Alpes, a été ensevelie par un glissement de terrain. Les secours n’ont rien pu faire. Il est mort d'asphyxie. »
POP. Fred vient de déboucher une bouteille de champagne. Il nous regarde un sourire au coin des lèvres :
- Encore un de moins… ça se fête non ?
Je souris. Mais pas le temps de boire la première gorgée du breuvage. Stef, le front dégoulinant de sueur, arrive en trombe dans l’appartement.
- Vous avez vu pour Musk ?
Betty, interloquée, lui lance :
- Non… Quoi Musk ? On a vu pour le PDG de Total mais pas Musk…
- Quoi le PDG de Total aussi ?
- Aussi quoi ?
C’est la confusion générale. On change de chaine. La présentatrice de BFM fait exactement la même tête qu’il y a 30 jours : mine décrépie, teint d’un blanc immaculé. « À ce stade, tout ce que je peux vous dire c’est l’information qui a fuité dans le New York Times il y a une heure : Elon Musk va se faire amputer des jambes et des bras. Nous ne connaissons pas les causes de cette intervention chirurgicales ».
- Whaaaat ? Mais c’est ouf. S’exclame Fred qui boit cul-sec son verre de champagne.
Audrey me toise et lance :
- Tu vois, je te l’avais dit, ce n’est pas normal tout ça. On ne peut pas faire comme si ces événements n’étaient pas liés entre eux.
- Non mais Audrey, tu ne vas pas chialer pour ces connards quand même… lui rétorque Fred.
- Audrey a raison. Ce n’est pas une question de « chialer pour la mort de ces connards », mais statistiquement c’est quasiment impossible qu’ils meurent tous de maladies ou dans des catastrophes naturelles les uns après les autres et dans un délai aussi court.
Stef se tourne vers moi et me dit en souriant :
- Clara, tu veux que je fasse une simulation informatique pour voir les probabilités statistiques que tous ces événements arrivent en 30 jours ?
- T’es con. Bon. J’ai faim. On passe à table ?
- Ok ! Mais on laisse la télé en fond sonore, je ne voudrais pas rater en direct la mort accidentelle d’un autre capitaliiiiste… balança Fred en chantonnant.
Fred avait vu juste. Alors que nous arrivions au dessert, le regard de Betty s’était posé sur l’écran. Elle semblait figée, aucun son ne sortait de sa bouche, seul son doigt pointé vers la télé nous avait donné un indice sur ce qui était en train de se passer. Netanyahou était mort. Enfin ! Après cela, tout s'était enchaîné très vite. Au fil des heures, alors que nous zappions frénétiquement d’une chaine d’information à l’autre, les milliardaires et les politiques succombaient les uns après les autres dans des catastrophes naturelles, mouraient de virus, de maladies... eux qui avaient – trop – souvent été épargnés.
Cette nuit-là, nous n’avons pas dormi. Dès lendemain , les actions des entreprises du CAC40 et du Dow jones étaient en chute libre. La semaine qui suivit, des traders désespérés s'étaient jetés du 36ième étage, du 42ième ou s'étaient tirés une balle dans la tête dans des tours de verre à Londres, à New York et à Paris. On aurait dû leur dire que ça n'en valait pas la peine, qu'un autre monde était possible, que les actions n'étaient que des chiffres sur un écran. Dans les rues du monde entier, il n'y avait ni liesse, ni tristesse, ni émeute. La sidération... sûrement. Le temps était venu : les scientifiques du monde entier étudiaient, disséquaient cette hécatombe qui avait tout de (sur)naturelle. Ils avaient appelé cela : The Event. L'Événement. Et plus aucun média ne les traitait de « complotistes ».
À suivre…

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