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Billet de blog 3 octobre 2025

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Tu m'as dit "va à Gaza et reste là bas"

Tu m'as dit "va à Gaza et reste là bas". Mais William si j'y vais, tu viendras avec moi...

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Tu m'as dit "va à Gaza et reste là bas". Mais William si j'y vais tu viendras avec moi. Ce n'est pas une proposition, c'est un ordre. Je te traînerai de force dans les ruines, je t'obligerai à marcher dans les décombres d'un territoire rasé à 90%. Comme tous les Gazaouis tu te réveilleras en sursaut sous le fracas de 300 bombes quotidiennes qui déchiquètent les chairs. Je t'empêcherai de te boucher le nez et de fermer les yeux à la vue d'un charnier. Nous vivrons l'enfer ensemble William. Mais j'ai peur, je suis terrorisée car contrairement à toi je sais ce qu'il se passe là bas. C'est un génocide et ce n'est pas moi qui le dit William c'est l'ONU, ce sont les images des corps décharnés, ensanglantés, mutilés, ce sont les humanitaires et les journalistes sur place... enfin ceux qui sont encore en vie. Car ils sont plus de 600 à avoir été assassinés par l'armée israélienne. 

Tant que tu es confortablement installé dans ton canapé, à des milliers de kilomètres des massacres, je t'entends rire. Probablement tu pourrais me citer Enthoven : "Il n’y a aucun journaliste à Gaza. Uniquement des tueurs, des combattants ou des preneurs d’otages avec une carte de presse". Ou me citer un éditorialiste de Cnews qui matraque à chaque minute que tous les arabes et les musulmans sont des terroristes. Tiens ! Nous amenerons Raphaël et un éditorialiste  avec nous, ça te fera des compagnons avec qui partager tes propos négationnistes pendant que nous éviterons les tirs et les bombes tout en essayant d'oublier nos ventres tiraillés par la faim et nos gorges sèches. 

Tu sais avec qui nous pourrions aller là bas, là où règne la faim, la terreur et la mort ? Avec les journalistes du Point. Tu sais pourquoi William ? Parce qu'ils ont écrit une chronique "humoristique" sur la Flotilla pour Gaza qui te ferait sûrement marrer. Ils ont imaginé un "journal de bord (imaginaire) " d'un membre de la flottille et ils ont titré : "Attention, tout ceci n’est que pure fiction, aucun activiste n’a été noyé pendant l’écriture de ce texte." Chez le Point, ils se marrent bien entre deux chroniques de Bérengère Viennot et de Sophia Aram. Ils rient des civils qui tentent de briser un blocus humanitaire et de dénoncer la famine à Gaza. Ils rient des viols répétés du droit maritime et du droit international par Israël. Et je me dis qu'un petit séjour dans l'odeur de la poudre et de la putréfaction les ferait peut-être moins rire (mais je ne suis pas certaine de cela). 

Mais comme tu t'en doutes William, nous n'irons pas là bas. Je suis flattée que tu aies tant surestimé mon courage. Je ne suis pas capable d'embarquer dans une flotille direction Gaza, je ne serai pas capable de surmonter la peur et la tétanie qui m'assailleront lors d'une attaque de drône israélien, je ne serai pas capable de gérer mon angoisse lorsque l'armée d'un État génocidaire fera irruption sur le bateau et me kidnappera, je ne serai pas capable de supporter la torture et leur prison. Le seul courage que j'ai est celui de manifester et d'écrire et cela t'a suffit, William, pour vouloir m'envoyer mourir à Gaza.

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