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Billet de blog 7 octobre 2025

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Privilégiés de la République : les vrais assistés.

Comment gagner 28000 euros en 14h sans ne rien faire et en toute "légalité" ? Comment ne pas payer 30 000 euros de hors forfait ? Comment se saper pour 84 000 euros sans toucher à son porte-monnaie ou manger pour 100 000 balles ? Comment collectionner les casseroles judiciaires en continuant de se gaver ? Bienvenue dans la République des privilégiés : les vrais assistés.

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Illustration 1

Les éphémères ministres du gouvernement Lecornu toucheront une rémunération. En vertu du droit en vigueur – règle issue de l’ordonnance de 1958 – ils bénéficient aussi d’une indemnité de fin de fonctions équivalente à trois mois de salaire, soit 28000 brut. "Pour bénéficier de cette indemnité, deux conditions doivent être remplies : l’ancien ministre ne doit pas reprendre une activité rémunérée (par exemple, un mandat parlementaire ou un poste dans le privé) pendant ces trois mois, et il doit avoir déclaré son patrimoine et ses intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ". 14h à ne rien foutre et potentiellement 28000 € d'argent public. Pour le commun des mortels, si une personne est rémunérée sans fournir de travail effectif, créant ainsi un déséquilibre économique et moral : on appelle cela un emploi fictif. Mais pour nos ministres éphémères, une loi d'exception vient à la rescousse : il serait dommage que nos élites politiques ne bénéficient pas de privilèges consistant à se gaver d'argent public... légalement. Ce qui est extraordinaire dans cette affaire, c'est que ce sont les mêmes qui ont et iront qualifier les personnes au chômage ou au RSA d'assistés. Ce sont les mêmes privilégiés qui tapent sur les migrants fuyant la misère ou la guerre, risquant leur vie en mer, et qui se verront qualifier de "profiteurs du système". Mais quand bien même nos élites assistées renonceraient à cette indemnité de 28000 euros pour 14h de NON-TRAVAIL, je n'ai pas fini de lister, ici, l'ensemble de leurs privilèges et de leurs abus. 

   Depuis quelques années, c'est un défilé. En manteau Burberry, en robe Dior, le tout agrémenté de sacs à main Gérard Darel. Et non je ne parle pas de la fashion week. Je parle d'Anne Hidalgo. Celle qui a le coeur à gauche mais le porte monnaie à droite... enfin NOTRE porte monnaie plutôt, le sien est rangé au fond d'un placard juste à côté de sa politique de gauche. Sur le site internet de la ville de Paris, on pouvait lire : « Anne Hidalgo a fait de la déontologie et de la transparence de la vie publique un acte fort de sa première année de mandature ». Ah. Et pourtant les refus systématiques de transparence de la maire de Paris sur l'utilisation de l'argent public nous racontent une autre histoire. Cinq ans de bataille judiciaire pour consulter les notes de frais et de déplacement engagés par la maire de Paris lors de l’année de l’obtention de l’organisation des Jeux olympiques. Deux ans de bataille pour trois associations pour obtenir ses notes de frais de restauration et de représentation pour l’année 2020. 84000 euros de vêtements de luxe en 4 ans. Entre 2020 et 2023, 125000€ de voyages dont Tahiti, 60000€. Lors de ce voyage, en partie d'agrément, elle avait demandé à ses équipes de poster des vidéos d’elle laissant penser qu’elle était à Paris. Sur place la maire de Paris n'a pas honoré son rendez-vous sur le site olympique. Et enfin son hors-forfait téléphonique s'est élevé à 30 000 euros. Et les notes de frais consultées par Médiapart sont incomplètes.

   Il y a quelques mois, nous prenions connaissance de l'appétit vorace de Monsieur Wauquiez. Commençons par citer un tweet de cet énergumène, daté du 30 août 2025, afin de bien comprendre l'ampleur de son cynisme et de sa mauvaise foi : "Plutôt que de faire sauter 2 jours fériés, et si on s’attaquait aux 365 jours fériés de ceux qui profitent et ne font rien ? Je demande au Premier ministre d’arrêter sa mesure sur les jours fériés et que l’on aille chercher les économies sur la fraude et l’assistanat." Mais dites donc Laurent, seriez-vous amnésique des mets gastronomiques dont vous vous êtes délectés au frais du contribuables ? Vous qui aviez refusé pendant 4 ans de transmettre vos notes de frais : un viol pure et simple de la loi. Le 23 juillet – soit une semaine avant votre tweet sur les "profiteurs" – la plus haute juridiction administrative a confirmé que la région Auvergne-Rhône-Alpes devait appliquer la loi et se montrer transparente sur les dépenses de ses élus. Mais grâce à Médiacités, nous avons déjà quelques éléments sur les montants en euros passés par votre système digestif :
5140€ : déjeuner d'affaire avec 3 journalistes de Valeurs actuelles. Laurent nourrit bien la presse xénophobe. 
2148€ : repas avec Houellebecq.
3600€ : dîner avec quatre membres du Conseil d'État.
100 000€ : dîner de 90 convives. 
Chaque fois, les contribuables ont payé des repas à plus de 1000 euros par personne (sauf pour les membres du Conseil d'état qui semblent mériter moins de dépenses que les suprémacistes de Valeurs Actuelles).

   Laissez-moi m'attaquer à la papesse du privilège. J'ai nommé Madame Rachida Dati. Bien que pour elle tout ne soit pas passé comme prévu. La Cour des comptes a refusé au total pour près de 190 000 euros de dépenses pour la période allant de 2007 à 2010. 9000 euros de dépenses indues : foulards Hermès, achat de vêtements de luxe , de consommation de boissons ou de repas, d'achats de pâtisserie, de journaux, de produits de pharmacie, mentionné sous un bordereau "frais de réception et de représentation". Puis il y a eu cet oubli malencontreux : la ministre de la Culture démissionnaire avait "omis" de déclarer à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) une trentaine de bijoux d’une valeur totale de plus de 600 000 euros. Oups. Mais il y a pire : celle qui veut se présenter à la mairie de Paris collectionne les casseroles judiciaires. Encore un des nombreux avantages accordés à nos élites : des années de profits et d'impunité. On va les lister ici pour bien se rendre compte de l'ampleur du phénomène : 
- Affaire Carlos Ghosn. Mise en examen pour « corruption passive par personne investie d'un mandat électif public au sein d'une organisation internationale », « trafic d'influence passif » et « recel d'abus de pouvoir ». 
- Un conflit d'interêt manifeste : selon les révélations du « Nouvel Obs » et de l’émission « Complément d’enquête », la ministre de la Culture a été rémunérée près de 300 000 euros par GDF Suez (devenu Engie) lorsqu’elle était députée européenne  alors qu’elle multipliait les prises de position favorables au secteur gazier. Elle avait toujours nié ses liens avec l'entreprise. 
- L'affaire Benabderrahmane et les liens avec le Qatar : une source a confié que Dati aurait perçu 600.000€ du ministre du Travail qatari, Ali Bin Samikh Al-Marri - impliqué dans le Qatargate, une affaire de corruption au Parlement européen - afin de financer sa campagne pour la mairie de Paris en 2020.
L'ex ministre de la culture peut compter sur la grande mansuétude de la justice à l'égard des élites : son procès pour corruption n'aura lieu qu'en septembre 2026 soit 6 mois après les municipales auxquelles elle souhaite se présenter. Comme dirait le magazine Les Échos : "du répit pour Rachida Dati". Le "parti des honnêtes gens" continuera donc sa tournée dans les tribunaux devant une foule en délire ! Ils y chanteront leurs tubes à succès : "nous, les bourgeois innocents", "victimes des juges rouges", "La prison c'est pour les gueux", "l'État de droit c'est pas c'que tu crois" ou le fameux "Si tu enquêtes, je t'arrache ta bonette". 

   Puis il y a eu cette séquence lunaire sur BFM avec la maire LR, du cossu 8ème arrondissement, venue nous expliquer qu'en cinq ans, elle a dépensé 35.779,65 euros, principalement pour sa garde-robe et je la cite : "On me montre partout depuis trois jours, avec cette image de maire toujours bien sapée, toujours élégante, mais je suis maire du 8e arrondissement. Chaque maire a une enveloppe de 990 euros par mois et chaque maire peut la dépenser comme il veut. Moi, j'ai préféré m'acheter des fringues pour être bien sapée". Et accrochez-vous où vous le pouvez en serrant les dents, elle finit son interview par : " Je profite de l'occasion pour remercier tous nos concitoyens et concitoyennes qui travaillent et qui nous permettent d'avoir ces indemnités." Oui, de rien Jeanne et de toutes façons ce n'est pas comme si on avait demandé leur avis aux contribuables. À l'instar de Thomas Porcher, économiste invité sur le plateau, je suis passée par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Derrière cette pretendue sincérité, on perçoit toute l'étendue de la déconnexion des élites. À l'heure où les multiples gouvernements (Bayrou, Lecornu, etc...) envisagent de voter le pire budget d'austérité visant les plus précaires en prenant pour prétexte l'histoire d'un pays surendetté afin de réaliser 44 milliards d'euros d'économie pour 2026, quand nos élites, elles, continuent de dépenser l'argent du contribuables à tort et à travers. Alors que ce budget fait peser sur les citoyens les menaces suivantes : doublement des franchises médicales, année blanche, suppression de 3 000 postes de fonctionnaires, réforme de l’assurance-chômage, projets attaquant le Code du travail et le 1er-Mai. Et le tout sans remettre en question la conditionnalité sociale et environnementale des 211 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises privées. Et si vous avez le malheur d'évoquer la taxe Zucman – cet impôt plancher de 2 % sur les très grandes fortunes – pour un minimum de justice sociale et fiscale, le MEDEF menace d'une grande mobilisation patronale. Hâte tout de même de les voir se mettre en grève pour que l'on constate à quel point cela n'aura aucun impact sur la productivité et la croissance. Bref, on ne touche pas aux privilèges des élites même si cette taxe ne concerne que 1 800 foyers fiscaux... solidarité de la classe bourgeoise oblige !

  Voilà. Je vais bien avoir deux ou trois abrutis de "l'Amicale des bourgeois en colère" pour venir se fendre d'un "t'es jalouse" tout en évitant soigneusement d'argumenter sur les inégalités systemiques et sur cette monarchie présidentielle qui se cache derrière le doux nom de Vième République. J'ai pris quatre heures pour écrire ce billet. Quatre heures où je n'ai pas suivi l'actualité et s'il le faut, dans ce laps de temps Lecornu est redevenu premier ministre et a re-re-demissionné, Bruno Le Maire nous a annoncé la sortie de son prochain livre "passion orifices" écrit pendant ses 14h en tant que Ministre des armées, Aurore Bergé a écumé les matinales pour chouiner et dire que tout est de la faute des gauchiasses et Éric Woerth s'est fait intercepter en direction de la banque avec une malette en cuir marron. Encore une belle journée de merde au pays des privilégiés de la République.

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