SOPHIE TREGAN (avatar)

SOPHIE TREGAN

Autrice

Abonné·e de Mediapart

106 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 novembre 2025

SOPHIE TREGAN (avatar)

SOPHIE TREGAN

Autrice

Abonné·e de Mediapart

Harcèlement, mutilations, viols, meurtres : la violence d'État n'a aucune limite

La docilité de la population garantit protection et conservation de ses privilèges à une minorité s'étant arrogée le droit de la violence "légitime". Voyage dans l'ultraviolence d'État.

SOPHIE TREGAN (avatar)

SOPHIE TREGAN

Autrice

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

En France, au moins 945 personnes sont décédées directement ou indirectement à la suite d’une mission des forces de l’ordre depuis 1977,  il suffit de regarder le rang social et/ou les noms des victimes pour comprendre ce qui motive cette police à assassiner. Les soutiens de la police (bien souvent des profils xénophobes ) insinuent qu'en se soumettant à un contrôle de la police il y a 0% de risque de mourir. Faux. Entre 2005 et 2025, au moins 31 personnes sont mortes à la suite d'un contrôle d'identité sans chercher à fuir comme par exemple Cédric Chouviat, Wissam El Yamni ou Ali Ziri. 157 personnes sont décédées pendant ou suite à leur interpellation. Mais ils existent d'autres formes de violences destinées à détruire psychologiquement ou physiquement les opposants politiques. 

De Castarner, en passant par Darmanin, Retailleau et aujourd'hui Nuñez, tous nous ont rabaché la fable de " l'État et sa violence légitime". Légitime ? Sauf qu'il n'y a pas plus illégitime que la violence étatique : une violence s'abattant sur sa population lorsqu'elle lutte pour la conservation de ses conquis sociaux, ses droits, l'environnement ou contre le racisme ou un génocide. La photo illustrant cet article est de Stéphane Maé, photographe pour Reuters, elle a été prise le jeudi 13 avril 2023 à l’occasion de la douzième journée de grève intersyndicale contre la réforme des retraites à Paris. Elle montre les forces de l'ordre protégeant le Conseil constitutionnel. L'illustration parfaite du virage autoritaire de l’État alors que la majorité de Français était opposée à la réforme et que plusieurs millions de personnes s'étaient mobilisées.

Je me rappelle de l'émotion politico-médiatique pour trois tags sur l'arc de triomphe lors du mouvement des gilets jaunes et de la moraline bourgeoise pendant des semaines sur "les sauvages" qui dégradent un monument sans ne jamais parler de la violence d'état qui, elle, avait mutilé des humains demandant seulement à vivre dignement de leur travail. Je me rappelle de ces journalistes lors de la manifestation du 1er mai 2019 qui filment une poubelle qui brûle mais détournent la caméra lorsqu'un homme âgé se fait traîner au sol par la police ou lorsque nous étions nassés évitant les tirs de LBD 40 et de grenades de désencerclement. Je me rappelle de Sainte Soline et des mensonges d'un ministre de l'intérieur pour passer sous silence les multiples délits et crimes de ses ouailles encasquées. 

En ce mois de novembre 2025 étaient révélées par Mediapart et Libération, 84 heures d'enregistrement vidéo des caméras portées par les gendarmes en mission à Sainte Soline. 84 heures révélant l'intention des gendarmes de tuer ou mutiler des manifestants, leurs paroles trahissant leur violence : 
« il y a un mec de Aurillac il lui a mis une cartouche de LBD en pleine tête. Il l’a shooté pleine tête a 10 mètres. Le mec il était sec. » 
«C’est un trou de terre, il y aura eu des morts juste pour un trou de terre. Après tant que c’est des morts de chez eux ».
« En tendu. En tendu. Baisse ton canon, putain ! » « Devant, tendu, vous balancez en tendu ! »
« Je compte plus les mecs qu’on éborgne, un vrai kiff »
« T’en crèves deux trois, ça calme »
« Tiens, dans ta gueule fils de pute »
« il faudrait « les tuer ».
Ces enregistrements prouvent que Gérald Darmanin avait menti lorsqu'il déclarait : « Je pense, quant à moi, que ce ne sont évidemment pas les forces de l’ordre, qui n’ont eu recours à la violence que d’une manière légitime et proportionnée. » 

Le samedi 1er novembre, deux policiers accusés de viol par une femme dans une geôle du tribunal de Bobigny ont été mis en examen et placés en détention provisoire. Leur sentiment d'impunité était si fort qu'ils ont non seulement violer cette femme dans l'enceinte même du tribunal mais que l'un d'entre eux a aussi filmé une partie de l'agression avec son téléphone. Mais il serait naïf de croire que ce viol filmé d'une femme par deux policiers est un acte isolé de deux "brebis galeuses". Au mois de juin 2025, le magazine Disclose et L’Oeil du 20 heures (France 2), publiait une enquête révélant les témoignages de 57 femmes qui avaient été victimes de violences sexuelles commises par les fonctionnaires chargés de recueillir leurs plaintes. Un scandale ignoré par le ministère de l’intérieur pour évidemment protégé le bras armé de l'État. 

En France, il existe une autre forme de répression violente plus sournoise : une répression administrative et financière des opposants politiques. Vanessa a perdu la vue d'un oeil suite à un tir de LBD lors d'une manifestation gilet jaune. Sophie, elle, a été perquisitionnée suite à sa participation à ce même mouvement. Le fils de Christian a été tué par la police. Peu de temps après avoir porté plainte ou parlé dans les médias, tous ont rencontré des problèmes avec la CAF, France Travail, le Fisc. C'est ce que nous apprenions dans un article de l'Humanité le 31 octobre 2025. Citons l'article pour comprendre comment cela a été rendu possible : "En 2019, un système est mis en place via la lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR). Les préfets, la gendarmerie, la police, l’éducation, la CAF, les impôts, France travail… Tous les services départementaux sont réunis pour échanger des informations sur des structures ou individus suspectés de séparatisme. Et lorsque les enquêteurs du CLIR n’ont pas assez d’informations pour justifier une procédure judiciaire, ils s’attaquent aux infractions annexes pour affaiblir leurs cibles malgré tout. Une manière détournée d’agir. Pour des écoles, commerces ou associations par exemple, tout peut y passer : « Papiers d’identité, diplômes, sécurité incendie, hygiène et même la validité des vaccins des salariés », égrènent les journalistes. Les militants qui s’attaquent au pouvoir subissent la même procédure.

Des mesures de sécurité ponctuelles censées lutter contre le terrorisme sont donc utilisés contre des manifestants, des militants écologistes, des journalistes. « Les lois d’exception conçues pour protéger la population française contre la menace terroriste ont à la place été utilisées pour restreindre son droit à manifester pacifiquement », a déclaré Marco Perolini, chercheur d’Amnesty International sur la France. Sous couvert de l’état d’urgence, des centaines de militants, défenseurs de l’environnement et militants pour les droits des travailleurs ont été privés de leur droit de manifester, lorsqu’il leur a été interdit, sans raison, de participer à des manifestations. Cette mise en place d’une société de sécurité et de contrôle avait déjà exercé sa violence entre le mois de novembre 2015 et mai 2017 : « Les autorités ont eu recours aux pouvoirs d’urgence pour signer 155 arrêtés interdisant des rassemblements publics, tout en interdisant également des dizaines de manifestations en vertu du droit commun français. Elles ont également imposé 639 mesures interdisant à certaines personnes précises de participer à des rassemblements publics. Sur ces mesures, 574 ont visé des personnes manifestant contre la proposition de réforme du droit du travail (Loi travail, 2016). En outre, selon les médias, les autorités ont imposé des dizaines de mesures similaires afin d’empêcher certaines personnes de participer à des manifestations après le second tour des élections présidentielles le 7 mai. » 

Des mesures antiterroristes censées nous protéger d’une menace ont impacté la vie d’opposants politiques, ont impacté leurs droits, ont impacté leurs libertés. Ils se sont vus traités comme des pariats, des hors-la-loi, comme des terroristes. Le détournement des lois ultra sécuritaires s'accompagne d'un dévoiement du langage. Manifestants dénonçant un génocide taxés d'antisémites ou de complices du terrorisme notamment au travers de l'expression "islamogauchistes" qui s'inspire du mot valise antisémite "judéo-bolchévisme". Des militants écologistes taxés d'écoterristes pour avoir milité contre des projets écocidaires nommés "A69" ou les "megabassines" de Sainte Soline. Des calomnies venant de petites frappes politiques et de leurs soutiens du PS à l'extrême-droite, n'ayant pas hésité à incendier les propriétés ou les voitures des militants écologistes, à les agresser physiquement ou à les envoyer au commissariat pour une poignée de main "trop intense et trop longue". Des antifascistes criminalisés pour simplement avoir dénoncé un génocide ou le racisme et l'islamophobie systémiques, comme Omar Alsoumi, porte-parole du collectif Urgence Palestine, qui a été placé en garde à vue sous “le prétexte fallacieux d’apologie du terrorisme”. Malgré tous ces modes de répression, nous avons continué à lutter, manifester, écrire mais cela est-il suffisant ? Non, malheureusement. Nos droits ont été conquis au cours de luttes. De luttes qui ont engagé chaque corps dans un combat collectif contre les dirigeants, contre le pouvoir. Bien sûr, nous sommes dans une lutte asymétrique avec un pourvoir qui détient tous les outils répressifs et financiers mais nous avons la force du nombre. 

Non il n'y a pas eu et il n'y aura pas de "grand soir". Mais d'autres formes de contestations émergent et se répandent. Comme par exemple, le blocage des livraisons d'armes à Israël par les dockers pour contester la complicité de l'Etat français dans le génocide des Palestiniens. Nous avons fait irruption dans la vie politique et médiatique en créant des médias indépendants pour lutter contre la concentration de l'information aux mains de milliardaires d'extrême-droite. Nous avons multiplié les manifestations sauvages en refusant de demander une autorisation préfectorale à nos bourreaux. Et tous ces modes d'action ont en commun le collectif, la spontanéité, l'effet de surprise et le fameux : "ici et maintenant". Il n'y aucune petites actions. Mais pour ceux qui sont prêts à opposer une légitime défense proportionnelle à leur violence : ne tardons pas.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.