Je suis un ex-président français. Je suis considéré comme un délinquant par les juges rouges. Condamné dans les affaires Bismuth et Bygmalion, et jusqu'à il y a un mois, je n'avais pourtant jamais fait un jour de prison. La justice s'était toujours montrée très clémente à mon égard. Et bien qu'elle vienne de me condamner à 5 ans de prison ferme, des personnalités politiques et médiatiques ainsi que des chaines d'information me soutiennent encore. Je voulais chaleureusement remercier Cnews, BFMTV et France info dont les campagnes de désinformation ont été d'une efficacité redoutable. Un matraquage mêlant fake news, invisibilisation des familles des victimes de l'attentat contre l'avion DC10 d'UTA, harcèlement d'une juge, calomnies à l'encontre des journalistes de Médiapart : c'était magnifique mes fidèles chiens de garde !
Mon procès n'a été suivi que par 8 journalistes au tribunal : des pleutres. Pour tous les autres je les avais déjà dans ma poche : aucune chaîne d'information n'a suivi la totalité du procès. 0. Merci à Europe 1 et plus précisément à Jean-Claude Darmon, mon ami, qui a déclaré : "C'est un choc pour des gens comme nous ! Nous ne sommes pas faits pour la prison, nous ne sommes pas des animaux, c'est terrible". Lorsqu'il a dit "des gens comme nous [..] nous ne sommes pas faits pour la prison " : j'en ai eu des frissons. L'impunité de notre caste est l'un des privilèges non négociables de la Vième République.
Le jour de mon entrée en prison est là. Heureusement j'ai pu compter sur la présence de mes fans qui n'ont ni suivi le procés, ni lu les articles sur l'affaire, ni lu le compte-rendu accablant du procés. Des petites brebis aveugles et prêtent à me pardonner tout écart dès que je claque des doigts. Sous les acclamations d'une foule acquise à ma cause, il n'y avait pas un journaliste, pas un badaud pour se soucier des familles des victimes de l'attentat DC10 : fort heureusement ! J'ai eu les larmes aux yeux lorsque vous, mes admirateurs avaient scandé : "À mort les journalistes, À mort les juges". Je remercie tout particulièrement Gérald Darmanin, d'être venu me rendre visite et d'avoir fait jouer ses relations afin d'améliorer mes conditions de détention.
Et puisque vous, mes chers lecteurs, vous êtes prêts à tout me pardonner alors laissez-moi vous raconter toute la vérité. Remontons le temps. En 2011, Médiapart reçoit un mail mystérieux. Fabrice Arfi est mis en contact avec une source anonyme qui lui fournit un disque dur, lequel contient des milliers de documents. Des documents variés : notes du Ministère de l’Intérieur, des photos de mes vacances, Brice Hortefeux et Zyad Takieddine sur un yatch, des bordereaux bancaires, des virements, des comptes rendus de Takieddine. En somme des preuves de compromission et de corruption. Mes compromissions, mon pacte de corruption.
Un fait essentiel est au coeur de mon affaire : en 1989, suite à un attentat terroriste, ayant fait 170 morts sur le vol DC10, fomenté par le gouvernement Libyen visant un avion de ligne français de la compagnie UTA, un procès aura lieu dix ans plus tard. En 1999, des agents libyens sont condamnés par la justice française dont Abdallah Senoussi, chef des services secrets libyens, beau-frère de Mouammar Kadhafi, organisateur de l’attentat. Étant absent du procès, un mandat d’arrêt international est délivré contre ce dernier.
En 2005, alors que je suis ministre de l’intérieur et que Claude Guéant est mon directeur de cabinet, nous faisons appel à Zyad Takieddine. Un intermédiaire – agent de corruption – qui ne travaille pas pour le ministère de l’Intérieur mais qui se voit confier des missions officielles : organisation des déplacements en Libye, rencontres avec des dirigeants libyens, traduction de document etc. En septembre 2005, le premier déplacement de Claude Guéant à Tripoli, capitale de la Libye, est organisé par Takieddine, afin de préparer ma visite officielle quelques jours plus tard. Dans une note authentifiée, Takieddine stipule que cette visite doit revêtir un caractère secret. En effet mon cher Claude Guéant va donc rencontrer secrètement Abdallah Senoussi, le terroriste libyen faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international. Bien que recherché par la justice française et ayant été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité : nous n'avions que faire de ce détail. À l'époque, même le patron des services de renseignements intérieurs (DST), Pierre Bousquet de Florian, nous avait toujours averti qu’il ne fallait jamais que nous rencontrions Senoussi. Au diable les conventions, je devais me faire élire coûte que coûte !
Quelques jours plus tard, le 6 octobre 2005, c'était mon premier déplacement officiel en Libye pour rencontrer Mouammar Kadhafi. Officiellement nous nous rencontrions au sujet de la « lutte contre le terrorisme ». C'est pratique ce truc du "terrorisme", ça marche à tous les coups et cela nous permet de faire passer des lois ultra sécuritaires et islamophobes. Mais officieusement ce fût le jour où notre pacte débuta. En échange d’aides financières pour ma campagne, j'avais promis des contreparties et des faveurs au dirigeant libyen si j'étais élu Président en 2007.
Le 21 décembre 2005, Brice Hortefeux alors Ministre déléguée aux collectivités territoriales françaises et l'un de mes amis depuis l’adolescence, avait fait sa première visite à Tripoli. Un déplacement secret où il avait rencontré à son tour le terroriste Senoussi en présence de Takieddine. Entre la visite de Guéant et la visite d’Hortefeux, il y avait aussi eu ma visite. Mais voilà, j'ai fait une erreur en révélant, lors de ma garde à vue quelques années plus tard, avoir parlé avec Mouammar Kadhafi de la situation judiciaire de Senoussi. Le régime Libyen voulait à tout prix faire sauter le mandat d’arrêt contre ce terroriste. Alors le 24 novembre 2005, Thierry Herzog, mon avocat et ami s’etait envolé pour Tripoli et avait rencontré les avocats de Senoussi. Alors que j'étais encore ministre de l’intérieur, ce coup de main scella le début du notre pacte de corruption : 440000 euros ont donc été versés depuis un compte offshore sur le compte caché, aux Bahamas, de Thierry Gaubert, un de mes amis vivant en Colombie.
Et si je vous écris depuis ma prison, c'est que certains de mes proches m'ont trahi. Des échanges de valises de billets ont été révélés par cet abruti de Takieddine : il nous a remis 5 millions d’euros en cash à Claude Guéant et moi-même en 2007. Pourquoi cette trahison ? En 2008, il était notre agent de corruption et nous l'avions remplacé dans son rôle et ses missions par Alexandre Djouhri : l'un de ses ennemis jurés. Comprenant qu’il nous avait servi de fusible, Takieddine avait multiplié les révélations et avait souhaité nous entrainé dans sa chute.
Les policiers et les juges enquêtant sur cette affaire ont établi, au vu du nombre de preuves accablantes, qu’il y avait bien eu des espèces non déclarées dans ma campagne présidentielle mais le montant total reste inconnu. 250 000 euros en liquide seront découverts à la fin de la campagne et distribués en prime à mon équipe. Woerth, le trésorier de ma campagne présidentielle, qui n'était pas le couteau le plus aiguisé de mon tiroir, a été interrogé sur l’origine de ces fonds en cash. Il affirma que cet argent était des dons en espèce faits anonymement par des électeurs UMP et envoyés par la poste. Selon la justice, son explication ne tenait pas. De plus l’enquête révèla que Guéant devenu mon Directeur de campagne, avait ouvert, à la BNP, une chambre forte. J'étais entouré de bras cassés.
En 2008, Guéant reçoit sur son compte 500 000 euros et achète un appartement tout de suite après. Les enquêteurs ont considéré que cet argent venait de la Libye et que l'achat du bien immobilier serait du blanchiment d'argent. Face aux preuves accablantes révélées par la police, les juges et le Parquet National Financier, j'ai opté pour la solution de me retourner contre mes plus proches collaborateurs et amis de longue date, Guéant et Hortefeux, en prétendant que je n'avais pas eu connaissance des rencontres avec le terroriste Senoussi ou encore des échanges des valises de billets. Hors de question que ces deux abrutis m'entraînent dans leur chute.
En décembre 2007, j'ai accueilli en grande pompe pendant six jours le dictateur Kadhafi, Paris sera placée sous haute sécurité et une tente sera plantée dans les jardins de l’Élysée. Le tout en continuant d'essayer de faire sauter le mandat d’arrêt de Senoussi pour avoir commandité l’acte terroriste contre la France en 1989. En outre, ce pacte de corruption a débouché sur un contrat d’exploitation pétrolière pour Total et des accords commerciaux comme la vente de matériel d’espionnage de la France à la Libye. Après tout, Kadhafi avait financé en parti ma campagne, un petit renvoi d'ascenseur pour briller à l'international était le minimum que je puisse faire.
On fait un bond dans le temps, en 2011. Je profite du Printemps Arabe pour changer mon fusil d'epaule et me retourner contre Kadhafi. Il fallait effacer les traces d'un financement illégal libyen de ma campagne de 2007 et c'était l'occasion rêvée ! Desormais dans mon discours officiel, Kadhafi redevient un dictateur terroristeà qui il faut faire la guerre. C'est ainsi que lors de mon procès quelques années plus tard, j'ai pu faire reposer ma défense sur l'élément suivant : il ne peut y avoir eu un pacte de corruption entre moi et Kadhafi, tout ceci ne serait q'un mensonge fomenté par les dirigeants Libyens en 2011, pour se venger de moi et de mon implication dans la guerre en Libye. Mais la justice n'y a pas cru.
Lors de l’enquête, les autorités ont retrouvé un carnet manuscrit qui appartenait au Premier Ministre de la Libye, Choukri Ghanem. Dans ces notes manuscrites, datant de 2007, il avait consigné des versements effectués pour ma campagne : 6,5 millions d’euros. Un élément authentifié par les polices française, autrichienne et norvégienne. Mais ces notes datant de 2007 ont mis à mal ma défense reposant sur une vengeance fomentée par la Libye en 2011. Fort heureusement pour moi, Choukri Ghanem est retrouvé mort dans le Danube en avril 2012, au lendemain de révélation de Médiapart sur l’affaire Libyenne. Après sa fuite de la Libye, il s’était réfugié en Autriche.
En 2011, après la chute de Kadhafi, un document datant de décembre 2006 est découvert en Libye. Une promesse de financement de ma campagne signé de la main de Moussa Koussa, chef des services secrets extérieurs libyens et adressée au Directeur de cabinet de Kadhafi, Bechir Saleh. Ce document est authentifié dans l’entre-deux tours des présidentielles de 2012. Hortefeux et moi-même avions prétendu que c’est un faux. Nous avions poursuivi Médiapart en justice pour faux et usage de faux. Après trois ans d’enquête judiciaire noys avons perdu définitivement notre procès contre Médiapart et nous avons été condamnés à leur verser des dommages et intérêts.
Cette note, au-delà de la promesse de financement, avait suscité, chez moi et mon entourage, un vent de panique. Car au moment où elle est révélée par Mediapart, le destinataire de cette note, Béchir Saleh, ancien directeur de cabinet de Kadhafi, était visé par un mandat d’arrêt d’Interpol ! Mais il était en réalité protégé par la France. Mon chef des services de renseignement intérieurs français, Bernard Squarcini et l’agent de corruption Alexandre Djouhri, avaient alors organisé en urgence son exfiltration du territoire français vers le Niger puis l’Afrique du Sud.
Résumons pour que vous compreniez la fange dans laquelle je me trouvais : un homme recherché par Interpol et témoin capital dans l’affaire du « pacte de corruption » était donc exfiltré du territoire. Les juges d’instruction ont établi dans un rapport que cette exfiltration de Béchir Saleh faisait partie du pacte de corruption. Par la suite, Béchir Saleh s’est dit prêt à faire des révélations à la justice, quelques jours plus tard, il fût la cible d’une tentative d’assassinat en Afrique du Sud. Touché de deux balles, il en réchappera miraculeusement.... Raté !
Un mois après ma quatrième mise en examen, celle-ci pour « association de malfaiteurs », Zyad Takieddine revient soudainement sur ses accusations à mon encontre. Interviewé à Beyrouth par des équipes liées au journal Paris Match (du groupe Lagardère où je siège au Conseil de Surveillance ), Takieddine prétend qu’il n’y a jamais eu de financement libyen de la campagne de 2007 et que les juges lui ont demandé de mentir. La presse reprend cette information pour me blanchir : merci mes chiens de garde. Mais l’enquête révèle que Takieddine aurait perçu de l’argent en échange de sa rétractation. 4 millions d’euros par promesse écrite. Ma chère Mimi Marchand m'a grandement aidé dans cette subornation de témoin. Depuis Takieddine a à nouveau changé de version pour revenir sur ses premières accusations : traître ! Ingrat !
En 2015, une série de courriels de l'ancienne secrétaire d'État américaine Hillary Clinton est rendue publique. Des documents sur "les raisons de l'intervention française lors de la guerre en Libye, et sur mes motivations réelles de me retourner contre Kadhafi... et ces révélations furent accablantes : « un désir d’obtenir une plus grande partie du pétrole libyen ; accroître l’influence française en Afrique du Nord ; améliorer sa situation politique intérieure en France ; offrir à l’armée française une chance de rétablir sa position dans le monde ; et répondre à l’inquiétude de ses conseillers concernant les plans à long terme de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique de l’Ouest ». Mon gouvernement était aussi opposé au projet de Kadhafi d'introduire une nouvelle devise panafricaine pour remplacer le Franc CFA. Cette analyse fût en partie, partagée par la Commission des affaires étrangères du Parlement britannique en 2016.
Un autre mémo évoquait des vols humanitaires organisés en avril 2011. Parmi les passagers : des cadres de Total, de Vinci, et de l'EADS. Bernard-Henri Lévy, intermédiaire entre le président français et les insurgés, avait fait savoir aux responsables du Conseil national de transition (CNT) qu’ils « avaient une dette envers la France au vu de son soutien précoce et que Sarkozy avait besoin de quelque chose de tangible à présenter aux leaders politiques et économiques français. » Un note de septembre 2011 révèle que j'ai exhorté les Libyens à réserver 35 % de leur industrie pétrolière à des entreprises françaises, en particulier Total. Possible... mais je ne vous en dirai pas plus. Un procès en appel m'attend.
On reprend depuis le début : soupçons de corruption, compromission, financement illicite de campagne, tentative de blanchiment d’un terroriste d'État, protection d’un criminel recherché par Interpol, association de malfaiteurs, subornation de témoin. 20 petits jours de prison. Mais retenez bien une chose mes chers lecteurs : l'impunité est l'un des privilèges de la bourgeoisie. Vous n'y pouvez rien.
Ceci est un écrit fictif. Un ex-président ne dirait jamais ça.
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