Dans un premier temps certains médias ont tenté de donner l'étiquette de "monstre" à Dominique Pélicot pour faire oublier à l'opinion public qu'il s'agit bien d'un homme, d'un mari, d'un père, d'un grand père que même sa famille n'a pas soupçonné pendant une décennie. Les monstres n'existent pas mais les Monsieur-tout-le-monde pères de famille, maris, amis, collègues, ex-conjoints, qui violent et violentent des femmes : ils existent. Concernant les viols et tentatives de viol : 91 % des agresseurs sont des proches de la victime. Le patriarcat aime le mot monstre car ça lui permet de se dissocier de cet homme – et des 50 autres – et de nous faire croire que la soumission de nos corps est une violence rare et éloignée alors qu'elle est systémique. Dans mes propos il ne faut pas confondre "système" et "individu". Avant de commettre l'acte irréparable, ces hommes de l'affaire Mazan étaient aussi des pères/frères/amis/gendres. Le passage à l'acte est favorisé par un système qui a toujours objectivé et soumis le corps des femmes : éducation, média, film, publicité, pornographie. La société apprend aux femmes à se soumettre, à douter, à ne pas se poser trop de question, à obéir. Elle apprend aux hommes à s'affirmer, à être fort, à ne pas montrer leur faiblesse et que le "non" d'une femme veut des fois dire "oui". S'ajoute à cela la justice qui laisse impunie la majorité des violences faites aux femmes. En 2020, seul 0,6% des plaintes pour viol ont amené à une condamnation.
Dans les témoignages des accusés de l'affaire des viols de Mazan, 35 d'entre eux réfutent qu'ils ont violé le corps inerte de Gisèle Pélicot. Et pourtant, elle était bien dans un état comateux comme en témoignent les vidéos, incapable de prononcer un mot et encore moins de dire "oui". Ils ne lui ont jamais parlé, ils n'ont jamais cherché son consentement, ils ont parfois attendu plus d'une heure sur un parking en bas du domicile... le temps qu'elle perde connaissance. Leur défense consiste à dire "ce n'est pas un viol, son mari nous a donné l'autorisation". Et c'est là que nous trouvons le problème de l'éducation inculquée par ce système patriarcal : le corps de la femme, si elle est en couple ou mariée, devient la propriété d'un autre, nos corps ne nous appartiennent pas. Je vois beaucoup le "not all men" ou "pas tous les hommes" circuler les réseaux sociaux. Mais il faut comprendre une chose : en tant que femme, nous ne faisons pas passer une évaluation psychologique à tous les hommes que nous croisons, et les mots "prédateurs sexuel, violeur, manipulateur, violences conjugales" ne sont pas marqués sur leur front. Alors "pas tous les hommes" mais cela peut être N'IMPORTE QUEL homme : voilà notre problématique. Sur les chaines d'info, le bourgeois blanc s'en donne à cœur joie sur ce "not all men" alors oui, venant d'eux il n'y a rien à attendre. Ils ne déconstruiront jamais leur petite condition de bourgeois blanc qui leur assure dans cette société patriarcale : protection et confort. Ils ne prendront jamais la peine de remettre en question leurs principes, leurs croyances et leur égocentrisme tant ces derniers sont les garanties de la conservation de leurs privilèges. Ils ramèneront toujours nos combats à leur petite personne tant il leur est inconcevable de ne pas être au centre de l'attention et d'envisager le caractère systémique d'une violence. Celui qui illustrât le mieux mon propos fût le Maire de Mazan : « Ça aurait pu être plus grave, il n’y a pas eu d’enfant impliqué, pas de femme tuée. Ce sera difficile pour la famille mais ils pourront se reconstruire. Après tout, personne n’est mort »... cet homme, dans son confort patriarcal, incapable de comprendre nos souffrances et nos peurs dans cette société qui objective, s'approprie, viole et détruit le corps des femmes.
Le cauchemar continue et malgré les preuves qui s'accumulent contre les accusés, la Novlangue patriarcale "victime mais un peu salope quand même" vient faire son entrée dans la bouche des avocats de la Défense. Depuis des jours, ils utilisent tous les subterfuges patriarcaux et misogynes les plus abjectes pour discréditer son témoignage, son calvaire vécu pendant 10 longues années. Et un matin en lisant le compte rendu, j'ai explosé. Ils accusent Gisèle Pélicot d'être exhibitionniste car plus jeune, en de rare occasion, elle a fait du naturisme, car des fois elle se baigne nue dans SA piscine ou traverse nue SA salle de bain. Ils accusent Gisèle Pélicot d'être alcoolique. Une avocate de la défense s'est même permise de crier sur Gisèle Pélicot qui avait eu l'audace de dire que ce n'était pas elle sur les images d'un plan à trois diffusées en salle d'audience ou encore parce qu'elle a affirmé que les photos d'elle nue étaient prise à son insu, ce qui est confirmé par Dominique Pelicot lui-même. Voilà ce que Gisèle Pélicot a répondu : "Il m’est arrivée d’être nue chez moi, nue dans ma piscine. Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte car on passe par un déballage qui est insoutenable et les autres derrière moi ils sont tranquilles". Le Président de la cour ira même jusqu'à dire à Gisèle Pélicot "vos partenaires" pour désigner ses violeurs. A la sortie de l'audience, un des co-accusés a menacé une militante féministe venue soutenir Gisèle Pélicot en lui disant "je vais violer ta mère tu vas voir".
35 à contester les faits de viol, malgré les vidéos, les photos, les échanges sur le site Coco dans la catégorie "à son insu", malgré, pour certains, des vidéos pédopornographiques ou de viols trouvées dans leur ordinateur, malgré les rapports et témoignages d'experts médicaux sur l'état comateux de Gisèle Pélicot. Alors oui nous sommes dans un État de droit, du moins ce qu'il en reste, et les accusés ont droit à un avocat, à une défense. Mais ce procès pose la question des limites à l'humiliation de la victime. Comment un avocat peut-il affirmer qu'il existe "viol et viol" au mépris de la définition juridique ? Comment une avocate peut-elle se permettre de crier sur la victime en la calomniant ? Comment toutes ces humiliations, ces calomnies et ces mensonges peuvent-ils être autorisés par le Droit français ? Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà qu'une des avocates de la défense du procès de Mazan s'affiche dans des story Instagram dégueulasses, notamment une sur la chanson "wake me up" (réveille moi en français : le cynisme est total) destinée à nous narguer car nous voudrions la faire taire. Une autre avocate affichera sur son LinkedIn à propos des manifestations de soutien à Gisèle Pélicot : " pseudos féministes aux manifestations complètement foireuses". Certains ont tenté de transformer ce procès en outil d'humiliation publique de Gisèle Pélicot et de toutes les victimes de VSS. Elle déclarera avec ironie à propos de ses bourreaux : "C’est moi la coupable et eux les victimes. D’ailleurs ils devraient s’asseoir à ma place…" C'est encore une fois la preuve que la justice est patriarcale. Pourtant des dispositions juridiques sont déjà prises par la Cour Européenne Droits de l'Homme et le Code de Procédures Pénales pour protéger les victimes de viol lors d'une audience : l'article 401 du CPP confie au Président la police de l'audience, il doit prévenir toute forme de victimisation secondaire. Les articles 3 et 8 de la CEDH imposent au Président de veiller à respecter un juste équilibre entre l'intégrité personnelle, la dignité des victimes et les droits de la défense. L'article 8 de la CEDH estime que la vie privée, l'orientation ou pratiques sexuelles sont sans relation avec les faits de viol. La vie privée de la victime doit être protégée. Ce procès est en train de virer au cauchemar car ni les avocats de la défense ni le Président de la Cour ne respectent ces obligations.
Décembre 2024. Le procès des viols de Mazan est fini. Et malgré le nombre de vidéos, photos, témoignages, les condamnations, et les aveux d'une partie des accusés, nombre de médiocres continuent de répandre leur fiel et leurs mensonges sur les réseaux sociaux ou devant des caméras. Ce procès a beaucoup emmerdé les fables patriarcales des patriotes de l’extrême droite. Ces fables qui racontent que le violeur est forcément racisé ou un migrant. La palme de la fake news la plus abjecte revient à Alice Cordier qui a tenté, au travers d’un tweet, de faire croire que Dominique Pélicot était un gauchiste qui faisait violer sa femme par des personnes racisées pour la punir de son racisme. Puis après le verdict, ce fût au tour de toute la meute des suprémacistes nostalgiques du vieux monde d’entrer en scène. Sous une photo de Gisèle Pélicot et son fils circulant sur Facebook, les commentaires sont plus dégueulasses les uns que les autres. Il y a Rose Marie et son « chuut, vous allez la réveiller » qui fait de l'humour sur le viol et la soumission chimique ; il y a Nanou Noelle, Lebo Ramoun et Arthur Smith qui ne supportent pas de voir Gisèle Pelicot sourire sur une photo en vacances, car pour eux, si elle sourit c’est qu’elle a menti lors de son procès, d’après eux, la victime idéale ne sourit pas, la victime idéale aurait dû se cacher et accepter le huit clos, la victime idéale se tait, la victime idéale aurait dû mourir. On sent ici qu'une partie de la population lutte de toute ses forces pour que rien ne change : pour que la honte ne change pas de camps. Et même les hautes sphères du pouvoir nous envoient des messages plutôt clairs. Nommer Darmanin ministre de la Justice à peine le procès des viols de Mazan terminé : c'est le plus gros doigt d'honneur que Macron et le premier Ministre pouvaient faire aux victimes de violences sexistes et sexuelles. Darmanin, qui, on le rappelle, se servait de sa position dominante auprès de femmes précaires pour obtenir des faveurs sexuelles leur promettant en échange un logement. Si même avec une enquête qui a duré 4 ans et un nombre de preuves qui dépasse l'entendement, il y aura toujours des Zozo, des Nicolas Gaillard et des Mantoo Matters pour mettre des émoticônes MDR sous un article du Monde sur la prise de parole de Gisèle Pélicot après le verdict. Il y aura toujours des Jean-Marie, des Claudie et encore des Mantoo Matters pour affirmer que Gisèle Pélicot est une menteuse. Il y aura toujours des Brasil.eiro2 pour vomir leur masculinisme en disant que les femmes qui se font battre ou violer l'ont bien cherché. Il y aura toujours un Christophe Bruschi, avocat, qui éructera à la sortie d'un tribunal un "merde" aux femmes venues soutenir Gisèle Pélicot en les traitants de "tricoteuses", de "mal embouchées" et "d'hystériques". Il y aura toujours un flic pour nous traiter de "grosse pute" après une plainte pour agression sexuelle et UNE juge pour le relaxer. Et il y aura toujours un tribunal pour mettre des peines inférieures à 8 ans pour un viol aggravé.
Dans ce contexte, comment voulez-vous que nous, femmes ayant subi des violences, avec notre seule parole, nous allions porter plainte ? Où Gisèle Pélicot a-t-elle trouvé la force et le courage non seulement d'affronter ses agresseurs, les sorties lunaires des avocats de la défense hors du tribunal, mais aussi tout un système patriarcal qui nous traite de "salopes". Il n'y a pas une seule femme qui a dénoncé des violences sexuelles sans voir la horde de masculinistes et de sympathisants d'extrême-droite débarquer en prétendant que c'est une mythomane cherchant la gloire. PAS UNE SEULE. Je salue toutes ces femmes qui ont le courage de se lancer dans une procédure judiciaire. Je ne le (re)ferai pas. Je choisis dorénavant la légitime défense et l'action directe. Parce que peut-être dans cette lutte comme dans les autres, il devient nécessaire d'additionner nos modes de risposte, du plus pacifique au plus radical.