SOPHIE TREGAN (avatar)

SOPHIE TREGAN

Autrice

Abonné·e de Mediapart

109 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 décembre 2025

SOPHIE TREGAN (avatar)

SOPHIE TREGAN

Autrice

Abonné·e de Mediapart

Comment une commission d'enquête peut avancer une accusation sans preuve ?

Alors même que des responsables du renseignement affirment n'avoir trouvé aucun lien entre LFI et des réseaux islamistes, pourquoi les conclusions de la commission vont-elles à l'encontre des auditions ? Nous allons nous attacher à des éléments factuels évoqués lors de cette commission d'enquête.

SOPHIE TREGAN (avatar)

SOPHIE TREGAN

Autrice

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Wauquiez a declaré le 18 decembre sur Cnews : "notre objectif à nous c'était de demonter LFI". Le terme "démonter" ne signifie en aucune manière "prouver que" ou "démontrer que", les synonymes sont clairs : "abattre", "démolir", "deboiter". Cette commission à l'initiative de Laurent Wauquiez, qui dans un premier temps n'avait ciblé que la France insoumise, avait été refusée par la commission des lois. Le nom fût changé pour y intégrer tous les groupes politiques et elle débuta en octobre 2025. Avant même que le leader de la France insoumise ne soit auditionné ce 6 décembre, des responsables de services de renseignement avaient déjà témoigné lors de cette commission, je cite : « il n'a pas été mis en évidence à notre connaissance, dans la doctrine de la mouvance française, de documents visant l’islamisation à court ou moyen terme ». Prenons des éléments factuels : les auditions de ces professionnels du renseignement. 

AUDITION DE HUGUES BRICQ, Directeur du renseignement (DRPP) à la préfecture de police de Paris 2.

M. Jérôme Buisson (RN). Des groupuscules d’extrême gauche ou d’autres, que vous surveillez, ont-ils des liens avec les islamistes ?

M. Hugues Bricq. Non, très peu, même si cela doit parfois leur traverser l’esprit. L’ultragauche essaye de manière récurrente d’embarquer les jeunes des quartiers mais cela n’a jamais vraiment fonctionné. L’ultragauche était totalement absente lors des émeutes et des violences urbaines, et on ne la voit pas non plus quand il est question d’islamisme radical. En revanche, une certaine frange, marginale, groupusculaire sinon individuelle, de l’ultradroite négationniste se rapproche, par antisémitisme pur, de certains islamistes ou référents religieux islamistes qui tiennent des propos antisémites, souvent hors nos frontières. Ce sont des rapprochements « intellectuels », si vous si vous me pardonnez cette malheureuse expression, non des rapprochements visant des actions de terrain ou l’organisation de projets.

Analyse : dans un premier temps on notera que Monsieur Bricq stipule une absence de lien ultragauche et islamisme mais qu'en revanche des liens ont été trouvés entre l’ultradroite et référents religieux islamistes. Dans un second, on ne manquera de remarquer que Monsieur Bricq assimile l'islamisme aux "jeunes des quartiers". Ce sont des propos stigmatisants, essentialisants. Même si les conclusions de Monsieur Bricq vont à contresens de la commission, ses propos s'inscrivent dans l'islamophobie ambiante. 

AUDITION DE PASCAL COURTADE. Compte rendu de réunion n° 6.  Ici sur l'absence de  stratégie d’influence de "l'islamisme politique" au niveau national sur les partis politiques.

M. Pascal Courtade : Au niveau français, je ne connais pas de stratégie constituée d’influence de la mouvance auprès des partis politiques. Il a pu en être autrement lorsque l’UOIF était bien plus institutionnalisée grâce à son intégration au CFCM (Conseil français du culte musulman), même si je ne crois pas que nous pouvions alors parler de stratégie d’entrisme – il s’agissait d’une stratégie d’influence de la part d’un acteur reconnu du culte musulman. À l’heure actuelle, certains militants islamistes politiques – qui n’agissent pas nécessairement sur ordre – mènent au niveau local des stratégies d’influence, parfois d’obtention d’avantages, voire d’entrisme. Mais je répète que nous n’avons pas observé ni documenté ou étudié une stratégie d’influence au niveau national sur les partis politiques.

Resumé : ici Monsieur Courtade stipule l'absence de stratégie d’influence de "l'islamisme politique" au niveau national sur les partis politiques.

Je tiens à souligner un point de la plus haute importance : il est tout de même étonnant que cette commission d'enquête portant sur les liens entre politiques et réseaux islamistes ne se soit pas intéressée à certains membres du RN (ex FN) et que les médias aient passé sous silence les affaires "Herman" et "Veillard" qui me semblent être pile dans la problématique qui nous intéresse :
- Affaire Claude Herman : ancien du service d'ordre du Rassemblement national (ex-Front national). Il a fourni des armes à Amedy Coulibaly qui a tué cinq personnes lors de l'attentat antisémite de l'Hyper Cacher en 2015. Herman a été condamné à sept ans de prison. 
- Affaire Jean-Claude Veillard : ancien candidat du RN au municipal de Paris mis en examen par le parquet antiterroriste pour avoir participé à financer Daesh et Al-Qaïda à hauteur de 13 millions d'euros. Il a supervisé la collaboration de Lafarge avec des groupuscules terroristes en Syrie. 

Ainsi, la commision d'enquête s'était terminée par l'audition de Jean-Luc Mélenchon finissant de démonter pièce par pièce cette mascarade avec quelques uns des arguments évoqués ci-dessus. En bonus il y eut un cour sur la laïcité et une démonstration magistrale sur son dévoiement à des fins islamophobes. Mais voilà qu'en ce 18 décembre je découvre que la commission n'a pas tenu comptes des conclusions des professionnels du renseignement et il semblerait qu'elle se soit davantage raccrochée aux accusations émanant d'une certaine Nora Bussigny. Cette dernière exulte et en profite pour publier ce jour un article calomnieux dans le Point. 

Mais qui est Nora Bussigny ? Je vais reprendre la description faite dans mon article sur France info. Nora Bussigny est une "journaliste" au Point et à Franc Tireur. Les deux médias auxquels elle contribue sont connus pour leur islamophobie, leur négationnisme du génocide des Palestiniens et leur propagande en faveur d'Israël. Mais pas seulement. Franc Tireur s'illustrera aussi dans l'antisémitisme en allant jusqu'à titrer un article "Juifs mais pas trop" pour critiquer une association juive qui s'oppose à la politique colonialiste et génocidaire de Netanyahou. 

Toute la théorie exposée dans les livres de Bussigny repose sur son "infiltration" au sein de l'extrême-gauche, elle tend à démontrer que cette dernière est liée à des réseaux islamistes et que les pro-Palestiniens dénonçant le génocide sont en réalité des antisémites. Rappel : Pour "infiltrer les wokes", elle s'était déguisée, affublée d'une perruque rose... fin de la blague. Dans son dernier livre, "Les Nouveaux antisémites", Bussigny ne définit aucune méthodologie d'enquête. Elle omet aussi de dire que la gauche radicale a déjà théorisé l'antisémitisme structurel présent en France mais cela ne va dans le sens de son recit donc elle passe sous silence, entre autres, le recueil "contre l'antisémitisme et ses instrumentalisations" co-ecrit par neuf personnes : auteur.e.s, maitre de conférences,  philosophe, juifs décoloniaux. Une contre enquête d'Arrêt sur images sur son livre a révélé les faits suivants : des sources unilatérales, accusations et manque de contradictoire, des raccourcis malhonnêtes, culpabilité par association, "liens étroits avec le terrorisme" jamais prouvés. 

Elle a aussi déclaré sur France info (le Cnews du service public) : "L'intersectionnalité peut présenter certaines dérives et une hiérarchie des luttes". Alors que l'intersectionnalité en sociologie est exactement l'inverse de cela. Sur le site d'Oxfam, nous pouvons en un clic lire la définition sociologique de ce terme : "L’intersectionnalité désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination qui s’entrecroisent, se recoupent et s’intensifient mutuellement." C'est donc la prise en considération de toutes les formes de discrimination sans hiérarchie entre ses dernières. Bussigny a si peu de rigueur journalistique qu'elle est incapable de seulement vérifier une définition. Tous ces éléments posent la question suivante : quelle est la légitimité de Nora Bussigny à être entendue dans une commision d'enquête aux côtés de professionnels du renseignement ? 

Revenons à la question initiale : pourquoi les conclusions de la commission d'enquête vont-elles à l'encontre des auditions des professionnels du renseignement ? Il est de notoriété publique que l'ennemi à abattre est LFI. Les premiers à avoir dénoncé le génocide et la complicité de la France par la vente de matériel militaire à Israël. LFI qui dénonce aussi le racisme et l'islamophobie d'état et le dévoiement de la laïcité par le gouvernement afin de faire adopter des lois d'exception ségrégationnistes envers les musulmans. De plus quel est le coût de cette commission d'enquête ? Mais surtout pourquoi, au vu de la gravité des faits reprochés à la France insoumise quant à ses liens supposés avec des groupuscules islamistes et/ou terroristes, ni Laurent Wauquiez, ni Nora Bussigny, ni le président de la commission Xavier Breton n'ont porté l'affaire en justice ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.