Ainsi que l’a démontré le sociologue Pierre Bourdieu, ce sont les positions des agents sociaux qui déterminent leurs prises de position. Autrement dit, les pratiques discursives politiques sont les expressions manifestes des rapports de force au sein du champ du pouvoir. C’est pourquoi la multiplication des attaques des conservateurs-libéraux alliés aux réactionnaires du RN, sont hautement révélatrices de l’évolution en cours au sein du jeu politique.
Les élections législatives de 2022 donnent à voir une organisation tripartie, dominée par les conservateurs-libéraux (Ensemble, LR) concurrencés par les progressistes de gauche (NUPES), et les conservateurs-réactionnaires (RN, LR) minoritaires. Malgré la position dominante des conservateurs-libéraux au sein de la représentation nationale, ils sont liés, par un faisceau d’interdépendance, aux oppositions politiques. Aussi le contraignent-elles systématiquement à s’appuyer sur l’une d’entre-elles pour maintenir l’équilibre des forces politiques, condition de son autorité. C’est ce que laisse transparaître la volonté affichée de la « minorité présidentielle » de construire des « alliances de circonstance avec les oppositions parlementaires » peu après les élections législatives de juin 2022.
La montée en puissance actuelle du mouvement social ainsi que celle des forces de gauche, fragilisent la position prééminente du maître central. Comme toutes les fois où il se voit contesté dans sa position dominante, il s’appuie systématiquement sur le camp le plus faible afin d’asseoir son autorité. C’est pourquoi, contrairement à la législature précédente, les conservateurs-libéraux font le choix, aujourd’hui, des conservateurs-réactionnaires. C’est que l’union des forces de gauche a déstabilisé l’équilibre précaire sur lequel reposait jusqu’alors leur pouvoir. Leurs sorties répétées contre la Nupes, et plus particulièrement contre LFI, la force centrale de cette alliance, s’expliquent ainsi. Alors que se multiplient les violences policières et celles de groupuscules d’extrême-droite, les conservateurs-libéraux et réactionnaires accusent la gauche d’être violente, d’incarner une forme de « terrorisme intellectuel » qui justifient leur « union sacrée » pour la « défense de la République » ! À leur point de vue, ce contexte légitime le recours à la contrainte nue.
Quant aux réactionnaires du RN, en s’engageant obséquieusement aux côtés des conservateurs-libéraux, ils manifestent leur soumission à l’autorité. Les journalistes médiatiques n’ont de cesse de qualifier ce processus de « notabilisation du RN ». Or ici encore, ce dernier n’est révélateur que d’un double phénomène : la montée en puissance des forces progressistes de gauche et la faiblesse du maître central (les conservateurs-libéraux) qui espère se maintenir en s’appuyant sur la frange la plus réactionnaire de l’échiquier politique, quitte à la normaliser. Les sorties des membres du Gouvernement actuel sur le prétendu républicanisme des réactionnaires ne s’expliquent pas autrement. Faut-il rappeler que dès 1789, ce qui définit l’extrême-droite c’est son rejet de l’égalitarisme républicain ! À son point de vue, l’inégalité entre les hommes est l’essence même de toute organisation sociale. La façon dont aujourd’hui encore, elle classe les hommes en fonction de leur origine ne laisse point de doute !
Les conservateurs-libéraux n’ont-ils retenu aucune leçon de l’histoire ! À chaque fois qu’ils se sont appuyés sur l’extrême-droite pour maintenir leur pouvoir, ils ont été violemment écartés par ceux-là mêmes qu’ils entendaient contrôler. Ainsi en 1848, le parti de l’Ordre n’hésite pas à soutenir l’élection de Louis Napoléon Bonaparte qui renversera la Seconde République peu après. A la suite d'un coup de force en 1851, il finira par instaurer un régime autoritaire. Autre leçon de l’histoire, c’est le discrédit politique qu’accompagne pareils agissements opportunistes qui viennent légitimer l’aigreur, la frustration, l’antiparlementarisme qui, pour être dépassés, nécessitent le plein engagement du mouvement social, des forces de progrès. Après tout, c’est la lutte qui politise !