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Billet de blog 11 février 2023

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Le Chamboule-tout en bande organisée : un crime de Lèse-Gouvernement !

Que nous dit l'affaire Thomas Portes de notre démocratie ? Tout est-il permis en politique ? Peut-on accepter qu'une majorité instrumentalise le règlement intérieur de l'Assemblée pour des délégitimer l'opposition ? Ce billet entend susciter cette triple interrogation.

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En d’autres temps, Robert François Damien fut condamné à « faire amende honorable devant la principale porte de l’Église de Paris » pour crime de Lèse-Majesté. Sept heures durant, le parricide y fut torturé : du feu de souffre, du plomb, de l’huile bouillante, de la cire, furent jetés sur son corps animé. Le supplicié se vit ensuite attaché aux extrémités quatre chevaux qui finirent par le démembrer. Les fragments de son corps furent enfin jetés au feu pour être réduits en cendres. Ainsi se voyait éteinte, pour un temps du moins, toute velléité critique à l’égard de la Monarchie absolue.

En d’autres temps, Joseph Baudet, Léopold Larrivaz, Francis Rassiat tombèrent sous les balles des trois frères Crettiez, leurs patrons. Les ouvriers des horlogeries Crettiez, sises à Cluses, en Haute-Savoie, s’étaient mis en grève au printemps 1904, afin de soutenir leurs sept camarades licenciés pour avoir osé se présenter aux élections municipales contre la « liste des patrons » sur laquelle figurait l’horloger Crettiez-père. Refusant le chantage de la direction qui proposait de réintégrer les sept candidats à condition qu’ils renoncent à leur droit de grève, les ouvriers de Cluses engagèrent une grève reconductible et caillassèrent des vitres de l’usine. Exaspérés, les fils Crettiez acquirent fusils et revolvers le 8 juillet 1904. Dix jours plus tard, ils firent feu sur les manifestants. Bilan trois morts et plusieurs blessés. Les frères Crettiez furent condamnés à un an de prison ferme pour avoir assassiné froidement un père de famille et deux jeunes hommes.

En d’autres lieux, Albert Parsons, August Spies, Adolph Fisher, George Engel, quatre ouvriers syndicalistes américains furent condamnés à mort et pendus après avoir été accusés, à tort, d’avoir lancé une bombe lors d’une manifestation pacifique en mémoire de quatre ouvriers abattus par des policiers, le 3 mai 1886 à Chicago. Que réclamaient ces victimes ? Le droit à la journée de huit heures. Que reprochait-on plus particulièrement à Albert Parsons, August Spies, Adolp Fisher, George Engel ? D’être syndicalistes, d’avoir appelé à la manifestation et à prendre les armes pour se défendre, à la suite de l’assassinat de leurs camarades. Aujourd’hui encore, nous ignorons l’identité du lanceur de bombe. Une certitude, c’est qu’ils furent exécutés en raison de leur convictions politiques et de leur action syndicale. C’est en mémoire de ces victimes qu’est célébrée chaque 1er mai, la fête des Travailleurs.

En ces temps, l’Assemblée nationale a sanctionné un député à une exclusion de quinze jours du palais Bourbon en plein débat sur la Réforme des retraites. Pourquoi une telle sanction ? Pour avoir posté sur tweeter une photo sur laquelle l’élu, ceint de son écharpe tricolore, foule un ballon à l’effigie du Ministre Olivier Dussopt. Que réclamait-il à travers cette photo ? Le droit à une retraite décente, c’est-à-dire le droit à la retraite puisque nombres d'ouvriers n’atteignent même pas l’âge légal de départ à la retraite alors que chaque jour, un ouvrier décède d’un accident du travail dans le bâtiment.

Qu’ont éprouvé ces hommes venus de temps et d’horizons si différents ? Un sentiment d’injustice, une irrépressible colère. Qu’ont-ils fait ? Ils se sont pliés, ils ont accepté, ils se sont soumis à une décision de justice qui contrariait leur cœur voire menaçait leur être. Pourquoi ? Parce qu’ils ont appris que la justice est une vertu cardinale agissant avec droiture, et qu’il était donc de leur devoir de lui obéir. Au regard de toutes ces souffrances, qu’est-ce que la sanction de l’Assemblée nationale représente ? Le symbole de ce que notre monde demeure soumis aux mêmes impératifs, celui du marché, du profit immédiat qui considère l’opposition politique résolument à gauche comme une entrave à la liberté des puissants. C’est pourquoi, cette décision est révoltante et nous la refusons, estimant que le chamboule-tout en bande organisée devrait être un droit inaliénable et imprescriptible, et que l’entrave à l'expression politique constitue un crime de Lèse-Nation, conformément à l’article 11 de la Constitution de 1958 qui dispose que « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières. »

Un juriste bordelais n’affirmait-il pas en d’autres temps, que « tout châtiment dont la nécessité n’est point absolue devient tyrannique ». Un autre, Milanais cette fois, rappelait quant à lui dans un ouvrage appelé à rester célèbre que « les principes fondamentaux du droit de punir » se « trouvent gravés dans le cœur des hommes », et que « toute loi qui s’en écarterait devrait éprouver une résistance à laquelle elle sera contrainte de céder. »

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