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Billet de blog 17 juin 2022

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Égalité par Pierre Bergounioux

Une tribune de l'écrivain Pierre Bergounioux rédigée en 2017, peu avant le premier tour de l'élection présidentielle. Elle demeure d'actualité.

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L’invention de la démocratie formelle, avec sa constitution, ses lois, ses garanties, ses représentants, ses élections régulières, constitue une avancée décisive dans la marche des sociétés vers l’égalité, où elles trouveront leur achèvement. De ses antécédents historiques, elle a toutefois conservé la répartition inégale des pouvoirs, des biens, des savoirs et le consentement ou la résignation qui va de pair. L’expérience quotidienne, la vie même se ramènent à cette désolante constatation quand les conditions matérielles, sociales sont depuis longtemps réunies, qui permettraient à chacun d’accomplir toute son humanité, de devenir le contemporain de son temps. Cette aspiration profonde, puissante travaille la société française depuis 1789. Elle éclate à intervalles plus ou moins réguliers au grand jour, 1830, 1848, 1871, 1936, 1945, 1968…Chaque fois, elle a été combattue, contenue, refoulée puis elle a refleuri, revécu. Ou bien l’histoire est un chaos qui échappe à ses protagonistes ou bien il y a une explication, un sens à ce qui se passe et l’on peut y comprendre quelque chose, en infléchir le cours.

Les politiques suivies depuis un demi-siècle ont été, à des degrés divers, conservatrices. Elles ont ratifié, perpétué la domination du capital financier. Une étroite ploutocratie, dont la seule préoccupation est « la maximisation des chances de gain pécuniaire », imprime directement ou par personne interposée leur conduite aux affaires du pays. Que ses vues, ses procédés aillent à l’encontre des aspirations collectives, c’est ce dont témoigne la tenace morosité où nous sommes tombés depuis près d’un demi-siècle. Depuis lors, on n’est pas content. Rien ne va comme il faudrait, comme on voudrait. Une démoralisation intense, tenace a contaminé tous les secteurs d’activité, tous les domaines de l’existence, les cœurs, les pensées. Il n’y a pas à chercher loin. Il suffit de sortir de chez soi, d’emprunter les transports en commun, de faire les courses du vendredi au supermarché, d’attraper, au passage, une bribe de conversation, d’entrevoir des visages. Ils nous renseignent, plus que de longs discours, sur le monde  que nous habitons et qui n’existe qu’autant que nous l’acceptons.

            Nous n’avons pas, au demeurant, le monopole de cette humeur triste, de ce grand désenchantement. Juste avant de nous quitter, Fellini a mis dans la bouche d’un personnage anonyme, perdu dans la nuit, de son dernier film, cet aveu désespéré : « Siamo un popolo di stronzi ». Nos brillants voisins italiens ont donné, une fois de plus, le ton. Mais nous bénéficions, en contrepartie, d’une tradition historique qui leur manque, la capacité d’agir sur nous-mêmes avec lucidité, avec énergie. Ce n’est pas moi qui le dis mais un conservateur, Alexis de Tocqueville : « La passion française, c’est l’égalité ». Nous sommes condamnés à rester moroses, défiants, désabusés, médiocres, insuffisants aussi longtemps que les choses resteront en l’état et l’action (ou l’inaction) politique ce qu’elle est.  Bien sûr, ce n’est pas sans appréhension qu’on envisage de modifier la répartition de la richesse, des rôles et des responsabilités – la place à faire aux femmes, par exemple-, la réorientation de l’activité pour prévenir la catastrophe écologique annoncée. Mais c’est le moment ou jamais.

Avec ça, deux siècles et plus nous séparent de nos aïeux de l’an II de la République Une et Indivisible. Il n’est plus nécessaire de nous entrégorger, comme on l’a fait alors, pour adopter enfin les trois mots tout simples de liberté, d’égalité  et de fraternité. La démocratie formelle s’est acquittée de la tâche qui lui incombait. Elle a libéré les puissances prométhéennes du travail, policé les mœurs politiques. L’heure est venue de l’égalité réelle, de la liberté effective, de l’authentique fraternité. Un seul candidat, Jean-Luc Mélenchon, se les est assignées comme  objectifs. Il faut le suivre,  y aller.

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