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Billet de blog 20 juillet 2016

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R e l e v é p r o v i s o i r e d e n o s g r i e f s c o n t r e... 3/x

Suite de RELEVÉ PROVISOIRE DE NOS GRIEFS CONTRE LE DESPOTISME DE LA VITESSE à l'occasion de l'extension des lignes du tgv. 2/X Paru en 1991 par l'Alliance pour l'opposition à toutes les nuisances. Il me semble être un prolongement au forum du 11 juillet 2016 à NDDL à propos de la démocratie ... Ces billets sont aussi dédiés à l'ami marcheur venu du Gard arrivé en Anjou en 57 jours.

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Ces billets sont aussi dédiés à l'ami marcheur inconnu venu du Gard et arrivé en Anjou en 57 jours, d'un anniversaire l'autre !

Texte issus de  (dont vous ferez vous-même les adaptations à 2016 !):
RELEVÉ PROVISOIRE DE NOS GRIEFS CONTRE LE DESPOTISME DE LA VITESSE
 à l'occasion de l'extension des lignes du tgv  de l'aéroport de Nantes vers Notre Dame des Landes.
Paru, il y a 25 ans,  en juillet 1991 par l'Alliance pour l'opposition à toutes les nuisances.

[...]

PERDRE SON TEMPS À EN GAGNER

Tous les promoteurs des moyens de transport considèrent comme une sorte d'évidence incontestable le fait que « la vitesse fait gagner du temps », et ils ne manquent pas de le rappeler à chaque nouveau projet.

Le sens commun admet ce fait, conforme aux lois de la physique. Mais la pratique semble, quant à elle, plutôt l'infirmer, tellement le temps perdu dans les transports ou pour les transports s'accroît avec leur vitesse. Pour les sciences physiques, la vitesse est bien une fonction du temps et de la distance. Mais pour le malheur des technocrates - qui ne semblent guère aller plus loin que leurs calculs - nous ne vivons pas dans le monde conceptuel des sciences physiques.

Plus la vitesse instantanée d'un vé- hicule est élevée, plus grande est la résistance du milieu physique (résistance de l'air et frottements du sol), du milieu naturel (relief et terrains) et du milieu humain (réaction des riverains aux nuisances à venir) ; plus il faut de moyens pour vaincre ces résistances sauvages, pour les anéantir, plus il faudra de travail pour produire ces moyens, et pour les employer ; au bout du compte, moins la vitesse effective des passagers (le rapport entre les distances qu'ils parcourent et tout le temps consacré aux transports) sera élevée. Si on cumule la totalité du temps de travail social dépensé pour le transport (construction, fonctionnement et entretien des moyens de transport ainsi que les retombées diverses, hospitalières et autres), on constate que les sociétés modernes y consacrent plus du tiers de leur temps de travail global, bien plus que ce qu'aucune société préindustrielle, pas même celle des nomades touareg, n'a jamais dépensé pour se mettre en mouvement.

Au-delà d'une certaine vitesse, les transports rapides sont contre-productifs, ils coûtent à ceux qui les utilisent plus de temps qu'ils ne leur en font gagner, ce qui ne les rend pas moins profitables à leurs propriétaires.

Les salariés perdent leur temps à gagner leur vie, et les consommateurs perdent leur vie à gagner du temps. Les gens souhaitent pourtant supprimer cette contrainte qui fait du temps une denrée rare, et de leur existence une course sans fin pour rattraper un mode de vie qu'on leur représente comme désirable... et leur vie réelle leur file entre les doigts : « Vivement ce soir... vivement le week-end... les vacances... la retraite. »

Cette aspiration désarmée laisse la voie libre aux technocrates qui peuvent, avec toute l'apparence de la froide objectivité, proposer des solutions techniques, c'est-à-dire substituer aux caprices des hommes des choses solides et des machines bien réglées. Aussi, la fonction créant le besoin et non l'inverse, ce que les moyens de transport permettaient est devenu obligatoire; si nos ancêtres ne pouvaient, faute de moyens, parcourir de grandes distances, nous, nous devons les parcourir.

Les transports ont permis d'aller plus loin et plus vite, d'accéder à davantage de lieux, qui ont dû être aménagés principalement à cause de leur fréquentation, et se sont ainsi banalisés. Il a résulté de cet aménagement une spécialisation de l'espace et une redistribution des activités concentrées en différents points du territoire (technopoles, parcs de loisirs, sites prestigieux, centres industriels, commerciaux et administratifs, supermarchés, cités-dortoirs, banlieues, etc.), ce qui nécessite évidemment des transports plus rapides encore pour supprimer les nouvelles distances ainsi créées. Si nous parcourons en un an plus de distance que nos ancêtres pendant toute une vie, ce n'est pas pour aller ailleurs, mais pour nous rendre toujours aux mêmes endroits.

LA COURSE DU RAT

La désertification des campagnes, l'entassement dans des banlieues sans nom et dans des villes invivables, la standardisation des existences, la vie totalement dominée par les impératifs économiques, le temps dit libre et les loisirs devenus eux-mêmes marchandises, le sentiment croissant de l'absurdité d'une telle vie et la fuite en avant continuelle pour tenter de l'oublier, voilà le lot commun de notre époque.

D'exigence essentiellement économique, le transport rapide des marchandises et des hommes est devenu une fin en soi (« Nous avons rapetissé le monde », clame une compagnie de charter) ; les exigences fonctionnelles de la vie stéréotypée des cadres, courtiers et courtisans de cette mobilité marchande et véritables appendices biologiques de l'économie, se sont imposées à l'ensemble de la population comme besoins dominants.

Quoi qu'on puisse penser du caractère peu enviable de la précipitation perpétuelle des hommes d'affaires, des "responsables", ou du jeune homme moyen, qui a presque toujours l'air de surgir en VTT d'une bouche de métro, ou du bureau, il faut malheureusement admettre que leur allure est devenue le modèle. L'ironie de l'Histoire est d'avoir donné au slogan de Mai 68 « Vivre sans temps mort » ce contenu si pitoyable.

La psychose de l'urgence en toute chose s'est emparée des populations. Effectivement disponibles pour tant de pratiques différentes, toutes moulées à la même louche, nos contemporains semblent frénétiquement vouloir les goûter toutes, surtout n'en manquer aucune. Il faut y aller ! A peine sorti du charbon, il faut courir au four et au moulin, à la montagne et au bord de la mer, aux tropiques et au cercle polaire, en un temps record, tant l'existence, litté- ralement lessivée, semble avoir rétréci au cours des temps.

C'est en premier lieu dans les déplacements professionnels que s'exprime, sans retenue, ce despotisme de la vitesse : les flux économiques présents partout "en temps réel" en sont d'autant plus volatils, la course des business men d'autant plus désespérée, puisque tout est à recommencer, perpétuellement. L'épopée de pacotille que l'idéologie néo-libérale a élaborée autour des gesticulations des chevaliers d'industrie, golden boys et autres canassons, aura finalement porté ses fruits : il faut supprimer le trajet ; il est impératif d'arriver seulement. Pour une foule de raisons dont la moindre n'est pas la démission devant l'énigme qu'est devenue l'invention de leur propre vie, les hommes ne veulent plus se déplacer à un rythme sensible ; ce n'est pas qu'ils aient foncièrement du goût pour la vitesse, mais plutôt qu'ils ne supportent plus de se déplacer lentement.

L'effacement de toute communauté possible comme de toute individualité profonde a produit un isolement quasi schizophrénique dans les transports modernes comme dans la vie urbaine dont ils sont l'extension. La littérature de gare, apparue avec les chemins de fer, s'accompagne maintenant de l'usage du walkman, et l'équipement vidéo des rames doit combler le silence pesant qui y règne. Ce qui n'a plus d'attrait doit être écourté et diverti ; le déplacement (métro, train, voiture, ferry, avion) n'est plus que du temps mort, perdu, du temps d'ennui.

Aller vite et loin était d'abord abstraitement désirable ; c'est devenu concrètement indispensable pour la plupart des gens, tant ils n'ont rien à faire ni personne à rencontrer sur leur chemin. Le TGV répond parfaitement à ce fallacieux besoin ; il n'est pas une banale amélioration du train, mais quelque chose d'autre, « un Airbus en vol rasant », comme l'écrit si finement l'imbécile de service du Monde. Les conditions du transport aérien sont descendues sur terre et rien ne les fera décoller. L'abstraction du voyage aérien s'est légitimement imposée sur terre quand celle-ci est devenue aussi vide que le ciel.

Aller loin sans s'arrêter nulle part, survoler des pays où l'on ne mettra jamais les pieds et dont on ne saura jamais rien, voilà l'expérience démocratiquement répandue par le TGV. Avec le maillage complet du territoire et l'élimination progressive des lignes classiques de chemin de fer, les conditions communes du transport moderne vont s'abattre, de la même manière démocratique et obligatoire, sur l'ensemble de la population.

Décor clean comme un fast food, air et passagers conditionnés, nourriture de synthèse, ambiance anesthésiante, tout doit prouver au transporté, maltraité et pressuré par les exigences informatiques de la machine à transporter, qu'il a droit effectivement aux conditions de l'actuel transport aérien de masse sur lequel ergonomistes et psychologues ont calculé leurs normes : remplissage maximal et isolement total dans la promiscuité.

[...]

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