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Billet de blog 8 août 2019

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Le fantôme de Jupiter -Chapitre 1-

L'idée de ce roman m'est venu à la fin de 2015... Je voyais déjà tous les prémices de ce qui allaient devenir le macronisme... Et l'avenir m'a donné raison quand les amis ne croyaient pas à cette hypothèse.

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Le fantôme de Jupiter

Première Partie

Chapitre 1

 « Toute forme de mépris, si elle intervient

en politique, prépare ou installe le fascisme »

Albert Camus

( L'homme révolté – 1951 )

I. Le dernier rôle

Un fin brouillard cendré lentement noyait mes yeux. Ce n'était plus que petits bruits et voix étouffés. Alors sans un mot, sans un cri, sous ce drap blanc mon âme peu à peu s'éloignait. Et mon corps affaibli, de ses peines endurées, s'adoucissait. Je n'entendais que leurs longs soupirs et les gémissements de ma mère. Il y avait mon fils qui prostré sur sa chaise, le regard bas, ne comprenait rien. Claire prit ma main dans la sienne. Elle était douce et son rire délicat lorsqu'à vingt ans elle devint mon épouse. Aujourd'hui je pars, la laissant seule et désemparée, veuve et blafarde comme ce drap blanc posé sur mon corps amaigri. Je m'en vais pour mon dernier voyage comme un renégat obligé de fuir sa patrie. Il restera en héritage mes souvenirs et mes nombreux regrets, subsisteraient aussi mes peines et mes joies, petites et grandes. Les brumes d'automne ou les giboulées de mars seront dorénavant d'une froide tristesse. Ma bouche est muette. Il me reste une bribe de conscience, petite lumière vacillante perdue quelque part dans les limbes de mon cerveau. Elle s'éteint inexorablement. Ce devait être l'un de mes derniers essais thérapeutiques. Selon les médecins, les risques étaient nuls. La malchance ou la déveine a voulu qu'il me devienne fatal. Je sens l'Ankou s'approcher, m'enlacer, m'embrasser de ses lèvres hideuses... Et de ses mains décharnées, étouffer avec froideur et indifférence le peu de vie qui me reste.

Trois jours plus tard, les médias évoquaient la mort inexpliquée d'un quadragénaire durant un essai clinique et l'hospitalisation de quatre autres volontaires. Différentes pistes comme des erreurs de dosages ou de manipulations contribuaient à vendre du papier et à distiller le doute sur la sécurité médicale de tels essais. Chacun y allait de son analyse, de sa vérité. L'Ankou se moque pas mal des experts de toutes obédiences, journalistiques ou scientifiques. Quand l'heure funeste arrive peu importe que tu sois jeune ou vieux, invalide ou alerte, sympathique ou antipathique, honnête ou escroc, l'Ankou sectionne le fil qui te retient à la vie. C'est ton dernier rôle, celui où tu tires dignement ta révérence sans connaître avec certitude le lieu et l'heure de la cérémonie. Adieu, tout est finit. On part couvert d'éloges, mérités ou pas, et le ventre recouvert de fleurs. Dans le journal, il n'y aura qu'un simple encart pour dire à la famille, aux amis, aux connaissances proches ou lointaines le jour et l'heure où la joyeuse comédie prendra fin. Qui avait-il avant ? Que restera-t-il de toi ? Les questions s'enchaînent, se télescopent et personne pour y répondre tant les larmes noient dans un maelstrom de convenances toutes certitudes. Dans le journal et pour préserver l'anonymat de la famille, on ne mentionna que les initiales du défunt, J K.

Il fait froid dans cette boîte. Quelques grammes de moins de cette maudite molécule qui devait guérir et la vie continuait. Je gambaderais encore. Il y fait sombre dans cette boîte qui me sert de chambre à coucher pour les siècles à venir. L'éternité est là, indéfinissable, impalpable mais béante. Je m'appelais Jérôme et je suis froid. Je ne sens ni mes doigts, ni mon cœur. Je ne ressens plus rien. Quelques grammes de moins... Mourir à quarante ans, quelle erreur grossière... Je voudrais que mon frère soit là. Après tant d'années de silence, osera-t-il revenir ? Osera-t-il affronter les regards de nos parents ? Je ne sais pas, je ne sais rien, je ne sais plus. Je suis mort, vraiment mort...

Jérôme avait connu de multiples vies professionnelles ce qui lui aurait valu depuis longtemps la médaille toute honorifique de l'employé le plus réfractaire à l'ordre. Cette propension à l'insoumission, il la devait à une enfance bercée entre les défilés du 1ier mai, aux distributions de tracts à la sortie de l'usine et aux réunions tardives et animées de la section locale du syndicat ouvrier CGT. En bon prolétaire, son père lui avait transmis fièrement l'héritage communiste que lui-même avait reçu de son père et cela depuis que les forges d'Hennebont avaient commencé à rougir le fer puis l'acier. Il y avait tant de fierté à défendre ses droits face aux patrons ou à réclamer plus de justice pour un salaire décent que lever un poing rageur s'était inscrit dans les gènes familiaux. C'était ainsi et nul n'y échappait. Nul, sauf son frère. Dès l'âge où l'on ose s'aventurer dans les bars, où les jeunes filles deviennent sujets de convoitise et de rivalité, dès cet âge là, Jérôme rentra hardiment en apprentissage. L'école n'était pas faite pour lui. Pour son frère, si. Leurs différences ne se résumaient pas à l'instruction laïque et républicaine. Elles étaient physiques, charnelles, idéologiques, culturelles et rien de ce qu'avaient entrepris leurs parents pour y remédier n'avait été utile. Bien au contraire. Après cet apprentissage comme chaudronnier, voie de garage chaque année pour des milliers d'adolescents en rupture scolaire, Jérôme entreprit de devenir postier. Cela n'a duré que quelques années. Des millions de lettres plus tard et de kilomètres parcourus, il devint serveur dans un bar branché de Lorient puis après une rencontre fortuite et une soirée très arrosée, régisseur d'un petit théâtre. C'est de là que sa vie s'est grandement stabilisée. Claire pouvait enfin dormir tranquille, Jérôme avait trouvé sa voie. Ce bonheur quotidien fait de mille petites choses empêchait Jérôme de se plaindre. Il était régisseur, électricien, parfois menuisier, d'autres fois encore couturier. Cette vie de bohème loin des contraintes ordinaires le remplissait, pas assez néanmoins pour subvenir aux besoins de sa famille. À côté de ce travail plaisir, il effectuait pour des agences d'intérim des missions temporaires aussi bien sur des lignes de production dans des usines agro-alimentaires que sur des chantiers de la construction navale. Il avait appris à se taire, à faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Claire ne l'en aimait que davantage

Et puis un jour, un ami lui parla de ces essais thérapeutiques pour des laboratoires français ou étrangers. Les risques étaient minimes et les rétributions souvent conséquentes. Il se laissa tenter. Ainsi durant quelques années, à raison de quatre expérimentations maximum par an, son corps servit à tester différentes molécules suivant des protocoles établis et contrôlés par l'Agence National de Sécurité du Médicament. Tout semblait donc verrouillé. Et pourtant l'accident arriva. L'Ankou se moque pas mal de qui est responsable d'une mort prématurée. Elle coupe simplement le fil de la vie. Les juges seuls s'occupent de châtier comme il se doit les responsables. Jérôme laissait une épouse, un fils, des parents, des amis et une place de régisseur au Théâtre en Miette de Lanester. Ce n'était pas son plus grand rôle mais assurément le dernier.

Claire, pauvre Claire. Elle alla se blottir contre son fils. C'était leur unique enfant qui venait de fêter le mois précédent son vingtième anniversaire. L'argent de cet essai devait servir à lui acheter sa première voiture. Tout allait si bien. Dans trois ans, l'emprunt de leur maison arrivait à son terme de quoi assurer sans problème les études de Victor à la faculté de lettres de Rennes. Elle le serra encore plus fort. Après ses études, nul doute qu'il deviendra comme l'avait été son grand-père maternel avant lui, professeur de français. Bien sûr, les chances qu'il reste dans la région étaient minces ce qui compte tenu des événements devenait aujourd'hui une douleur supplémentaire. Claire n'était pas une mère possessive ni une épouse jalouse mais elle ne pouvait s'empêcher à présent de maudire l'Ankou à la manière d'une conjointe cocufiée par la pire des maîtresses. Elle maudissait aussi l'absence future de son fils chéri. Tout allait trop vite. Trop de vide, de néant, de douleurs irréparables. Elle était seule, abandonnée, désespérée. Il fallait s'occuper des funérailles, des papiers, de toutes ces formalités qui rendent le deuil encore plus pénible. On n'en finit jamais. Ici, l'hôpital vous réclame la carte Vitale. Il y a les pompes funèbres qui vous expliquent les différents tarifs pour ensevelir votre époux avec les avantages et les inconvénients de telle ou telle boite. On se fiche de la boite. On voudrait qu'il n'y ai jamais eu de boite. Et le notaire, oui le notaire, cet homme de loi qui enregistre les droits de succession, les droits de continuer à vivre dans un nouveau monde avec de nouvelles règles. Ceci ne vous appartient plus vraiment. Qui va s'occuper de tout cela ? Qui va encore lui dire « je t'aime ». Qui ? Mais le pire de cette souffrance restait l'autopsie. Ouvrir le corps de Jérôme était un crime bien plus odieux que tous les autres. Elle ne voulait pas cela et pourtant il le fallait, l'enquête l'exigeait. Elle aurait aimé que Jérôme dans un ultime geste de bravoure, de son linceul, se lève et d'un regard froid, tapant du poing sur la table, dise à ces saigneurs « Non, vous n'aurez pas mon corps ».

Quelques grammes de moins pour une douleur incommensurable. La famille se resserrait. Il y avait les parents de Jérôme, le vieux et toujours têtu comme un breton, Robert, le père. Il y avait maman Odette, fidèle à son mari, à sa famille, à ses idées et à son sac de couture. Il y avait aussi l'oncle Ambroise qui se demandait toujours, passé les soixante dix ans, pourquoi on l'avait affublé d'un tel prénom qui, disait-il, l'avait empêché de se marier. Et puis les cousins de Quimper et de Pont-Scorff. Claire quand à elle n'avait plus que sa maman et une vieille tante qui vivait seule dans le midi de la France, là où le soleil atténue les douleurs de la vieillesse et les nostalgies de la jeunesse. La famille se resserrait. Il ne manquait que le frère de Jérôme dont depuis deux décennies on évitait soigneusement de prononcer le prénom. Il était l'autre, le non-dit, le fantôme.

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