Spartacus 2022 (avatar)

Spartacus 2022

Romancier Jardinier et doux réveur

Abonné·e de Mediapart

125 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 août 2019

Spartacus 2022 (avatar)

Spartacus 2022

Romancier Jardinier et doux réveur

Abonné·e de Mediapart

Le Fantôme de Jupiter - Chapitre 3 -

Spartacus 2022 (avatar)

Spartacus 2022

Romancier Jardinier et doux réveur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le fantôme de Jupiter

Première Partie

Chapitre 3

« Toute forme de mépris, si elle intervient

en politique, prépare ou installe le fascisme »

Albert Camus

( L'homme révolté – 1951 )

III. Valérie

Il traversa la capitale pour rejoindre l'ouest parisien et s'arrêter porte d'Auteuil. De là, en quelques pas, il arriva avenue du Maréchal Lyautey face à l'hippodrome où la vue du quatrième étage était simplement magnifique. Bien sûr, il y avait ces petits tracas lorsque les turfistes occupaient sans y être autorisés des places de parking disponibles. Cela le dérangeait à peine, lui qui avait revendu depuis des années sa voiture. En effet, Paris offre assez de possibilités pour se déplacer sans être embarrassé par des contingences matérielles. Et puis il y avait Jean-Claude, son chauffeur attitré. Comme lui, il était de la province mais normand ce qui faisait une sacré différence. Il connaissait tout de Jean-Claude, le nom de sa femme, de ses enfants, de son vieux chat de gouttière ramené de la SPA, de ses lectures car Jean-Claude lisait. Cela l'avait au début fortement intrigué. Cet homme, de forte corpulence et amateur de rugby, s'intéressait au moyen-âge. Il en connaissait toutes les époques avec une préférence avouée pour celle des rois maudits. Jean-Claude avait essayé de lui prêter un ou deux livres sur cette période troublée de l'histoire du royaume de France. Par pure politesse, il les avait acceptés en prenant soin de les lui rendre six mois plus tard. Ce délai, espérait-il, devait décourager toute velléité pour un nouvel acte de sympathie livresque. Le résultat fut probant. Les seuls ouvrages dont Thierry aimait à lire et relire les pages sans éprouver le moindre ennui restaient les bibles indigestes et monumentales du droit français que sont les différents codes à commencer par le pénal, le civil et le fameux code du travail. Au total, une trentaine de codes qui légifèrent pour tous les actes essentiels ou mineurs de la vie. Et si cela ne suffisait pas, il lui restait les attendus et la jurisprudence qui viennent ajouter encore et toujours du droit au droit. En ce domaine, il excellait. C'était une des raisons pour laquelle le ministre avait sollicité sa présence au sein de son cabinet. Savoir si Thierry penchait à droite ou à gauche, lisait Sartre ou Aron, optait pour le libéralisme ou l'économie de marché n'avait aucune importance. Il fallait sobrement être un technocrate averti, apte à répondre aux exigences d'un monde en mouvement et cela sur les bases concrètes de la loi quitte à la modifier dans le sens qu'il convienne. Le ministre avait reconnu ses capacités de légiste pour la rédaction de la loi qui portait son nom, la fameuse Loi Macron. Et voilà qu'aujourd'hui on voulait se débarrasser de lui et l'envoyer en province combattre un ancien frondeur, démissionnaire du parti majoritaire. Le premier secrétaire avait été direct exprimant, avec l'adoubement du ministre de la Défense, la ferme volonté d'avoir un candidat du terroir aux prochaines élections législatives. Il était l'archétype du renouveau sur lequel reposait l'immense espoir du parti. Tout ce tralala, Thierry l'avait mainte fois entendu. Ce n'était que brosse à reluire et enfumage dans le but inavoué, pour ce qui le concernait, de faire le vide autour de l'étoile montante de la politique française, le jeune et fringant Ministre de l'économie. Il n'était pas dupe mais que faire contre les notables du parti, contre la main qui vous nourrit, contre ces apparatchiks capables de tout au nom de jalousies mortifères et d'ambitions inavouées. Ce qui le tracassait bien plus portait jupon, fanfreluches et le prénom de Valérie. Elle n'était pas vraiment la plus jolie, pas la plus sotte non plus. Elle avait par contre une famille des plus honorables, financièrement parlant. Son père possédait de nombreuses actions, des bons du trésors, des jetons dans différents conseils d'administration et aussi, chose non négligeable, des relations qu'il savait utiliser selon ses besoins. Monsieur Arnaud, comme il aimait qu'on le nomme, appréciait Thierry, le second époux de sa fille. De cette précédente union était née Béatrice, jeune violoniste, spontanée et rêveuse, le portrait fidèle de son père reparti vivre en Italie. Entre la mère et la fille, les relations s'avéraient souvent houleuses. Thierry, par prudence et avec un certain doigté, n'avait rien promis au premier secrétaire réservant sa réponse pour les semaines à venir. Quitter Paris et cette vie confortable ne l'enthousiasmait pas, mais plus encore il craignait les colères froides de Valérie qui derrière ses épais verres de lunettes était capable de vous pétrifier d'une œillade assassine. Dès leur rencontre, son caractère ombrageux lui était apparu. Par lâcheté ou intérêt, il avait cédé à ses avances non dissimulées. La soirée s'annonçait donc difficile. L'employée de maison ouvrit la porte. Elle le salua et quitta promptement l'appartement. Il accrocha sa veste dans la penderie du vestibule et se dirigea lentement vers le salon. Seule devant un verre de vin cuit, Valérie préparant leur prochain séjour aux Antilles, feuilletait des brochures de tours opérateurs. Cette année, et malgré une connaissance très imparfaite de l'anglais, elle désirait découvrir les Bahamas où l'une de ses amies lui avait vanté les prestations irréprochables du pays. Tout y était réellement idyllique, aussi bien le personnel des hôtels très compétent que les chambres toujours propres ou la nourriture très copieuse. Elle leva la tête, lui sourit et reprit sa lecture. Au ministère, les plus proches du pouvoir socialiste se souvenaient avec une certaine jubilation des péripéties amoureuses du président entre une compagne qu'il souhaitait quitter et la prochaine qu'il convoitait déjà. A la première devenue ministre, il lui fit croire que tout était encore possible. A la seconde devenue biographe par rétorsion, il lui avait promis que tout serait possible. Des promesses qu'il ne tiendra ni à l'une ni à l'autre mais que l'une et l'autre pensaient réelles. Thierry se sentit prisonnier des mots. Devait-il s'engager avec le premier secrétaire ou mentir à Valérie ? Devait-il attendre la sanction de l'un ou la vindicte de l'autre ? Il regarda Valérie et connaissait déjà sa réponse. Jamais, elle ne voudrait quitter Paris, son père, ses amies et ses rendez-vous du jeudi midi à la Rotonde. Jamais, elle ne voudrais aller vivre chez les ploucs et les culs-terreux dont elle se moquait éperdument. Jamais. Jamais. Jamais. A l'heure du repas, Béatrice vint les rejoindre. Patiemment, elle répétait dans sa chambre une partition pour la prochaine audition à la maîtrise des enfants de Radio-France qui devait avoir lieu en juin. Tous les trois passèrent à la salle à manger où une table dressée par l'employée de maison les attendait. Thierry raconta sa journée au ministère et les tracas éventuels que devait lui occasionner le 49.3 si d'aventure il était utilisé pour la énième fois de la législature. Nombre d'attachés parlementaires ou de journalistes le questionneraient en off sur les intentions exactes de son mentor face à ce déni de démocratie précédemment dénoncé. La solidarité gouvernementale serait alors mise à rude épreuve ce que voulait éviter l'exécutif. Au cours de la conversation, il raconta brièvement sa rencontre avec le premier secrétaire. Valérie connaissait les hommes et surtout le sien. Ce tête-à-tête anodin n'était pas le fait du hasard car il était assez rare qu'un conseiller, fut-il proche de son ministre de tutelle, discute d'homme à homme avec le chef du parti surtout dans les circonstances actuelles où la crise entre les prétendants au trône couvait. Elle leva la tête, posa son couteau et, le fixant avec insistance, lui demanda les raisons précises de cet entretien privé. Thierry, bouche bée, croisa les mains devant son visage et réfléchit. Avant que le ton ne monte, Béatrice prit un fruit dans la corbeille et s'éclipsa. Valérie reposa alors sa question qui ne souffrait d'aucune dérobade. Le plus calmement possible, il présenta le côté positif de la proposition comme la confiance que le président lui témoignait en précisant toutefois que compte tenu de sa situation familiale, il serait dans l'impossibilité d'accepter. Valérie n'était pas dupe et malgré toutes les preuves de son désintérêt pour une telle entreprise de longue haleine et à l'incertitude d'une victoire probable, haussa rapidement la voix. Elle devenait sourde à toutes explications, à toute logique. Ce qu'elle voyait se nommait exil en terre inconnue, suspension des soirées de gala, disparition du carnet mondain, annulation de ses abonnements à la Comédie Française, à l'Opéra et au Châtelet... Et dans deux ans elle deviendra invisible, pire qu'une paria... Lorsque elle jugea que les arguments s'épuisaient, elle quitta la salle à manger et partit s'enfermer dans sa chambre d'où elle téléphona à son père. Thierry débarrassa la table. Cette nuit, il se contentera du canapé, d'un oreiller, d'une plaid et, avant que le sommeil ne vienne le terrasser, d'annoter deux ou trois dossiers sur les plus-values boursières passant en commission des finances les jours prochains. Jamais il n'avait observé Valérie pleurer, ni devant un film ou un événement exceptionnel, pas plus que le jour de leur mariage. Il y avait du monde, beaucoup de monde, trop de monde peut-être. Il y avait les amis de son père, le gotha de la finance parisienne, quelques membres du ministère, d'anciens de la promotion Cyrano de Bergerac, un général trois étoiles, deux curés et quelques piques-assiettes invités pour faire nombre. On avait bu, dansé, mangé, festoyé comme des princes. Et à trois heures du matin, la musique s'arrêta sur un air de java. Ils étaient mari et femme mais pas encore époux car pour cela il faut du partage, des rires, des pleurs, des moments de souffrance et des moments de bonheur. Valérie ne souhaitait plus d'enfants préférant à la maternité qui déforme les chairs, des moments de tranquillité qui soulagent du désordre. Elle continua d'accompagner une fois par mois sa mère à la messe et son père à ses tournois de bridge. Elle continua de maudire les profiteurs du système, de critiquer l'assistanat, de dénoncer les étrangers et les migrants. Elle continua de houspiller du quatrième étage les chauffeurs indélicats qui se garaient sur sa place de parking. Elle continua sa vie.

A six heures du matin, Valérie vint le réveiller et l'embrassa affectueusement. Cela le troubla. Quelque chose s'était passé durant la nuit ou bien une météore venait de tomber sur Paris. Pris d'un doute, il lui demanda si tout allait bien. Elle lui sourit... Tout allait très bien. Son père venait de lui confirmer que la circonscription d'Hennebont était parfaitement gagnable aussi bien contre ce frondeur que contre tout autre candidat. Et si c'était le cas, son mari avec ses connaissances et son entregent, pouvait très bien devenir ministre et plus le cas échéant.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.