Coupable(s)
Pour cuire une grenouille, il y deux façons. La première, on la jette vivante dans l'eau chaude. Que croyez-vous qu'il advienne ? Elle bondit hors de la marmite. La deuxième, vous la mettez toujours vivante dans l'eau froide agrémenté d'un bouquet garni et, vous allumez le feu de la gazinière. Elle y restera toute contente d'avoir de l'eau qui se réchauffe lentement et un peu d'herbe. Voilà la différence entre la crise du COVID-19 et la crise écologique que nous vivons. L'une est immédiate et mortelle, l'autre est lointaine mais tout aussi funeste. À la première, tout le monde se sent concerné y compris les riches et ultra-riches. On en comprend aisément les raisons. La deuxième, quelques lanceurs d'alertes nous avertissent du danger et pourtant rien ou si peu de choses bouge car on pense avoir le temps d'agir. La conscience n'est donc pas une valeur partagée par le plus grand nombre. Néanmoins, la crise du COVID-19 nous réveille. On parle à nouveau de solidarité car le temps d'agir est compté tout comme nos morts. Cette conscience me paraît sujette à caution du fait même de sa temporalité. On s'émeut aujourd'hui pour oublier demain. On pleure nos défunts pour ignorer l'avenir de nos petits-enfants. Quelle vie va-t-on leur laisser ? Quel monde sera le leur en 2050 ? J'ai peur de me tromper. J'ai peur de vieillir dans un monde qui retrouvera dans 1 ou 2 ans son envie insatiable de consommer, d'acheter, de posséder. J'ai peur de revoir cette même insouciance du danger en 2021. Le COVID-19 est peut-être une des dernières chances que nous avons pour chasser de nos vies nos penchants naturels à vouloir toujours plus. On accuse à juste titre la mondialisation d'être responsable de cette crise sanitaire en ayant divisé le monde en différents ateliers de productions dans le but d'accroître les profits de multinationales peu soucieuses du bien-être humain et de l'avenir de notre espèce. Faire du profit sans contraintes et sans limites est leur raison d'être. Pourtant notre responsabilité en tant que citoyen d'un monde libre est totale. Nous ne pouvons nous absoudre de toute culpabilité à moins de devenir des millions de Ponce Pilate crucifiant nos enfants sur les portes de nos supermarchés. Citoyen, tu as le choix. Cependant, depuis des décennies tu optes pour ce monde consumériste en votant avec régularité pour des politiciens adeptes du même système économique libéral ou pseudo-libéral dans sa version social-démocratie. L'Europe en est la plus belle expression. Elle n'est qu'un immense marché débarrassé de toute forme de solidarité. La crise des migrants ou la crise grecque nous le prouve. Citoyen, tu as voté pour Sarkozy, pour Hollande, pour Macron. Tu as voté ailleurs pour Trump, pour Johnson, pour Bolsonaro. Le résultat nous démontre que ces choix ont été catastrophiques, pire néfastes à notre monde. Citoyen, tu avais peur de voter pour une politique plus audacieuse. Ta peur citoyen sera ton tombeau. Quand les Gilets Jaunes sont sortis dans la rue, tu étais derrière eux. Tu sentais confusément que ce combat était juste et pourtant peu à peu tu les as abandonnés. Ils réclamaient plus de justice sociale, plus de solidarité, plus de services publics... Et voilà que le présent leur rend justice. Citoyen, tous les soirs, tu applaudis le personnel soignant pour son dévouement, pour son altruisme. Te voilà solidaire parce que, comme une grenouille, tu ne veux pas être subitement ébouillanté vivant mais durant des années, par ton silence et ton égoïste, tu as cautionné ce monde qui te tue, qui nous tue. L'argent, une médaille ou un beau discours jupitérien ne rendront pas la vie à nos morts. Pour que ce monde suicidaire prenne fin, il te faut citoyen une autre conscience et aussi le courage d'accepter qu'un nouvel horizon soit possible. Pour cela, il te faudra renoncer à ton confort, à tes envies de fraises en décembre ou de tomates en janvier. Coupables, nous sommes tous coupables d'inaction, moi y compris. J'aurais dû faire plus, crier plus fort. Ce nouvel horizon sera contraire aux intérêts privés pour être bâti sur la solidarité qui nous viendra d'un état social protecteur. Je ne suis pas solidaire de Macron et de son premier ministre. Je ne suis pas solidaire d'une politique qui privilégie les premiers de cordées issus d'une élite arrogante et nombriliste. Je suis solidaire du peuple, des illettrés, des gueux, des gens qui jour après jour rendent la société plus humaine, plus fraternelle. Macron n'est pas un chef de guerre comme il aime à se présenter en cette période de crise. Il n'est ni de Gaulle, ni Clémenceau, ni même Jupiter. Il est et restera un président pris au piège de sa propre mise en scène. Vouloir revêtir les habits du sauveur ne s'improvise donc pas, pas plus que vouloir subitement défendre le service public alors que quelques semaines plus tôt on lui refusait les crédits qu'il demandait. Reconstruire un état social demandera du temps et des sacrifices. Il demandera aux citoyens de se souvenir de cette période tragique pour accepter un gouvernement écologique et de gauche capable de transformer radicalement notre pays. Bien sûr, des Dominique Ceux et des journaux comme le Figaro ou les Échos nous expliqueront que cette voie est dangereuse oubliant de dire ce que le capitalisme en quarante ou cinquante ans à sauvagement détruit. Voter est un acte politique. Remettre les mêmes personnes au pouvoir, c'est permettre aux mêmes politiciens de refaire les mêmes erreurs, de nous conduire dans les mêmes impasses économiques et sociales. Il faut avoir le courage de le reconnaître, de l'accepter et de voter autrement. La conscience demande à chaque citoyen du courage au contraire de la peur qui justifie de se réfugier dans le passé, de se réfugier dans de fausses solutions, de remettre au pouvoir les mêmes incapables. Ce qui est souhaitable en France, l'est aussi dans les autres pays européens car les virus ignorent les frontières et se moquent des égoïsmes nationaux. Cette Europe nouvelle doit être, elle aussi, sociale et solidaire, tout le contraire de ce qu'elle est aujourd'hui.
Alors le soir citoyen, lorsque tu sortiras de chez toi pour applaudir le personnel soignant, n'oublie jamais ce que tu lui dois et ce pourquoi il s'est battu depuis si longtemps sans rien obtenir à part des miettes. N'oublie jamais que ton bulletin de vote sera un quitus ou non pour ceux qui, par leur mépris et leurs errements, se sont montrés largement incompétents face à cette crise sanitaire. N'oublie jamais qu'un bulletin de vote, c'est un choix de société.
Spartacus 2022