L’intégration des immigrés par le sport constitue une réelle opportunité politique dans une Europe très divisée sur la question. Sans échapper aux réalités des politiques nationales et à leurs définitions de l’intégration, le sport constitue le terrain favorable à la construction d’un lien social nouveau avec les populations immigrées qu’il s’agisse de générations plus anciennes ou de migrants de ces derniers mois. En tant qu’instrument, il s’adapte ainsi à chacun des modèles d’intégration et n’échappe donc ni aux contradictions des modèles ni aux tensions sociales.
21 millions d’étrangers (non européens) vivent dans les 28 pays de l’Union Européenne selon l’OCDE. Même si l’Europe a connu plusieurs vagues d’immigration successives ces dernières décennies, le phénomène s'est brutalement amplifié pour atteindre des records et provoquer une véritable crise de la migration. Même si les situations sont différentes selon les cas (immigration humanitaire, immigration économique…), elles nous poussent à nous interroger sur les politiques et les instruments à mettre en œuvre pour favoriser l’intégration de ces populations. qui ne maîtrisent souvent que très peu les langues locales et la culture de leur pays d’accueil. Comment concevoir et réaliser ensuite leur intégration ? Le sport peut constituer un instrument efficace au service de l’intégration de ces personnes à chaque étape de leur installation. Mais le sport n’échappe ni aux tensions sociales ni aux problématiques politiques.
En effet, l’Europe connait une diversité de modèles d’intégration et de conception de l’appartenance nationale. Le sport ne peut à lui seul dépasser ces définitions politiques de la citoyenneté et de l’intégration, intimement liée à l’histoire et à la culture de chaque pays. L’intérêt du sport est qu’il peut s’inscrire dans chacun de ces modèles et constituer un espace permettant de créer puis de développer le lien social entre deux populations qui sont amenées à vivre ensemble sur le même territoire.
Multiculturalisme et assimilation
Définir ce que l’on entend par intégration serait déjà faire un choix politique entre deux modèles différents. Bien que chaque pays ait sa propre approche, il est possible de synthétiser les différents modèles en deux grandes « familles » : un modèle basé sur le multiculturalisme et un modèle que l’on qualifiera d’unitaire. Le modèle multiculturel – la Belgique et les pays anglo-saxons notamment – est fondé essentiellement sur l’idée que la population nouvellement arrivée n’abandonne pas entièrement sa culture d’origine. Le deuxième, que tente d’instaurer la France, exige des populations immigrées une assimilation et une perte de la culture d’origine. Cette présentation schématique des deux modèles d’intégration a deux objectifs : comprendre le rôle que peut jouer le sport dans chacun des modèles et comprendre ce que chaque modèle peut apporter à l’autre à travers le sport.
L’exemple Allemand est particulièrement intéressant par son absence de modèle unique, ancré dans son histoire. L’intégration par le sport en Allemagne s’est « cherchée », en s’inspirant notamment des modèles français d’assimilation et le multiculturalisme anglo-saxon. La conception ethnique de la Nation a tout d’abord mené à un modèle multiculturel d’intégration où les populations immigrées et les locaux étaient « séparés mais égaux ».
Dans ce modèle, le sport a institutionnalisé l’entre soi et a eu tendance à la ghettoïsation de certaines communautés. « Un virage de l’intégration » a été amorcé dans les années 2000, sous l’impulsion d’Angela Merkel où les immigrés doivent désormais « adopter les valeurs allemandes ». Bien que l’objectif soit l’assimilation, la pratique reste interculturelle. Le sport est ici envisagé comme un espace qui permet à différentes cultures considérées comme égales d’échanger et de se rencontrer.
Après le « virage de l’intégration », le gouvernement fédéral Allemand a mis en place une politique d’intégration par le sport. Le programme est coordonné à l’échelle nationale par le Comité Olympique Sportif Allemand (DOSB). C’est cet organisme fédéral qui est en charge de la conception, du suivi et du développement des programmes d’intégration par le sport. . Ces programmes sont ensuite appliqués à l’échelle régionale par les fédérations, chargées d’adapter les objectifs nationaux aux spécificités des territoires, et d’accompagner en termes d’expertises, de financement et de networking les clubs et les associations sportives locales. Enfin l’action auprès des publics concernés se fait à travers les associations sportives locales, qui sont au centre du dispositif. L’approche retenue est « interculturelle » : sans ignorer les différences, les autorités accompagnent les clubs et les associations en privilégiant certains publics (les femmes par exemple) tout en prônant l’ouverture sur les publics d’influences culturelles et religieuses différentes.
A l’inverse en France, on ne parlera pas d’intégration par le sport mais plutôt de « politique de la ville » ou d’actions dans les « zones prioritaires ». On ignore les différences religieuses et culturelles pour considérer ces questions sous l’angle social : on ne s’adresse pas à des minorités mais à des groupes sociaux exclus ou défavorisés. Dans l’idéal républicain français, le sport est un facteur « d’intégration, de brassage social et culturel ». Cette approche qui ignore a priori les différences a eu tendance dans le sport à produire les effets contraires : exclusion de certains publics, l’indifférence aux phénomènes de discriminations, politiques de quotas dans le sport de haut niveau…
D’autres exemples plus concrets en Europe permettent d’illustrer les mesures possibles. Au Royaume Uni, les subventions sont conditionnées au respect de certains standards d’égalité et d’intégration. En Italie, la Fédération de football sensibilise les entraîneurs et les arbitres dans le cadre de leur formation aux questions d’intégration et d’antiracisme. En Autriche, le gouvernement central a mis en place un Plan d’Action National d’Intégration qui accompagne et soutient les initiatives des clubs qui favorisent l’intégration. Enfin, le Ministère des Sports Finlandais a mis en place un centre de recherche qui s’intéresse aux problématiques autour de l’intégration des migrants et qui permet de collecter les informations et de faire des propositions. Ces nombreux exemples recensent des instruments possibles qui peuvent être mis au service du politique dans son choix de conduire une politique d’intégration par le sport.
Un facteur essentiel reste commun à tous ces modèles, c’est la coopération entre les autorités publiques locales – les communes - et leurs acteurs de la société civile et sportive. Ceux-ci sont les relais indispensables et de proximité auprès des populations d’immigrés à qui elles proposent des solutions d’intégration pratiques et durables.
En Belgique où l'on recense à ce jour 31.000 demandeurs d'asile, le Kraainem Football Club, dans une commune flamande à facilités, accueille toutes les semaines une quarantaine de jeunes réfugiés mineurs MENA (2.000 actuellement dans le Royaume), en partenariat avec le centre d’accueil Fédasil de Woluwe Saint-Pierre, pour les intégrer à ses séances d’entrainement avec les jeunes du Club. En parallèle, le club prend en charge des cours de français avec des professeurs bénévoles et leur offre les équipements sportifs et un repas quotidien.
Le Kraainem Football Club avec ses 350 joueurs originaires de 42 pays est une plateforme multiculturelle unique en Belgique. Au cours de cette saison il a accueilli quelque 800 jeunes réfugiés pour faciliter leurs premiers pas dans leur pays hôte.
Par Laurent Thieule
Président de Sport et Citoyenneté