Think tank Sport et Citoyenneté : L’accès facilité au sport et à l’activité physique est-il reconnu comme un droit fondamental ?
Michael O'Flaherty : Bannir un individu d’une pratique physique ou sportive est sans aucun doute une violation de ses droits fondamentaux. Qui d’entre nous apprécierait d’être exclu de ce type d’activités, ou bien apprécierait d’apprendre que l’un de nos amis ou un membre de notre famille l’a été en raison de ce qu’il est ? L’article premier de la Charte Internationale de l’éducation physique, de l’activité physique et du sport de l’UNESCO déclare ainsi que « La pratique de l’éducation physique, de l’activité physique et du sport est un droit fondamental pour tous ». Depuis la proclamation de cette Charte, nous avons été témoins de la puissante force d’union du sport à travers l’Europe et le monde. Pour prendre un seul exemple, le club gaélique de Ballyhaunis en Irlande utilise le football gaélique et le hurling pour participer à l’intégration des enfants de migrants et demandeurs d’asile à la communauté locale. Y-a-t-il une meilleure manière d’encourager l’inclusion, le respect et l’acceptation de la diversité ?
Comment ces droits sont-ils garantis particulièrement pour les personnes LGBTI ?
MO : Chaque athlète LGBTI qui entre sur un terrain, patine sur la glace ou plonge dans un bassin exerce un certain nombre de droits et libertés. Les jeunes sportifs qui apprennent les règles du jeu exerce ainsi leur droit à l’éducation. Les athlètes qui participent aux événements sportifs au niveau local, régional ou national font la promotion de la diversité culturelle. Rejoindre un club ou une fédération est une manière de jouir de la liberté d’association et de réunion. La discrimination à l’encontre des sportifs LGBTI violent plusieurs droits fondamentaux. Si l’on veut défendre les Droits de l’Homme, on se doit de promouvoir et de protéger la diversité de chaque individu, et ce dans tous les aspects de la vie.
Votre agence a participé à une réunion de travail sur le sport au mois de février dernier. Vous avez annoncé par la suite que le sport figurera parmi les thèmes évoqués lors de votre forum organisé à Vienne en septembre. Est-ce que la protection des droits fondamentaux des personnes LGBTI y sera mentionnée ?
MO : Nous avons effectivement aidé les décideurs européens à développer leurs Conclusions visant à « promouvoir les valeurs européennes à travers le sport », proposant aux États Membres un certain nombre de recommandations en la matière. Mais ces dernières ne peuvent être utiles que si elles sont appliquées ! C’est pourquoi nous réunirons lors de notre Forum sur les droits fondamentaux des représentants des États Membres et d’ONG, pour une séance dédiée à la mise en œuvre détaillée de changements. Nous nous attendons à de vifs débats concernant l’utilisation du sport pour promouvoir nos valeurs communes et nos droits fondamentaux. Par ailleurs, une autre séance portera sur l’utilisation du sport comme vecteur d’inclusion sociale pour les migrants, les personnes en situation de handicap et, plus globalement, les groupes défavorisés. Nous y évoquerons également les questions d’homophobie. L’Institut de Vienne pour le développement international et la coopération (VIDC) présentera ainsi les premiers résultats de son projet intitulé « Football for Equality II – Tackling Homophobia and Racism ». Nous espérons que ces discussions inspireront de nouvelles initiatives très concrètes, permettant d’exploiter pleinement le potentiel du sport comme booster pour une société plus inclusive et diverse.
Votre agence a mené en 2012 une enquête innovante sur les expériences vécues par les personnes LGBTI à travers l’Europe, qui a permis un recueil de données important en la matière. Cette enquête intégrait des éléments relatifs aux discriminations rencontrées dans le champ du sport (accès au sport, intégration, obstacles rencontrés, peurs et appréhensions ressenties…). Une seconde enquête aura lieu en 2019. Que peut-on attendre de ces résultats ?
MO : Nous avons en effet lancé en 2012 la toute première enquête en ligne sur ce sujet à l’échelle européenne. Elle nous a permis d’illustrer avec précision la vie des individus LGBT et leurs expériences des droits fondamentaux à travers l’Europe. Elle souligne que le pourcentage de personnes LGBT se sentant discriminées dans la sphère sociale du sport n’est heureusement pas comparable à celui rencontré lors d’une embauche professionnelle par exemple. Pour autant, beaucoup de travail reste à faire. Notre agence va renouveler cette enquête, qui sera fondée sur les mêmes outils qu’en 2012. Les consultations que nous avons menées avec les parties prenantes et plusieurs experts nous ont permis d’affiner les questions relatives aux discriminations rencontrées dans le domaine du sport et des loisirs. Cela nous permettra de comparer les données dans le temps, de souligner les tendances et par conséquent, d’identifier les aspects à améliorer.
Justement, vous avez publié en 2016 un rapport sur les obstacles rencontrés par les individus LGBT dans la sphère professionnelle. Ce rapport démontrait que les cadres politiques et législatifs européens sont des moteurs essentiels pour instaurer des changements au niveau des États membres, mais que ces derniers font régulièrement face à des climats politiques hostiles et peu enclins aux changements en faveur des personnes LGBTI. Est-ce que cette situation a évolué depuis ?
MO : En décembre 2015, juste avant la publication de notre rapport, la Commission européenne a présenté une liste d’actions à mener en faveur de l’égalité LGBTI. Quelques mois plus tard, le Conseil de l’UE a adopté ses toutes premières conclusions en la matière. Depuis la Commission relate annuellement la mise en œuvre de ces actions. Ces cadres politiques donnent l’élan nécessaire aux changements nationaux. Notre propre rapport sur l’état des droits fondamentaux 2018 détaille un certain nombre de mesures appliquées par les États Membres pour faire avancer la position des individus LGBTI dans la société. En Autriche, en Finlande, en Allemagne, en Irlande et à Malte, l’état civil des couples de même sexe est maintenant aligné sur celui des couples mariés ; l’Autriche, le Danemark, et le Royaume Uni ont entreprit des démarches pour « démédicaliser » la procédure de changement de sexe. Au-delà de ces avancées, nous devons rester vigilants. Quand il s’agit d’assurer le respect des droits des personnes LGBTI, les défis sont hors norme, et peuvent être relevés seulement par un travail d’équipe, tant sur le terrain qu’en dehors.
Interview originale publiée dans la revue Sport et Citoyenneté n°43, août 2018, contenant un dossier spécial "Sport et Diversité" réalisé à l'occasion des Gay Games Paris 2018.
Interview réalisée par Maxime LEBLANC et Kiera WASON-MILNE, Think tank Sport et Citoyenneté