Arnaud Romain n’est plus, et Mediapart reste sans voix. À l’âge de 53 ans, il nous laisse démuni·es, les larmes aux yeux et les oreilles enchantées, devant son œuvre réalisée pour nous. Arnaud est celui qui a peut-être produit le plus de contenus pour Mediapart (près de huit cents), mais il ne les signait pas car il lisait la prose des autres.
C’est en 2013 qu’Arnaud, fidèle abonné de la première heure et comédien confirmé (qui a joué pour Isabelle Mergault ou Alain Sachs), est venu toquer à notre porte, échangeant avec Sophie Dufau pour la convaincre de lui faire « lire Mediapart ». À haute voix, avec son phrasé si singulier et envoûtant. À l’époque, la mode du podcast n’a pas encore surgi en France, mais l’idée plaît et la rencontre est belle. Alors il est décidé qu’il lira deux articles par semaine.
Il commencera le 8 juin 2013, en lisant un article sur la mobilisation d’un collectif africain contre le groupe Bolloré (écouter ici). La phase de test se révèle concluante, et Arnaud va alors se lancer dans la construction d’une fascinante bibliothèque sonore et mediapartienne (on peut retrouver la quasi-totalité de ses lectures ici, entre le 8 janvier 2014 et le 20 septembre 2021).
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Discret et si gentil, si modeste, il n’a jamais souhaité se pousser du col ou réclamer davantage de considération. Occupés par tant d’autres chantiers, nous n’avons ainsi pas forcément consacré autant de moyens à faire connaître l’initiative pour la mettre en avant comme elle le méritait.
Grande était pourtant l’admiration de nombreux interlocuteurs désireux de nous proposer le même projet, quand ils découvraient l’antériorité d’Arnaud sur le sujet, comme sa maîtrise de l’exercice. Cette maîtrise qui faisait de lui l’un des pionniers de la lecture numérique, tant pour Le Monde diplomatique (dont il fondera le journal audio en juin 2015) que pour les studios Audiolib, devenus Audible après leur rachat par Amazon (écouter ici ses lectures de livres).
Et puis à la fin de l’année 2019, Arnaud a pris son courage à deux mains pour nous contacter, nous relancer et insister afin de voir réaliser un projet qu’il avait en tête depuis un certain temps : donner à lire davantage Mediapart, et avec plusieurs voix, pas seulement la sienne, mais des voix féminines, insistait-il. Rendez-vous était pris le 16 mars 2020, juste avant que la France entière ne se confine dans les méandres de la pandémie de Covid-19. Et autant de retard encore accumulé pour que ce projet voie enfin le jour.
C’est finalement à la rentrée de septembre 2021 que l’article audio quotidien de Mediapart sera finalement installé, lu en alternance par Arnaud et par l’une de ses camarades qu’il nous avait chaudement recommandée, Christine Pâris. C’est elle qui nous a appris ce jour son décès survenu le 13 juillet dernier, et à qui nous pensons très fort, tout comme nous pensons à Araceli, son épouse, et à Adrien et Inès, ses deux enfants.
Nous redoutions ce moment et cette annonce depuis que, en guise de vœux pour l’année 2022, Arnaud écrivit son dernier mail à ses « très très chers amis de Mediapart » pour nous confier que la maladie qui l’affaiblissait depuis plusieurs mois maintenant était en train de gagner la partie, et que « la santé de [s]on vieux cerveau » l’obligeait « à arrêter les enregistrements ». Il concluait son « petit mot » en nous incitant « à poursuivre les podcasts, à trouver de nouvelles belles voix et de belles idées ». Et terminait : « Ce fut un honneur et un plaisir en tout cas, et je vous embrasse toutes et tous, fraternellement. » Si tu savais, Arnaud, à quel point l’honneur fut pour nous, et combien nous appréciions cette collaboration, bien qu’essentiellement épistolaire et auditive…
Sa dernière lecture parlait de Mélenchon en Guadeloupe, le 16 décembre 2021, et nous avons depuis accepté l’idée que cette anthologie subjective qui était la sienne (c’est lui qui choisissait, toujours, les textes qu’il lisait) devrait lui survivre. Avec Christine, Jeremy Zylberberg a donc repris le flambeau imaginé et brandi haut par Arnaud.
Poursuivre cette aventure est le moindre des hommages que nous pouvons lui rendre. D’autant que ses articles lus – non par une voix informatique d’intelligence artificielle, mais par un comédien en chair et en os – a trouvé son public : près de 20 000 personnes écoutent régulièrement nos articles lus depuis qu’ils sont quotidiens.
Il en avait l’intuition, et cet amour du métier nous ayant rapprochés dans un sentiment commun d’être de petits artisans de l’information accessible au plus grand nombre n’est pas la dernière des qualités dont nous nous souviendrons en pensant à lui.
Arnaud était la voix de Mediapart. Et si elle s’est éteinte, elle ne cessera de résonner dans nos oreilles et de vibrer dans nos cœurs.
Stéphane Alliès, pour la rédaction de Mediapart