La réforme des lycées est difficile, et elle se fera dans la douleur.
Pour l’instant on peut craindre qu’elle ne se fasse pas du tout, et que l’on n’assiste qu’à un misérable replâtrage en urgence. A l’instar de la dette publique on laissera la charge du problème peser sur les générations futures.
Des difficultés et des contraintes très lourdes pèsent sur le système éducatif et le plus gros ministère français. Ces difficultés ne sont ni de droite ni de gauche, d'ailleurs ni la droite ni la gauche n'ont très envie de se colleter avec un tel merdier.
Faisons la liste des difficultés qui rendent épineuse la réforme du lycée :
Le préalable très négatif, dont j'ai déjà parlé, c'est la réduction drastique du nombre de profs.
Je ne discute pas la mesure au fond, mais juste son timing : avant de faire une réforme ambitieuse c'est ballot.
J'ajoute aussi préalablement qu'il y a encore moins de moyens que prévus, le rapport d'information sur les finances publiques préalable au DOB (débat d'orientation budgétaire de l'été) annonce des mauvaises nouvelles budgétaires encore pire que prévues.
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1) la carte scolaire supprimée implique une plus grande plasticité du système (effectifs et établissements) c'est pas gagné !
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2) la refonte des horaires et série va se heurter aux corporatismes et lobbies disciplinaires ("c'est le français qu'on assassine ! ""On oublie l'histoire !" "On va former des générations d'incultes en sciences !" "Les pauvres aussi on droit à l'enseignement du latin et du grec ancien !")
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3) nous n'arrivons pas très bien à gérer la massification de l'enseignement secondaire d'un point de vue qualitatif, on accumule des réformes sans s'attaquer aux racines du mal - qui elles font débat aussi.
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4) l'organisation des lycées doit être revue certes, mais on n'y arrive pas, déjà les timides conseils pédagogiques ne sont pas partout installés alors qu'ils sont obligatoires... Alors créer des enseignements modulaires...On n’est pas encore arrivé à faire intégrer la logique LOLF par les personnels de directione t de gestion (la LOLF c’est 2001)
Les réformes se succèdent à une telle vitesse, comme les ministres d'ailleurs, (et ce qui est plus grave aussi les directeurs généraux) que les profs préfèrent voir venir et attendre un an ou deux quand il y a une nouveauté, histoire d'être sûr que c'est pour de bon, avant de changer quoi que ce soit. Et l'histoire montre qu'ils n'ont pas tort, les bougres !-
5) Le monde enseignant est en fait, dans ses habitudes et parfois par ses représentants, assez conservateur, voire un peu corporatiste.
La réforme, et le changement sont connotés négativement, et le milieu enseignant se vit comme une citadelle assiégée. Il faut beaucoup de diplomatie pour faire passer des réformes, il faut aussi de la vraie bonne volonté, de la pédagogie (et oui !). Or actuellement les annonces du gouvernement ont ruiné la crédibilité qu'ils pouvait avoir.Quant à la méthode Sarkozy, ce n'est pas la peine de prêcher des convaincus.
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6) la réforme du lycée va nécessiter plus de salles et plus de moyens d'enseignement dans un premier temps, sans doute moins de profs plus tard, mais pas durant les deux premières années. Or les lycées sont bondés ici, ailleurs ils sont vides, mais on ne va pas déplacer les familles !
De plus on pilote le système à l'économie, une mise en chantier n'intervient que plusieurs années après la prise de décision, et la livraison n'intervient elle aussi que plusieurs années après la mise en chantier, il y a actuellement une pénurie de locaux pour organiser plus fluidement les activités des élèves et des profs.ça a l'air très bête et prosaïque ce que je dis, chers amis, mais la réalité du pilotage de l’Educ Nat' c'est un ensemble de questions matérielles terre à terre mais absolument décisives.
Par exemple comment faire les emplois du temps, gérer le nombre de salles existantes, éviter de faire travailler les mêmes de 8H à 18H, ne pas mettre plus d’élèves que de chaises, obtenir des profs qu'ils travaillent de 8h à 18h y compris le mercredi et le samedi matin...
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7) La réforme des lycées implique la réforme du Bac, et là c'est le grand psychodrame national.
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8) toute l'organisation est de nature réglementaire, avec parfois des décrets en conseil des ministres, bref c'est lourd à changer, ça peut faire l'objet d'un abondant contentieux devant la justice administrative, car le milieu enseignant est, comme le reste de la société, de plus en plus au courant de ses droits, et procédurier.
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9) le système est national, et les différents acteurs sont assez allergiques à la décentralisation, au localisme, à l'expérimentation, aux dérogations. Car, répétez avec moi "L'éducation nationale et les diplômes doivent rester nationaux, car c'est écrit dans la Constitution, respectons le principe d'égalité !"
peu importe que cela soit faux, et que la réalité fasse mentir cette prétendue égalité de tous.
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10) Les acteurs du système pratiquent une hypocrisie et un double langage dans la négocaition qui rend tout très difficile.
Par exemple les classes prépa recrutent sur dossier avant le bac, donc elles recrutent sur la foi des bulletisn du lycée. Donc en fait là il y n'y a aucun caractère uniforme ou national des critères, on sait que 12 dans tel lycée ça vaut 15 dans tel autre... Mais ça n'empêche pas de se battre pour le bac national seule garantie de l'égalité républicaine, blablabla.
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11) on pourrait continuer comme ça pendant des pages et des pages.
L'idée c'est que c'est très difficile, il y a de nombreux acteurs : syndicats, lobbies disciplinaires, groupes d'intérêt (éditeurs, associations), des parties antagonistes (profs du secondaire vs universitaires, collège vs lycée, public vs privé, bons lycées vs lycées sensibles, vieux profs vs jeunes profs, administratifs vs opérationnels, syndiqués vs non-syndiqués)
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12) et je ne parle pas, parce que là c'est énorme : des élèves (que veulent-ils, sont-ils seulement d'accord ?) des parents (ah, les parents d'élèves !)
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Bref il y a un très important travail d'information et de conviction à mener en direction des profs, des étudiants futurs profs (surtout), des administratifs, des parents, et de certains politiques. Sans une grosse sensibilisation et concertation préalables, ça va être du grand n'importe quoi.
mise à jour du 11 juillet : Les grandes manoeuvres ont déjà commencé. Les groupes disciplinaires et lobbies corpo. se mettent en ordre de bataille.
Des profs de philo font paraître ce matin un Rebond dans Libération, où ils expliquent à quel point l'enseignement actuel de la philo est formidable, indispensable, inévitabel et menacé par les bruits de future réforme. Ils ne veulent pas que l'on rende optionnel l'enseignement, ni que l'on diminue les heures, ni qu'on l'introduise dès la classe de Première. (cliquer sur Rebond pour suivre le lien)
Pas mal ! Ils ont dégainé les premiers.